La lettre diplomatique

Entretien – Cuba
La Lettre Diplomatique n°78 – Deuxième trimestre 2007

La Révolution cubaine diversifie ses partenariats

En dépit du retrait de la vie politique, pour l’heure provisoire, du Président Fidel Castro, Cuba occupe plus que jamais le devant de la scène internationale. La Havane s’est assignée pour objectif de redynamiser le Mouvement des pays non-alignés dont il occupe la présidence jusqu’en 2008. Une mission cruciale dont S.E.M. Rogelio Placido Sanchez Levis, Ambassadeur de Cuba en France, nous explique ici les enjeux au moment où l’île connaît un renouveau économique sans précédent.

La Lettre Diplomatique : Monsieur l’Ambassadeur, le Premier Vice-Prési-dent et Ministre des Forces révolutionnaires Raul Castro assume les prérogatives de Chef de l’Etat par intérim depuis le 31 juillet 2006. Quelle est votre vision des enjeux que posera à terme pour la société cubaine, le retrait inéluctable de la vie politique du Président Fidel Castro ?

S.E.M Rogelio Placido Sanchez Levis :
Il est nécessaire de comprendre la Révolution cubaine dans sa continuité. Le Commandant en Chef a joué un rôle décisif dans le processus d’émancipation politique et culturelle de Cuba, et de fait, c’est lui qui peut revendiquer tant d’années de lutte en faveur de l’indépendance nationale.
Cependant, il faut aussi reconnaître que Fidel a hérité du legs historique de générations d’illustres cubains comme Jose Marti, notre héros national, Carlos Manuel de Céspedes, et beaucoup d’autres encore. Un siècle après  la naissance de Marti, Fidel a organisé et mené à bien l’une des actions politiques et militaires les plus importantes de l’histoire cubaine contre la dictature de Fulgencio Batista en 1953. Avant cette date, des évènements majeurs et d’importantes personnalités avaient aussi pu témoigner que l’esprit révolutionnaire et la cause de la libération nationale, n’étaient pas perdus.
Après la mort de Marti, la lutte s’est portée contre la dictature sanglante de Gerardo Machado, une étape qui s’est étendue de 1925 à 1933 ; nous avons également combattu le fascisme. Autrement dit, la Révolution est le résultat d’un processus historique dont l’acteur principal est le peuple – ainsi que des leaders exceptionnels bien entendu – qui a renversé le colonialisme espagnol, qui s’est révolté contre la brutalité de l’esclavage, qui n’a jamais accepté l’idée de s’annexer aux Etats Unis et qui a terminé radicalement et définitivement avec sa condition de néo-colonie états-unienne.
A chacune de ces étapes, des personnalités remarquables se sont distinguées, qui ont combattu en même temps, aux côtés d’autres personnalités et d’autres générations. C’est le cas de Fidel, qui partage la direction du pays avec des camarades d’un grand courage qui ont également joué, en leur temps, des rôles très importants.
Il existe des garanties absolues qui assurent la continuité de la Révolution : une identité forte et définie, une culture politique profonde, un peuple très cultivé et une grande cohésion.

L.L.D. : Le Premier Vice-Président Raul Castro a renouvelé dans son discours du 2 décembre 2006, la proposition de Cuba de trouver une solution diplomatique au conflit larvé qui l’oppose aux Etats-Unis. Au regard du durcissement de la politique américaine à l’égard de votre pays depuis juin 2004, dans quelles conditions l’ouverture de négociations serait-elle envisageable ? L’arrivée d’une nouvelle administration à l’issue des élections américaines de novembre 2008 pourrait-elle favoriser la reprise du dialogue entre les deux pays ?

S.E.M.R.P.S.L. :
Notre disponibilité au dialogue dans le respect de notre indépendance est aussi ancienne que la Révolution elle-même. Fidel Castro lui-même l’a affirmé à plusieurs reprises.
Tout récemment, le 2 décembre 2006, le Premier Vice-Président Raul Castro a renouvelé cette position : notre pays serait prêt à résoudre autour d’une table de négociations, le différend prolongé entre les Etats-Unis et Cuba, sur la base des principes d’égalité, de réciprocité, de non ingérence et de respect mutuel. Ces conditions seraient les mêmes pour toute administration nord-américaine soit républicaine, soit démocrate. Nous préserverons quel qu’en soit le prix nécessaire, la liberté du peuple cubain, ainsi que l’indépendance et la souveraineté de la Patrie.

L.L.D. : Près de quinze ans après le début de la « période spéciale » qui a vu le niveau de vie des Cubains s’effondrer, l’économie de l’île connaît un regain de croissance soutenu, avec une hausse du PIB de plus 10% ces deux dernières années. Quelles marges de manœuvre ce dynamisme permet-il de dégager pour réduire les inégalités sociales, mais aussi pour développer les infrastructures du pays ?

