L’Iran : Une puissance au carrefour des conflits
Alors que la guerre d’Afghanistan et la guerre d’Irak ont bouleversé la donne géopolitique du Moyen-Orient, l’Iran s’affirme comme un acteur incontournable de la nouvelle ère qui s’annonce dans cette région. S.E.M. Mohammad Sadegh Kharazi nous dresse un tableau de l’évolution iranienne face à cette situation inédite.
La Lettre Diplomatique : Monsieur l’Ambassadeur, à quelques mois des prochaines élections législatives qui doivent se dérouler en 2004, quel regard portez-vous sur le chemin parcouru depuis la réélection en juin 2001 du Président Mohammad Khatami ? A la lumière de l’œuvre accomplie par l’alternance réformiste, dans quelle mesure peut-on considérer l’Iran comme un pays en transition politique ? Quelle signification doit-on, selon vous, attribuer à la vague abstentionniste des élections municipales de mars 2003 ?
S.E.M. Mohammad Sadegh Kharazi : Il existe une relation directe entre l’action du Président Mohammad Khatami et sa réélection en juin 2001. Par définition, les réformes en Iran représentent à la fois un projet et un processus spécifique. Le Président Khatami a été le symbole de ces réformes, et reste, aujourd’hui encore, ce symbole. Les résultats des prochaines élections démontreront d’ailleurs à quel point il a réussi à convaincre l’opinion publique iranienne de l’importance des réformes. Comme toute société, la société iranienne est complexe et possède ses propres caractéristiques. De ce point de vue, l’une des forces de l’action du Président Khatami est d’avoir réussi à créer un pont entre la tradition et la modernité dans une société telle que la société iranienne, marquée par l’importance des idéaux et des traditions, sans que celle-ci ne s’effondre et ne doive faire face à une crise grave et insurmontable. Il est dès lors préférable que le processus des réformes s’accomplisse lentement mais sûrement, plutôt qu’un processus rapide qui aboutisse à un total effondrement de la société. La politique du Président Khatami consiste donc à faire avancer la logique des réformes en respectant le principe de dialogue propre à la société iranienne. Un certain nombre de personnes, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, ne sont peut-être pas satisfaites de voir le Président Khatami poursuivre son action de manière déterminée, mais avec calme et sérénité. Or, il s’agit là d’une nécessité vitale pour la société iranienne.
Pour ce qui est des résultats des élections municipales de mars 2003, un certain nombre de points doivent être pris en considération. Il est vrai que dans beaucoup de villes, la participation populaire a été insuffisante. Mais, si l’on considère le pays dans sa globalité, aussi bien dans les villes qu’en province, cette participation a été tout à fait satisfaisante : plus de 24 millions de citoyens ont répondu aux échéances municipales. Si dans certaines grandes villes iraniennes, la participation n’a pas dépassé 12 à 20%, dans d’autres, elle a atteint 70 à 90%. Il s’agissait en réalité d’un phénomène qui trouve ses racines dans le mécontentement et la déception de la population à l’égard de l’action des conseils municipaux dont c’était les premières élections. Les maires n’ont pas été capables de répondre aux attentes de leurs électeurs et citoyens concernant un certain nombre de problèmes. Mais si des élections municipales étaient à nouveau organisées, la participation s’élèverait sans doute à plus de 80%, surtout à Téhéran. En tous cas, les élections des conseils municipaux ne peuvent pas être prises comme une référence absolue. Je suis toutefois le premier à avouer que dans les grandes villes, en raison des insuffisances du travail accompli par les conseils municipaux et les maires, la participation populaire est en déclin. Si cela traduit une certaine contestation, elle n’est cependant pas dirigée contre le gouvernement ou l’Etat iranien, mais contre la politique de certains maires, au niveau local.
L.L.D. : L’Iran connaît de graves difficultés économiques, notamment du point de vue de l’inflation toujours galopante et d’une population relativement jeune et confrontée au chômage. Quelles sont les grandes lignes de la politique du gouvernement pour faire face à ces deux défis majeurs ? Second producteur de pétrole du monde, comment l’Iran envisage-t-il de diversifier son économie pour ne plus dépendre uniquement de ce secteur d’activité encore largement prédominant ?
