Entre la France et la Russie, situées aux deux extrémités de l’Europe, les relations ont toujours été empruntes d’un cachet particulier qui doit à leur histoire, leur culture et une série d’affinités culturelles et humaines qui ont créé des liens de sympathie et d’admiration réciproque solides et durables. A la veille de son départ pour Moscou, dans une interview au Perviy Kanal de la Télévision russe, Bernard Kouchner a d’emblée mis l’accent sur cette affinité: « Nos pays sont liés par l’histoire, la littérature et les champs de bataille. Je pense en premier lieu, naturellement, à la Seconde guerre mondiale ».
De fait, historiquement privilégiés, les liens entre la Russie et la France sont particulièrement intenses aujourd’hui. La vigueur de cette relation bilatérale s’exprime d’abord par la fréquence des contacts au plus haut niveau, comme l’atteste le séjour du Ministre français des Affaires étrangères et européennes à Moscou les 17 et 18 septembre derniers, venu préparer la visite du Président Nicolas Sarkozy en octobre, qui ne suit que d’assez peu son entrevue d’une heure avec Vladimir Poutine du 6 juin en marge du G-8 d’Heiligendamm. Au niveau gouvernemental, cette relation bilatérale est structurée par le Séminaire gouvernemental franco-russe. Celui-ci, présidé par les deux premiers ministres se réunit depuis 1994, une fois par an. Il s’organise autour de thèmes qui se renouvellent chaque année mais dont le noyau commun se retrouve : coopération économique bilatérale, coopération audiovisuelle, coopération scientifique et technologique, coopération aéronautique et spatiale, dialogue énergétique, coopération dans le domaine de l’éducation, de la culture et des échanges de jeunes, coopération dans le domaine de la formation des cadres…
Le dialogue politique se poursuit au sein d’un cadre original, celui du Conseil de Coopération pour les Questions de Sécurité (CCQS). Cette enceinte, créée en janvier 2002, par les deux présidents, lors du voyage de Vladimir Poutine à Paris, réunit les ministres des Affaires étrangères et de la Défense autour d’une session plénière et d’un déjeuner de travail. La sixième session du Conseil qui s’est tenue à Moscou le 21 février 2007, a abordé les sujets portant sur l’architecture européenne de sécurité, la coopération dans le cadre du G-8 et la sécurité énergétique, la lutte contre les armes de destruction massive et les grands dossiers régionaux.
Au plan économique, le dialogue et la coopération se développent au sein du Conseil économique, financier, industriel et commercial (CEFIC), créé en 1994, et qui se réunit au moins une fois par an ; une de ses sessions se réunit quatre semaines avant le Séminaire gouvernemental dont elle prépare le volet économique. La dernière session s’est tenue de manière informelle à Nijni Novgorod le 1er octobre 2006. Les délégations sont dirigées du côté français par le Ministre de l’Economie, des Finances et de l’Emploi et, du côté russe, par le Ministre Sergueï Narychkine, Responsable de l'Appareil du gouvernement de la Fédération de Russie, Vice-Président du gouvernement de la Fédération de Russie.
Cette intensité de contacts bilatéraux contraste quelque peu avec le niveau des échanges économiques et commerciaux qui n’ont pas encore atteint leur niveau désiré. En 2005, la France est ainsi passée du 8ème au 9ème rang des fournisseurs de la Russie. Sa part de marché s’est effritée entre 2004 et 2005 passant de 4,1% à 3,7 % puis elle est remontée à 4,3 % en 2006 ce qui reste sensiblement moins que la part de marché moyenne de la France dans d’autres pays de la région et sensiblement moins que les concurrents habituels de la France. Pourtant les flux d’investissements ont fortement augmenté en 2005 pour atteindre 500 millions de dollars, soit deux fois plus que leur montant de l’année 2004. La France se situe ainsi au 6ème rang après les Pays-Bas, le Luxembourg, le Royaume-Uni, l’Allemagne, les Etats-Unis et l’Inde. La France privilégie encore les grands contrats emblématiques dans les domaines clefs de la coopération sectorielle ; aéronautique et spatial (vente d’Airbus A350, projet de l’avion régional russe, lancement de Soyouz depuis Kourou, programme de lanceurs du futur Oural), énergie (participation de Total à l’exploitation du gisement géant de Shtockman, perspective nucléaire pour Areva), transports (projets TGV Moscou-Saint-Pétersbourg pour Alstom, construction d’autoroutes pour Vinci et Bouygues), hautes technologies (Joint venture Thomson TBM- Almaz Aney pour la modernisation du réseau de télédiffusion russe).
Le voyage de Bernard Kouchner à Moscou
Cette première visite du nouveau Ministre des Affaires étrangères et des Affaires européennes les 17 et 18 septembre 2007, a été l’occasion d’entretenir et d’enrichir le dialogue franco-russe. « La France et la Russie, a tenu à rappeler le ministre, entretiennent un partenariat privilégié qui doit demeurer et qui doit même se développer, en obtenant des résultats concrets ». Avec son collègue Sergueï Lavrov, il a abordé une large gamme de problèmes : droits de l’homme, situation au Caucase Nord, particulièrement en Tchétchénie, la situation au Proche-Orient, l’épineux problème du Kosovo qui revêt un aspect politique, stratégique, moral et juridique, le dossier nucléaire iranien, la situation en Irak. Bernard Kouchner a insisté sur la nécessité dans la conjoncture actuelle, marquée par un durcissement des relations entre la Russie et l’Occident, d’approfondir le dialogue stratégique avec la Russie, principalement au sein du Conseil OTAN Russie. Il a aussi abordé la question des droits de l’homme, celle du respect du droit de propriété ou de la liberté de la presse en émettant le vœu que l’enquête sur le meurtre de la journaliste Anna Politovskaïa « permettra d’identifier non seulement les auteurs mais aussi les commanditaires de ce crime inqualifiable ». En marge de ses entretiens officiels, Bernard Kouchner s’est entretenu avec des membres de la société civile russe, ainsi que des représentants d’organisations non gouvernementales françaises actives en Russie dans le domaine de l’Etat de droit. Il a eu aussi l’occasion de s’entretenir avec des représentants d’entreprises françaises. Il lui a été agréable, à cet effet, de constater que les échanges bilatéraux avaient augmenté de 40% en 2006 et de 37% durant le premier semestre 2007. Les années culturelles croisées, France en Russie en 2009 et Russie en France en 2010 donneront une vaste impulsion aux échanges culturels et artistiques entre les deux pays. Il conviendra également d’agrandir le lycée français de Moscou qui devrait offrir plus de places aux jeunes russes.
« Il faut aller plus loin, a résumé Bernard Kouchner, et inscrire la coopération franco-russe dans une perspective stratégique à long terme et dans un cadre plus large. Les initiatives franco-russes devraient contribuer à relancer le partenariat entre l’Union européenne et la Russie ».