S.E.M.R.P.S.L. :
Votre question mérite plusieurs commentaires. Tout d’abord, nous avons dû reconstruire notre économie après la désintégration de l’URSS ; un coup dur qui s’est traduit par la perte de presque 90% de nos échanges, ainsi que des sources de technologie et de financement pour notre économie. Parallèlement, le blocus était renforcé par les Etats-Unis. Malgré ces conditions dramatiques et exceptionnelles, nous sommes restés parmi les pays à disposer d’un développement humain élevé, d’après les données des Nations unies. En guise d’exemple, dans les pires années de la « période spéciale », le taux de mortalité infantile a continué à diminuer pour atteindre aujourd’hui 5,3%, sans compter les 25 municipalités appartenant à 12 provinces où il n’y a pas eu de décès d’enfants à la naissance en 2006.
Deuxièmement, Cuba est l’un des pays dans le monde où l’équité des niveaux de revenus est la plus grande, malgré les mesures douloureuses et incommodantes appliquées durant ces dernières années, pour survivre dans les conditions critiques que j’ai mentionné précédemment. Parmi ces mesures, je citerais l’introduction du dollar, dont la dépénalisation et la libre circulation ont été adoptées avec d’autres mesures pour combattre le grave déficit de notre balance extérieurs des paiements.
Comment surmonter la perte du jour au lendemain, de nos principaux marchés, de nos principales sources de crédits et de capitaux ? L’introduction du dollar dans le marché intérieur et de l’investissement étranger direct dans des secteurs essentiels de l’économie, ont joué un rôle fondamental dans ce sens. Cela, nous a permis en même temps, de ne pas appliquer les « thérapies de choc » (dévaluation monétaire, privatisations) préconisées par le Fonds monétaire international (FMI). Nous n’avons pas fermé une seule école, pas un seul patient n’a cessé de recevoir des soins médicaux dans les hôpitaux, la sécurité sociale n’a pas été affectée, aucune privatisation n’a été faite… Nous continuons à défendre notre modèle de solidarité et de justice sociale.
Troisièmement, presque trois ans après la débâcle de l’Europe de l’Est, Cuba a vu sa croissance augmenter (plus visiblement à partir de 1995) à une moyenne de 4%, alors que les menaces ouvertes des Etats-Unis battaient leur plein, que le commerce avec les filiales nord-américaines des pays tiers était devenu impossible, qu’une intimidation à l’encontre des entrepreneurs du monde entier réalisant des investissements à Cuba était mise en œuvre, et que tout accès aux crédits de la Banque mondiale et du FMI était fermé. Un véritable exploit.
Quatrièmement, Cuba est devenu l’une des économies les plus dynamiques d’Amérique latine et des Caraïbes, malgré le renforcement des menaces et des pressions. En 2006, la croissance économique s’est élevée à 12,5%. En moins de quinze ans, les changements ont été extraordinaires, à savoir : notre économie est plus efficace, plus productive, mieux adaptée à l’environnement international, moins consommatrice d’énergie, plus protectrice de l’environnement. Nous nous acheminons vers une économie de services à haute valeur ajoutée, où le tourisme, les services, les produits et les équipements médicaux, biotechnologiques, ainsi que les sciences de l’information, jouent un rôle déterminant.
Cinquièmement, nous défendons le principe qu’il ne peut y avoir de croissance économique sans croissance sociale, d’où les programmes que nous développons et qui sont étroitement associés à la qualité de vie de notre population comme le logement, l’emploi, l’industrie alimentaire et pharmaceutique, le transport, l’énergie, la santé, la culture, l’éducation, les services au « troisième âge ».
Sixièmement, nous sommes solidaires avec le reste du monde. Cuba a établi des relations de coopération avec 155 pays et des liens avec 1 846 organisations de solidarité.
De 1963 à 2006, la coopération cubaine à l’étranger représente une participation de 270 743 collaborateurs, dont 131 770 (48,7%) font partie du secteur de la santé. 39 933 coopérants prêtent actuellement leurs services dans 105 pays. Leur présence est majoritaire en Amérique latine (88%) et en Afrique (6,6%). Dans le total des effectifs de ces coopérants, 30 945 (77,5%) travaillent dans le secteur de la santé dans 68 pays.
26 584 jeunes de 120 pays suivent des études à Cuba, dont 21 124 (79,5%) en médecine, grâce au Nouveau programme de formation de médecins (NPFM).
Au cours des sept dernières années de coopération, les brigades médicales cubaines ont réalisé plus de 272 millions de consultations médicales et ont effectué des opérations chirurgicales auprès de plus de 2 millions d’habitants.

L.L.D. : Au regard du fort potentiel du secteur pétrolier ou des biotechnologies, comment le gouvernement cubain entend-il soutenir la diversification et la modernisation de l’économie ?