S.E.M.M.S.K. : Le taux de croissance de notre économie a été de 7,2% en 2002 et devrait, selon le plan prévu pour 2003, atteindre 8%. Cette dynamique résulte des vastes projets que nous sommes en train de mettre en place, aussi bien dans le domaine des services, de l’industrie lourde, que de l’agriculture. Le train de l’économie iranienne, si je peux prendre cette image, est donc en marche, et, loin d’être stationnaire, ce train avance actuellement à vive allure. Mais nous pouvons dire aussi qu’une partie de notre économie est aujourd’hui malade, et c’est ce à quoi nous devons travailler. Chaque pays a son propre système économique avec ses spécificités. Ainsi, si le taux de croissance de la population iranienne est maîtrisé, une très grande part de celle-ci est composée de jeunes à la recherche d’emploi et d’un niveau de vie agréable. Il faut également souligner que dans beaucoup de domaines, la mécanisation de notre industrie est encore insuffisante, même si des progrès considérables ont été accomplis. Mais, ce qui est important du point de vue de la terminologie, c’est que l’ensemble des Iraniens a accepté l’idée que l’économie est une priorité et qu’il fallait tendre vers une économie saine. Nous avons admis les principes de la privatisation, de l’économie de marché et de l’importance des investissements étrangers. Nous avons fait le constat que les économies marxiste et socialiste n’ont pas réussi à donner les résultats escomptés, mais nous pensons également qu’une redistribution équitable des richesses est nécessaire pour la société iranienne. Il convient toutefois de garder à l’esprit que le développement de l’économie iranienne dépend à la fois des capacités de notre pays mais également des infrastructures économiques préexistantes. En outre, on ne peut pas considérer le développement et l’essor de notre économie, sans prendre en compte la position géopolitique et géographique de l’Iran dans la région.
Si l’industrie pétrolière occupe une place majeure dans l’économie iranienne, nos efforts d’investissement ne se portent plus uniquement sur ce secteur. Pour favoriser l’essor d’autres secteurs d’activité, il faudrait accélérer les privatisations et informatiser complètement notre système fiscal, mais aussi douanier et bancaire. L’Iran cherche par ailleurs à développer l’exportation des services liés à l’ingénierie, domaine qui est pour nous extrêmement important. Un autre domaine phare de notre économie est la pétrochimie. Au cours des trois prochaines années, l’Iran fera, en effet, partie des trois ou quatre pays leader de ce secteur sur le plan international : d’ici 2008, les revenus issus de l’industrie pétrochimique iranienne équivaudront à ceux de son industrie pétrolière. Pour ce qui est des autres branches industrielles, du secteur agricole, des télécommunications ou des transports, nous sommes en train de réaliser des avancées remarquables. Le renforcement de notre marché financier est quant à lui déjà bien amorcé. Si l’on prend en considération le marché iranien des actions, peu d’autres marchés bénéficient d’un tel dynamisme. Il s’agit donc d’un mouvement très important qui suit sa propre démarche, à son propre rythme. D’ailleurs, sur le plan régional, l’Iran est d’ores et déjà en mesure d’influencer les autres marchés et cherche maintenant à accroître sa position dans ce sens. Nous espérons que dans le domaine international nous réussirons également à poursuivre notre essor.
L.L.D. : L’inscription de l’Iran au sein de la liste des “Etats voyous” par l’administration du Président américain Georges Bush marque en quelque sorte un point culminant de plus d’une vingtaine d’années de tensions entre votre pays et les Etats-Unis. Comment analysez-vous la situation géostratégique de l’Iran après les interventions militaires américaines en Afghanistan et en Irak ? Plus globalement, la forte concentration de la présence militaire américaine que ce soit au Moyen-Orient ou en Asie centrale n’implique-t-elle pas, selon vous, la recherche d’une normalisation des relations irano-américaines ?