S.E.M.R.P.S.L. :
En effet, le potentiel dans le domaine énergétique est important, non seulement en matière de disponibilité des ressources et de perspectives de développement pour le pétrole, le gaz naturel, l’énergie éolienne, mais aussi en ce qui concerne la philosophie et le modèle d’utilisation et de consommation préconisés par la révolution énergétique mise en œuvre actuellement dans notre pays.
Dans moins de deux ans, nous aurons ainsi doublé notre capacité de production électrique et réduit de plus de 40% la consommation d’énergie grâce à un programme de substitution des équipements de haute consommation, de réparation des réseaux de distribution, etc…
L’avenir de la biotechnologie est également prometteur. Nous entretenons des échanges dans ce domaine avec 50 pays ; il existe plus de 500 brevets de produits de cette industrie déposés dans le monde entier, en plus des résultats exceptionnels obtenus avec leur application.
De nouveaux programmes de recherches – y compris sur le cancer et le SIDA – sont également développés au travers de l’industrie biotechnologique. Il faut reconnaître à cet égard que le travail de nos scientifiques en matière de production d’antirétroviraux a considérablement réduit le nombre des maladies dites opportunistes chez les patients atteints par le VIH, améliorant ainsi leur espérance et leur qualité de vie. Des réussites importantes ont aussi été obtenues dans le domaine des vaccins contre le cancer, un fléau qui atteint des centaines de milliers de personnes dans le monde.
Ces exemples et d’autres encore témoignent des changements profonds qui ont marqué notre économie. Nous ne dépendons plus de la canne à sucre. Le tourisme, l’informatique, la biotechnologie, les services professionnels, entre autres, viennent désormais s’y ajouter.

L.L.D. : Cinquante ans après le lancement de la guérilla contre le régime de Batista en 1956, la génération qui est arrivée á l’âge adulte au début de la « période spéciale » est appelée à prendre le relais de celle qui a accompli la révolution. Quelles sont, de votre point de vue, les aspirations de cette nouvelle génération mais aussi les défis qui se posent à elle ?

S.E.M.R.P.S.L. :
Pour les générations qui ont vécu le changement révolutionnaire de 1959 ou qui sont nés juste avant, il a été plus facile de comprendre les dimensions, les significations et la valeur de la Révolution. Cependant, d’autres, notamment celles qui ont grandi avec les acquis sociaux qu’elles considèrent naturels, n’ont parfois aucune idée de ce que pourrait coûter, ailleurs dans le monde, une intervention aussi complexe qu’une greffe du cœur ou du foie par exemple, ou le coûts que représente les études d’un docteur ès sciences.
Ces nouvelles générations, qui n’ont pas vécu Giron, ni la lutte dans l’Escambray, ni la crise des missiles, ont évolué au milieu des carences matérielles et des restrictions, mais aussi sous l’effet politique, moral, idéologique et psychologique de la défaite du socialisme dans les pays qui ont constitué l’avant-garde dès la fin de la Deuxième guerre mondiale jusqu’à la fin des années 80 et le début des 90.
Ces générations sont-elles mobilisées et par quel intermédiaire aujourd’hui ? Une identité enracinée ; une éducation et une culture profondes leur permettant de comprendre la réalité du monde actuel, de leur faire comprendre que l’alternative du projet révolutionnaire ne serait jamais le modèle de développement de l’Europe occidentale, mais la dépendance à l’égard des Etats-Unis et l’approfondissement du sous-développement ainsi que le retard dans tous les domaines de la vie.
L’exemple de Fidel et de sa génération de révolutionnaires, constitue également une source d’inspiration pour les Cubains les plus jeunes. Cependant, nous assumons le défi collectif de faire du socialisme que nous construisons, un modèle plus juste, plus participatif, plus humain et plus efficace.

L.L.D. : En visite officielle à La Havane en avril 2005, le Président Hugo Chavez et son homologue Fidel Castro ont présenté le partenariat entre le Venezuela et Cuba comme « le moteur de l’Alternative bolivarienne pour les Amériques (ALBA) ». Comment décririez-vous, au-delà de la coopération énergétique, la nature stratégique de ce partenariat ? Alors que le Nicaragua du Président Daniel Ortega a récemment rejoint cette initiative, quelles sont les perspectives de développement de l’ALBA et quels atouts peut-elle offrir à votre pays ?