S.E.M.M.S.K. : La politique iranienne a été officiellement déterminée et annoncée. Nous détestions le gouvernement des Talibans et nous considérions que ce gouvernement n’avait aucune légitimité, tout comme nous détestions le gouvernement de M. Saddam Hussein et de ses partisans. De même, nous sommes mécontents de la présence militaire américaine dans la région ; tout cela ne nous empêche pas d’accepter les réalités. Nous considérons que la présence américaine est un élément néfaste pour la sécurité et la stabilisation de la région. Mais cette présence reste une réalité indéniable. Nous estimons cependant que les Américains doivent avoir du respect pour les pays de la région et mettre fin le plus tôt possible à l’occupation de l’Irak. Trois éléments peuvent, selon nous, permettre de contribuer à l’instauration de la sécurité et de la stabilisaté dans la région :
– le développement politique,
– le développement économique,
– l’absence de toute forme d’ingérence extérieure,
Au sujet des relations entre la République islamique d’Iran et les Etats-Unis, il n’a jamais été envisagé qu’il n’y aurait jamais de normalisation. Si un nouveau gouvernement américain adopte enfin une action logique, raisonnée et raisonnable, qu’il accepte enfin de demander pardon pour ses agissements passés, et surtout qu’il accepte d’adopter une vision correcte à l’égard de l’avenir et de respecter la position particulière de l’Iran dans la région ; s’il accepte enfin de changer le langage des armes contre celui du dialogue, à ce moment-là, l’Iran répondra bien évidemment de manière favorable. Dans ces conditions, la coopération sera dès lors possible entre l’Iran et les Etats-Unis. Il ne faut pas oublier qu’un pas positif peut entraîner d’autres pas positifs. Il faut également considérer que les Américains ne peuvent rien faire sans l’Iran dans la région. Il est ainsi impossible de mettre en place une ceinture de sécurité et de stabilité autour de la région sans la participation de notre pays. Ils ne peuvent pas nous éliminer, car nous sommes une réalité de cette région.
L.L.D. : Alors que la reconstruction de l’Irak semble continuer de rencontrer des difficultés, quelle est votre vision de ce processus ? Comment percevez-vous la politique américaine conduite en Irak ?
S.E.M.M.S.K. : Tout d’abord, l’Iran ne cherche pas à intervenir en Irak. C’est un pays musulman, un pays voisin, au passé très riche, qui a une véritable identité. Si l’Irak demande notre aide, en tant que pays frère et voisin, nous répondrons bien évidemment à cette demande. Cela dit, nous n’avons aucune ambition en Irak. Notre souhait et notre espoir est la mise en place d’un gouvernement et d’une constitution qui acceptent le droit des minorités et le respectent. Si une telle constitution permet la participation de l’ensemble des ethnies et des minorités, qu’elle instaure enfin, dans le cœur des Irakiens, un esprit de dynamisme et d’espérance tourné vers l’avenir et qu’elle diffuse la liberté et la démocratie, mais dans ses acceptions propres à la région, nous soutiendrons dans de telles conditions cette constitution. La stabilisation de la région dépend toutefois tant de notre stabilité et de notre patience que d’une action raisonnable des puissances étrangères qui sont venues s’y installer. Pour qu’un climat favorable puisse exister dans la région, il faut que l’occupation de l’Irak soit conduite raisonnablement et, conformément au droit international public, que les Nations unies retrouvent leur force et leur prédominance dans la région, et que le passé, l’identité et la culture des peuples de la région soient respectés. Le problème de la situation actuelle réside dans l’attitude des Américains qui sont en train d’induire en erreur les Nations unies et la communauté internationale. Si on veut traduire en langage clair leur pensée, ceux-ci veulent que la doctrine à la fois politique et sécuritaire des Etats-Unis domine, que le pouvoir soit entièrement réunis entre les mains des généraux américains, que les dépenses soient effectuées par les Nations unies et les autres pays de la communauté internationale, de manière à ce que ce ne soient pas les soldats américains qui meurent, mais plutôt des soldats français ou venant d’autres pays. En somme, soit la participation à la reconstruction de l’Irak se fait de manière équitable, soit elle ne se fait pas. La participation ne peut pas être sélective. Il faut également prendre en compte les spécificités de l’Irak. Par définition, l’acte de propriété de l’Irak n’a pas été enregistré au nom des Etats-Unis. Les Américains ont de ce point de vue transformé les Nations unies en une sorte d’instrument, une sorte d’ONG. Or, tant que les Américains conserveront cette vision, ils ne pourront remplir leurs objectifs.
L.L.D. : Fort de l’important potentiel de développement qui existe dans la région actuellement troublée de l’Asie du Sud, quelles sont les perspectives de coopération entre l’Iran et ses voisins comme l’Afghanistan et le Pakistan ?
S.E.M.M.S.K. : Il faut tout d’abord souligner qu’avant le 11 septembre 2001, l’Iran a été le premier pays à avoir considéré le régime des Talibans comme un régime inacceptable. Ceux qui, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de la région, ont soutenu le régime des Talibans, se sont enfin mis sur la fréquence des idées réalistes de l’Iran. Le 11 septembre a enfin démontré les menaces qui existent sur le plan international et qui pèsent sur l’ensemble des pays de manière claire et identifiable. En ce qui concerne l’approche des relations avec ses pays voisins, l’Iran a toujours cherché à suivre une politique fondée sur le développement des relations régionales. Nous considérons que les pays de la région doivent résoudre leurs problèmes entre eux. Ainsi, à la globalisation prônée par les Américains, nous préférons le processus de régionalisation. Les Américains cherchent en fait à américaniser toute la région, alors que nous estimons que c’est le régionalisme qui doit s’imposer. La région doit toutefois atteindre une certaine maturité, à la fois sécuritaire mais également politique. Dans le domaine de la coopération économique, il existe déjà de nombreux projets mais qui méritent encore d’être étudiés et discutés de manière plus approfondie. Cela n’empêche que nous vivons dans une région par laquelle transite 70% des énergies utilisées à travers le monde. C’est une région en pleine mutation et en cours de développement, qui dispose de nombreux atouts.
L.L.D. : L’Iran ayant récemment appelé à la création de deux Etats en Palestine, comment percevez-vous l’évolution de la feuille de route ? Vous paraît-elle proposer une solution viable pour l’établissement d’une “paix juste et durable “ ?
S.E.M.M.S.K. : La paix et la stabilité au Moyen-Orient sont souhaitées par tous ceux qui s’intéressent au destin du peuple palestinien et à la cause de la Palestine. Les circonstances actuelles n’inclinent pas à l’optimisme quant aux chances de succès de la feuille de route. L’objectif déclaré de celle-ci est contraire à ce qui se passe en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Le peuple musulman d’Iran et les dirigeants de la République islamique souhaitent ardemment qu’une solution soit enfin trouvée pour permettre l’instauration d’une paix juste et durable dans toute la région. Or, le comportement et la politique d’Israël montrent qu’il n’existe pas une volonté politique nécessaire pour atteindre un tel objectif, et tant que les racines de la violence et de l’agitation ne seront pas prises en considération, la paix et la stabilité précaires résultant de l’emploi de la force militaire, ne feront que cultiver la haine et la vengeance ; et, à cet égard, “qui sème le vent, récolte la tempête”.
L.L.D. : Réunis à Moscou du 22 au 24 juillet 2003, les Etats riverains de la mer Caspienne semblent avoir, une fois encore, échoués à trouver un accord sur le statut de cet espace riche en hydrocarbures. Quelle est la position de votre pays à l’égard de la proposition de partage faite par la Russie ? Dans quelle mesure Téhéran entend-elle faciliter la recherche d’une solution commune qui permette le développement d’une coopération régionale ?