S.E.M.R.P.S.L. :
L’Alternative Bolivarienne pour l’Amérique latine et les Caraïbes (ALBA) constitue une initiative d’intégration qui met l’accent sur la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Elle exprime, par conséquent, les intérêts des peuples latino-américains.
L’ALBA est plus nécessaire que jamais comme alternative pour le développement des peuples, comme instrument de résistance à l’égoïsme et comme témoignage que les peuples se refusent à ce qu’un gouvernement, celui des Etats-Unis, devienne le maître du monde.
Deux ans à peine après sa création, le projet de l’ALBA rassemble quatre pays (Cuba, le Venezuela, la Bolivie et le Nicaragua) et étend ses actions de coopération vers beaucoup d’autres pays. L’ALBA est plus qu’un Traité de commerce ; il forme un processus d’intégration conçu pour la solidarité et la coopération.
Ses principaux domaines d’intérêt sont le combat contre l’analphabétisme, la santé, l’accès à l’éducation, l’intégration énergétique, la culture, la création d’infrastructures, etc…
Ce qui a été fait, pourrait être résumé comme suit :
– 30 000 médecins coopèrent dans les services de santé et 70 000 jeunes suivent une formation pour devenir médecins ;
– 2 millions de latino-américains ont appris à lire.
– Plus de 60 000 personnes opérées de maladies associées à la vue.
– Des techniciens et des professionnels d’un pays travaillent dans d’autres pays.
– Les échanges commerciaux sont exempts de taxes douanières et de barrières absurdes.
– Des entreprises mixtes au bénéfice des peuples et non pour l’intérêt lucratif des propriétaires.
– Des prêts, des facilités commerciales, des investissements, des accès sans restriction aux progrès des sciences, sans que les connaissances soient un objet de marché.
– Un ravitaillement stable en carburant avec des facilités financières et une conception claire d’une générosité solidaire.
D’autres projets sont en cours dans des secteurs vitaux comme la création de la Banque du Sud pour mettre fin à cette absurdité : nos pays financent les déficits de l’économie nord-américaine avec leurs réserves monétaires qui sont déposées aux Etats-Unis, et qu’une partie de cet argent retourne vers la région sous forme de prêts à des taux d’intérêts élevés et à des conditions irritantes, en plus que ce soit surveillé par la Banque mondiale, le FMI ou le BID.
L’ALBA a été créé non seulement dans l’intention de renverser l’ALCA, mais aussi dans le but de conquérir la justice sociale et le droit au développement des peuples. En bref, il s’agit de construire un monde meilleur et de promouvoir la solidarité.

L.L.D. : À l’instar de l’opération « Milagro », l’aide médicale constitue un axe fondamental de la diplomatie cubaine. Quels sont les atouts de cette « diplomatie sociale » pour votre pays ? Dans quelle mesure est-elle appelée à acquérir un rôle croissant et à se diversifier dans le cadre de systèmes d’échanges comme I’ALBA qui cherche à favoriser les complémentarités entre différents pays ?

S.E.M.R.P.S.L. :
L’ « Opération Miracle » a commencé en 2004. Son nom a été suggéré par le Président cubain Fidel Castro, à la lumière des plan d’éducation mis en place au Venezuela au moment où beaucoup de personnes, notamment des enfants, ne pouvaient pas lire ou éprouvaient des difficultés visuelles.
C’est ainsi qu’a été lancée cette initiative. Elle s’étend désormais à 29 pays et met l’homme au premier plan, sans tenir compte de sa condition sociale, de son âge, ou de son origine. Son but est de préserver et de faire recouvrir la vue à pas moins de 6 millions de patients en 10 ans.
Des chiffres croissants témoignent que cette opération se développe dans 29 pays d’Amérique latine et les Caraïbes, dont Cuba. 369 302 patients ont d’ores et déjà bénéficié de ce programme, parmi lesquels 53 400 d’Amérique latine, 20 386 des Caraïbes, 216 043 Vénézuéliens et 79 473 Cubains (dans ces pays,
1 habitant sur 1 288 a bénéficié du programme). Sur les trente Centres ophtalmologiques et Antennes chirurgicales prévus dans le programme, dix-huit sont déjà opérationnels.
La création du Contingent International de Médecins « Henry Reeve », spécialisé dans les situations de désastres et de graves épidémies, s’inscrit dans le cadre de cette opération. La première offre d’assistance a été proposée au gouvernement des Etats-Unis (lors de l’ouragan Katrina), lequel n’a jamais répondu.
Les premières missions de ce Contingent sont arrivées au Guatemala, Pakistan, Bolivie et Indonésie, comptant environ 4 000 collaborateurs et incluant l’installation d’hôpitaux de campagne au Pakistan et en Indonésie
En 2006, Cuba a également ouvert une Ecole d’infirmières en Dominique avec un effectif de 150 étudiants. Une autre école est en cours de gestation au Belize. D’autre part, 166 jeunes de Saint-Vincent et 23 de Saint-Kitts suivent cette formation dans notre pays.

L.L.D. : Illustrant l’approfondissement de la coopération entre les pays des Caraïbes, le IIIème sommet de Petrocaribe s’est réuni les 7 et 8 juin 2007. Au-delà de cette initiative, quelles sont les priorités de votre pays pour renforcer les liens entre Cuba et les Etats membres du CARICOM ? Plus généralement, comment percevez-vous le changement du paysage politique dans l’ensemble de l’Amérique latine ?

S.E.M.R.P.S.L. :
Cuba et le CARICOM sont unis par des liens axés sur la fraternité et la solidarité. Il existe une identité caribéenne partagée qui accroît les opportunités de coopération et de concertation sur les positions en faveur de la promotion de nos valeurs et objectifs communs dans différents forums et organisations internationales.
Les Caraïbes représentent notre premier partenaire de coopération dans le monde, ce qui résulte d’une relation historique, politique et culturelle profonde.
Actuellement, nos relations sont dynamiques et leur développement est constant. En témoignent, les programmes de coopération fondés sur le respect mutuel et le principe de responsabilité partagée, mis en place sur des sujets tels que la protection et la préservation de l’environnement, l’utilisation durable des ressources naturelles, notamment dans la mer des Caraïbes, la lutte contre le terrorisme et le crime organisé. Le CARICOM salue d’ailleurs l’action de Cuba pour soutenir la lutte contre la pandémie du VIH/SIDA et dans le domaine du changement climatique.
Cuba accueille également avec bienveillance la solidarité des pays du CARICOM, qui refusent fermement le blocus criminel imposé contre notre nation, en même temps qu’ils renouvèlent leur engagement dans la lutte contre toute forme de terrorisme.
Cuba continue à encourager la coopération avec l’ouverture sur l’île d’une nouvelle faculté de médecine où 400 jeunes du CARICOM pourront faire leurs études. Actuellement, 1 400 professionnels et techniciens cubains apportent leurs efforts et leurs connaissances dans onze domaines différents du développement économique et social de ces pays, dont plus de 800 médecins, infirmières et techniciens de la santé.
Durant les 45 dernières années, plus de 2 400 jeunes provenant du CARICOM ont été diplômés chez nous, dont plus de 700 spécialisés en médecine. Plus de 300 de ces 1 500 étudiants actuellement présents à Cuba seront diplômés comme médecins.
Plus largement, Cuba se félicite du fait que les peuples latino-américains aient exprimé leur indignation et leur refus, de manière progressive ces derniers temps, face aux politiques des gouvernements et des partis traditionnels subordonnés à l’Empire.
La faim constitue l’un des problèmes globaux les plus complexes auxquels fait face l’humanité. Il y a actuellement sur la planète deux milliards d’affamés, et tout semble indiquer que ce chiffre ne diminuera pas, ni a court terme ni à long terme.
Environ 80 millions d’êtres humains viennent au monde chaque année, requérant chaque fois des aliments plus difficiles à produire, entre autres raisons, à cause de la dégradation des sols et des effets néfastes des changements climatiques sur eux et sur l’activité agricole en particulier.
Si les biocarburants se consolident comme paradigme énergétique, cette situation deviendrait insupportable et ses conséquences seraient dramatiques et très graves.
Notre Président a bien fait une mise en garde sur ce thème majeur. Les économies les plus développées ne disposent pas de surfaces de terres disponibles suffisantes pour faire face à leurs gigantesques nécessités énergétiques. Ce seraient donc aux pays sous-développés du Sud qui devraient sacrifier de larges surfaces de terre, au détriment de leur sécurité alimentaire ; sans compter la pollution de l’air, des sols, des fleuves, des cultures et des sources d’eau potable. Un autre élément à considérer serait les tragiques conséquences qui en découleraient pour les paysans dans les différents domaines.
La clé se trouve dans le changement du modèle de consommation qui doit être rationnel. Les rythmes actuels sont insupportables. Les Etats-Unis consomment aujourd’hui cinq fois plus d’énergie que la moyenne mondiale.
A Cuba, nous mettons en œuvre actuellement une Révolution énergétique visant à permettre une utilisation plus rationnelle et plus efficace de l’énergie. La substitution des bougies incandescentes – par des fluorescentes – et des équipements industriels et ménagers hautement consommateurs d’énergie, nous a permis, en moins de deux ans, de réduire la demande énergétique de 30%. Parallèlement, nous avons amélioré et augmenté de manière substantielle, la génération et la transmission d’électricité par la rénovation des usines thermiques et des réseaux de distribution, ainsi que par l’installation de groupes électrogènes.
Le développement des sources énergétiques renouvelables telles que l’énergie éolienne, solaire et hydraulique, constitue un axe essentiel de cette stratégie de développement économique, social et humain.
Dans ces conditions, il devient impossible de consacrer la production de canne sucre à la production d’éthanol. Les faibles niveaux de rendement dus à la combinaison fatale de la sécheresse avec des pluies intenses, des hivers longs et plus modérés, ainsi que la dégradation de nos sols depuis deux siècles par une exploitation intensive, nous éloignent de ce choix.
Les résultats de Cuba dans le domaine du développement durable, ont été reconnus par la Fondation mondiale de la Nature (WWF, en anglais). L’utilisation rationnelle de l’énergie, le développement de sources alternatives et l’indice élevé de développement humain (50ème rang mondial en 2006) ont été décisifs pour parvenir à ces résultats.