S.E.M.M.S.K. : La mer Caspienne est une vaste étendue commune entre l’Iran et l’ex-Union soviétique. Auparavant, nous n’avions qu’un pays voisin sur nos frontières septentrionales, mais après la dislocation de l’URSS, nous sommes face à quatre pays nouvellement indépendants. Les conditions géographiques et les ressources riches en poissons et hydrocarbures confèrent à cet espace un grand potentiel. La convention de 1982 relative aux droits des mers demeure toutefois muette sur le régime juridique des mers fermées. Cependant, il est évident que les traités et accords entre Etats constituent autant de sources juridiques internationales. La convention de 1940 et les lettres échangées en annexe ont ainsi défini le régime juridique actuel de la mer Caspienne. Mais, nous estimons que cette convention devrait être parachevée à la lumière de la nouvelle géopolitique de ce bassin : et, afin de trouver une meilleure formule qui soit fondée sur l’équité et la justice, nous sommes disposés à négocier avec nos voisins et parvenir à un pacte à cinq. Il va sans dire que les accords bipartites ou tripartites conclus entre certains Etats n’auront pas de force juridique, et selon la formule consacrée du droit international, pacta tertis Nec Nosunt Nec prosunt, les accords entre deux pays ne sauraient engager un pays tiers. Certains pays riverains estiment que la mer Caspienne devrait être partagée en zones nationales avec une délimitation équidistante. Mais, l’équidistance n’est pas nécessairement la seule méthode de délimitation. Il existe en effet d’autres procédés pour établir une délimitation équitable, dont celui de la “ligne médiane modifiée” (Modified Median Line). En tous cas, lorsque l’on négocie avec bienveillance et compréhension autour d’une table, il est possible de parvenir à une solution globale et complète.
L.L.D. : A la suite de la récente visite des Ministres des Affaires étrangères britannique, allemand et français à Téhéran, votre pays a accepté de signer le protocole additionnel du traité de non-prolifération nucléaire. Quelles seront les modalités d’application de ces accords ? Comment les autorités iraniennes comptent-elles à l’avenir assurer leur approvisionnement en combustible pour leurs centrales nucléaires ?
S.E.M.M.S.K. : L’Iran a annoncé depuis plusieurs mois qu’il a une perception très positive à l’égard du protocole additionnel et qu’il s’est toujours senti engagé par rapport au Traité de non-prolifération nucléaire (TNP). L’accord du 21 octobre 2003 avec les ministres des Affaires étrangères britannique, français et allemand s’inscrit, en fait, dans la continuité d’une coopération sérieuse de mon pays dans le domaine de la non-prolifération.
Le gouvernement iranien signera le protocole additionnel lorsque les ambiguïtés et interrogations qui l’entourent auront été clarifiées et le mettra en œuvre avant même sa ratification pour démontrer sa bonne volonté. Nous avons d’ailleurs agi de la sorte au cours des mois écoulés.
Quant à la politique d’approvisionnement en combustible nucléaire destiné à nos centrales et réacteurs nucléaires, elle est, elle aussi, transparente et bien définie. Selon l’accord conclu entre l’Iran et la Russie, les Russes assurent le combustible de la centrale nucléaire de Bouchehr, et nous allons bientôt signer l’accord sur le rapatriement du combustible en Russie. Par ailleurs, afin d’assurer le combustible de ses centrales, l’Iran envisage également de perfectionner, au niveau autorisé par le TNP, ses projets d’enrichissement d’uranium et d’en produire sous la surveillance et le contrôle total de l’AIEA. Certes, soucieux de réduire la tension créée autour de son programme nucléaire et de rétablir la confiance, l’Iran suspend provisoirement l’enrichissement de l’uranium conformément à l’accord conclu le 21 octobre à Téhéran. Celui-ci définit bien la situation future du combustible des centrales nucléaires iraniennes ainsi que la coopération européenne et internationale pour la production d’électricité provenant de l’énergie atomique, et nous n’avons aucune inquiétude à ce sujet.