L.L.D. : En dépit du renforcement de l’embargo économique américain, Cuba est parvenu à accroître sa position sur la scène internationale, dont témoigne l’intensification des relations avec la Chine. Quels sont les domaines privilégiés de la coopération sino-cubaine ?

S.E.M.R.P.S.L. : La Chine est une nation à laquelle nous sommes unis par des liens historiques, d’amitié et de solidarité profonds.
Le poids du « géant asiatique » dans l’économie mondiale ainsi que son influence croissante sur la politique internationale sont incontestables. De fait, la Chine est membre permanent du Conseil de sécurité, et joue, en tant que tel, un rôle toujours plus actif dans l’analyse des problématiques internationales complexes.
La profondeur du dialogue politique cubano-chinois, ainsi que le niveau croissant de convergences de vue dans les forums et les organismes multilatéraux, sont aujourd’hui impressionnants.
En 2006, nos échanges commerciaux ont dépassé 2 milliards de dollars américains et la coopération économique s’est étendue à des domaines stratégiques pour les deux pays, comme l’industrie médico-pharmaceutique, la biotechnologie, le nickel, l’électronique, la sidérurgie, le transport, l’hôtellerie, et beaucoup d’autres encore.
Nos relations bilatérales sont en outre marquées par le financement d’importants programmes de développement à Cuba.
Enfin, j’ajouterais que nous admirons l’histoire, le courage et la richesse culturelle de ce beau peuple, et nous avons confiance en la sagesse de sa culture millénaire et son dévouement pour faire face aux grands défis du présent et de l’avenir.

L.L.D. : Témoignant de l’intensification des relations russo-cubaines, le Premier ministre Mikhaïl Fradkov a effectué une visite officielle à La Havane en septembre 2006, avant qu’un accord renforçant les consultations politiques bilatérales ne soit conclu en décembre. Comment qualifieriez-vous le renouveau impulsé aux liens qui unissent les deux pays, sept ans après la visite historique du Président Vladimir Poutine ?

S.E.M.R.P.S.L. :
Les rapports entre Cuba et la Russie traversent actuellement la meilleure période qu’ils aient connu depuis la disparition de l’URSS. Les échanges entre leurs ministères des Affaires étrangères, ainsi que le dialogue politique et la coopération dans plusieurs domaines, se développent d’une manière croissante et sans entraves.
En 2006, la Russie a adopté l’octroi d’un crédit gouvernemental qui a sensiblement élargi les relations économiques et commerciales bilatérales.
Dans ce domaine, les échanges dépassent désormais les 300 milliards de dollars et la coopération s’étend à plusieurs secteurs. Le tourisme émerge comme un secteur de poids dans nos rapports.
Les vues de Cuba et de la Russie convergent sur un large éventail des sujets de l’Agenda international, y compris ceux qui sont relatifs au rôle de l’ONU et aux principes recueillis dans sa Charte, qui constitue la base du droit international.
Notre gouvernement est attaché à poursuivre l’élargissement de nos liens avec la Russie, compte tenu des rapports d’amitié traditionnels qui ont uni leurs peuples.
Nous reconnaissons d’ailleurs le rôle décisif que peut jouer la Russie en faveur du multilatéralisme dans les relations internationales, de la coopération Nord-Sud, ainsi que dans la préservation de la paix et la sécurité internationales.

L.L.D. : Inaugurant à La Havane en septembre 2006, la présidence du Mouvement des Non Alignés qu’il occupe jusqu’en 2009, votre pays a fait de la réactivation de l’organisation sa priorité. Dans la perspective d’une réforme des Nations unies et de l’architecture financière internationale, comment le MNA peut-il accroître son poids dans le débat sur le renforcement du multilatéralisme ? Autour de quels axes majeurs pourrait être mis en œuvre un rééquilibrage des relations entre les pays du Nord et les pays en voie de développement ?

S.E.M.R.P.S.L. :
Le succès du Sommet qui s’est tenu à La Havane et l’excellent niveau de participation témoignent de l’actualité du Mouvement comme mécanisme d’approche et de décision sur les problématiques internationales les plus urgentes.
Cuba a en assumé la présidence avec une grande responsabilité, un engagement fort, tout en étant pleinement conscient de sa signification politique.
Le nombre élevé des membres, ainsi que la représentativité du Mouvement, lui confèrent un grand pouvoir d’attraction et une capacité d’influence dans les différents forums internationaux.
A l’heure où s’accentuent les effets nocifs de l’unilatéralisme imposé par les Etat-Unis comme manière d’agir sur la scène politique internationale, le rôle du Mouvement des Pays Non-Alignés devient un rôle clé pour la promotion du multilatéralisme, le respect des principes du droit international, la résolution pacifique des divergences et des conflits, la réforme de l’ONU et d’actions conjointes pour faire face aux problématiques qui affectent le plus l’humanité dont, entre autres, le sous-développement, l’épuisement des sources d’énergie ou les changements climatiques.
Parmi les documents adoptés par les Chefs d’Etat ou de gouvernement, je soulignerais la Déclaration sur la Palestine par laquelle le Mouvement réaffirme sa solidarité avec la cause du peuple palestinien. Les pays du MNA ont également dénoncé, dans la Déclaration finale, que les bombardements sans distincition et généralisés contre la population civile libanaise, constituent une grave violation des principes de la Charte des Nations unies au regard du droit international et du droit humanitaire international.
Le mot d’ordre est de redynamiser le Mouvement et de le placer au cœur des grands défis auxquels se heurte le monde à l’heure actuelle.

L.L.D. : Le XIVème Sommet du MNA a également été l’occasion pour Cuba d’aborder l’enlisement de la guerre en Irak et les déchirures du Proche-Orient. Quelle est votre vision des conditions d’une stabilisation du Moyen-Orient ? Près de six ans après les attentats du 11 septembre que le Président Fidel Castro avait fortement condamné, quel regard portez-vous sur la lutte contre le terrorisme ? Quel type de coopération votre pays a-t-il noué avec la communauté internationale dans ce domaine?

S.E.M.R.P.S.L. :
Le soutien du Mouvement des Pays Non-alignés à la cause du peuple frère palestinien est clair, juste, opportun et très mérité à l’égard une nation qui a largement gagné le droit à exister.
Que les Etats-Unis permettent d’appliquer les résolutions des Nations unies définissant les droits inaliénables du peuple palestinien, serait d’une grande importance, car cela constitue une condition essentielle à la résolution du conflit du Moyen-Orient.
Comme vous le soulignez, notre solidarité à l’égard du peuple nord-américain à l’occasion des attentats du 11 septembre 2001 (nous avons été les premiers à condamner ces actes), ainsi que la proposition que nous avons faites au gouvernement américain de mettre en place une coopération humanitaire, étaient accompagnées d’une condamnation du terrorisme indépendamment des circonstances, de ou des auteurs, et/ou de ceux qui les ont commandités.
Il s’agit d’une position de principe, qui s’appuie sur notre expérience morale puisque nous avons été l’une des victimes de ce fléau tout au long de notre histoire.
Cuba a vu mourir plus de 2 000 de ses fils, victimes des actes terroristes commis avec la complicité du gouvernement des Etats-Unis.
Actuellement, nous menons un combat pour que l’un des terroristes les plus connus de l’histoire contemporaine soit jugé, à savoir Luis Posada Carriles, un avorton de la CIA et l’auteur avoué de l’explosion en plein air d’un avion de la compagnie Cubana de Aviacion.
Le gouvernement nord-américain refuse de le condamner en tant que terroriste, ainsi que de l’extrader vers des pays où des procédures judiciaires sont ouvertes contre lui, en violation flagrante des lois nord-américaines elles-mêmes et des lois internationales.
Cuba a adhéré aux 12 conventions internationales relatives à la lutte contre le terrorisme des Nations unies. Le gouvernement nord-américain a rejeté un programme présenté par Cuba de lutte contre le terrorisme dans notre région.
En revanche, je tiens à souligner que les pays des Caraïbes forment un partenaire important de Cuba dans le domaine du combat antiterroriste.

L.L.D. : A l’aune du soutien manifesté par Cuba et les autres pays du MNA à l’égard du programme nucléaire iranien, comment analysez-vous le processus de sanctions engagé au Conseil de Sécurité des Nations unies ? Plus généralement, quelle est votre approche de la problématique que pose la prolifération d’armes de destruction massive dans le monde ?

S.E.M.R.P.S.L. :
Le XIVème Sommet du Mouvement des Pays-Non Alignés de La Havane s’est clairement exprimé sur la défense du droit inaliénable de tous les Etats à utiliser l’énergie atomique à des fins pacifiques. Une grande majorité d’Etats se sont ainsi prononcés contre les tentatives de priver un pays de ses droits dans ce domaine.
La Déclaration finale du Sommet réaffirme ainsi le droit fondamental et inaliénable de tous les Etats à développer la recherche, la production et l’utilisation de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques, en même temps qu’elle rejette tout monopole de la technologie nucléaire, l’hypocrisie et la politique de « deux poids deux mesures ». En d’autres termes, les pays qui font partie de ce mouvement rejettent le perfectionnement et l’accroissement des armes nucléaires de ceux qui les possèdent déjà, ceux-la mêmes qui interdisent aux autres d’utiliser l’énergie nucléaire pour produire de l’électricité ou en vue d’applications médicales, en bref, à des fins pacifiques.
Nous sommes partisans d’un désarmement général et complet qui représenterait la meilleure garantie à la stabilité et à la survie de l’espèce humaine. En effet, il ne sert à rien de limiter la prolifération pour un groupe de pays d’une part, et de continuer à produire des armements plus sophistiqués et aux capacités létales renforcées, d’autre part.
Les Etats-Unis ont une grande responsabilité à cet égard. La double morale doit cesser lorsqu’on aborde un sujet aussi important.
Notre engagement en matière de désarmement est profond. Nous sommes partie prenante du Traité de non prolifération des armes nucléaires (TNP) ainsi que du Traité pour l’interdiction des Armes nucléaires en Amérique latine et Caraïbes (Traité de Tlatelolco). Toute cela, d’ailleurs, en dépit du fait  que notre adversaire principal, soit la puissance nucléaire la plus grande du monde.