L.L.D. : Lancées en décembre 2002, les négociations pour la conclusion d’un accord de commerce et de coopération entre l’Union européenne et votre pays sont maintenant bien engagées. Quelles sont les modalités pour mener à bien un tel accord ? Les relations commerciales entre l’Iran et l’Europe concernant en grande partie les hydrocarbures, quelles sont les perspectives pour l’élaboration d’un partenariat énergétique ? Au-delà, quel rôle pensez-vous que l’Europe puisse jouer pour la stabilisation et le développement du Moyen-Orient ?
S.E.M.M.S.K. : Les négociations avec l’Union européenne pour parvenir à un accord global de commerce ont débuté depuis longtemps, mais n’ont pas encore abouti en raison des différences existantes dans les priorités des pays membres et d’un certain nombre de malentendus. Notre regard sur l’Europe est en fait un regard stratégique et à long terme. Nous croyons que les relations commerciales plusieurs fois séculaires entre l’Iran et l’Europe peuvent toujours continuer à se développer librement au-delà des gouvernements et des politiques ; ce, d’autant plus que les pays européens sont actuellement nos plus grands partenaires commerciaux dans le monde.
A notre avis, la confusion des questions commerciales et des questions politiques du jour est nuisible aux intérêts mutuels des deux parties. En effet, il existe entre l’Iran et l’Europe une sorte de solidarité réciproque, aussi bien dans le secteur de l’énergie que dans d’autres secteurs. Actuellement, certaines sociétés européennes participent, par exemple, aux projets iraniens sur l’énergie et ce, malgré les restrictions imposées existantes. Elles peuvent d’ailleurs accroître leur participation en respectant les intérêts mutuels. Cela dit, l’Europe a un rôle historique à jouer, un rôle efficace pour le développement ainsi que pour l’établissement d’une paix juste dans cette région.
L.L.D. : La France et l’Iran sont liés par près de deux siècles de relations communes. Quelles sont les concrétisations du nouvel élan insufflé aux relations bilatérales depuis la visite du Président iranien Mohammad Khatami en France en 1999 ? Comment avez-vous perçu l’arrestation des dirigeants des Moudjahidines du peuple d’Iran (MPI) par les autorités françaises en juin 2003 ? En prévision de la ratification d’un accord sur le soutien des investissements, celle-ci annonce-t-elle une consolidation des relations commerciales entre les deux pays ?
S.E.M.M.S.K. : Comme vous l’avez rappelé, la France et l’Iran entretiennent depuis plus de deux siècles des relations politiques et commerciales. Pour ce qui nous concerne, la France n’est soumise à aucune restriction en Iran pour développer ses relations économiques et politiques, et nous sommes disposés à développer notre coopération avec Paris. Les Iraniens considèrent toujours la France comme un pays ami sur lequel on peut compter dans les moments difficiles. Notre pays n’a jadis pas été colonisé par la France pour qu’il puisse en garder d’amers souvenirs, et nos penseurs ne sont pas étrangers à la langue et à la culture françaises.
En ce qui concerne l’arrestation, en France, en juin 2003, des dirigeants des Moudjahidines du Peuple en France, je crois que pendant les quelques semaines où cet événement a été un sujet brûlant de l’actualité dans les médias, l’opinion publique française a pu mieux apprécier la nature de ce groupe en tant que secte. Le gouvernement iranien n’avait pourtant pas exercé d’influence pour cette arrestation. Cette organisation était inscrite sur la liste des groupes terroristes établie par l’Union européenne et les Etats-Unis d’Amérique, et les autorités françaises ont estimé que les Moudjahidines du Peuple troublaient l’ordre public de leur pays.
Enfin, la ratification de tout accord qui puisse aboutir au développement des relations commerciales entre nos deux pays et au renforcement des investissements communs est une démarche utile, et nous espérons que nos amis et investisseurs français auront assez de confiance et de motivation pour venir investir en Iran. En tant qu’Ambassadeur de la République islamique d’Iran, je leur souhaite d’ailleurs, d’emblée, la bienvenue !