L.L.D. : En marge de son intervention au Conseil des droits de l’homme des Nations unies à Genève en mars dernier, le Ministre des Affaires étrangères Felipe Perez Roque a déclaré que Cuba serait prêt à rendre plus transparente sa situation dans ce domaine. Quelles initiatives pourraient-elles être prises en ce sens ? Comment appréhendez-vous les critiques adressées à Cuba en matière de liberté d’expression et d’opinion ? Quels seraient les fondements d’un « véritable système de promotion et de protection des droits de l’homme» que M. Felipe Perez Roque appelle de ses vœux ?

S.E.M.R.P.S.L. : Je pense que vous faites référence au discours prononcé par le Ministre cubain des Affaires étrangères, lors de la réunion de Haut Niveau du Conseil des Droits de l’Homme qui s’est tenue le 13 mars 2007, à Genève.
Dans son allocution, notre Ministre s’est prononcé, premièrement, en tant que représentant d’un Etat qui exerce la présidence du Mouvement des Pays Non Alignés, sur les résultats du XIVème Sommet qui a eu lieu à La Havane, dans les domaines d’intérêt de cet organe.
Le Ministre Felipe Perez Roque a exprimé le refus par les pays réunis, de la sélectivité et de l’attitude de « deux poids, deux mesures » en matière de promotion et de protection des droits de l’homme, et de son utilisation à des fins politiques. Il a également fait allusion à l’appel de ce bloc de pays à faire du droit au développement une priorité à l’égal de tous les autres droits de l’homme et des libertés fondamentales.
D’autre part, le dirigeant cubain a mis en garde sur les risques que pourrait prendre le Conseil, comme ce fut le cas de l’ancienne Commission des Droits de l’homme, de se discréditer par une politisation et une approche de « deux poids deux mesures », avant même que ne soient conçus ses mécanismes de fonctionnement et ses méthodes de travail. En disant cela, le ministre cubain a exprimé le sentiment des pays membres des Nations unies qui refusent que le Conseil fasse le choix de la sélectivité, de la manipulation politique et qu’il se transforme en un tribunal inquisiteur contre les pays pauvres du Sud, garantissant en même temps l’impunité des riches.
Quand condamnera-t-on les violations des droits de l’homme à Guantanamo, celles commises par les occupants en Iraq, celles perpétrées par le gouvernement d’Israël dans le territoire palestinien occupé ?
L’engagement de Cuba en faveur de la promotion et de la protection des droits de l’homme est historique et consubstantiel à la philosophie humaniste de la Révolution elle-même. L’emploi, la sécurité sociale, la santé, le logement, la culture, l’éducation, la terre de tous ceux qui la travaillent, l’égalité de genre, la participation dans la gestion politique de la société, constituent autant de droits déjà conquis par le peuple cubain. Il s’agit maintenant de les perfectionner et les approfondir.
A l’échelle internationale, nous avons réaffirmé notre attachement aux droits de l’homme. Nous avons ratifié les 15 principaux traités couvrant ce domaine et nous avons reçu la visite de rapporteurs thématiques ainsi que du Haut Commissariat pour les droits de l’homme de l’ONU.
Nous considérons qu’il y a encore beaucoup à faire dans le monde en faveur de ces droits, y compris dans le domaine très important que vous mentionnez dans votre question, à savoir la liberté d’expression. Tant qu’il existera une concentration aussi élevée de la propriété des moyens de communication, tant que des journalistes continueront d’être assassinés, il faudra poursuivre une action globale dans ce domaine.
Sur cet aspect comme dans tant d’autres, Cuba demeurera ouvert au dialogue et à l’échange.

L.L.D. : Le Ministre des Affaires étrangères Miguel Angel Moratinos a été, les 2 et 3 avril dernier, le premier haut représentant espagnol à effectuer une visite officielle à Cuba depuis 1998. A la lumière des accords de coopération et du mécanisme de dialogue mis en place entre les deux pays, quelles sont, à vos yeux, les motivations du rapprochement initié par la diplomatie espagnole ? En quoi peut-il ouvrir la voie à une reconsidération des relations avec l’Union européenne, gelées depuis les sanctions communautaires de 2003 ?

S.E.M.R.P.S.L. :
La visite du ministre Moratinos à La Havane, s’insère dans le processus de normalisation des liens entre Cuba et l’Union européenne, dans lequel l’Espagne a joué un rôle fondamental.
Il s’agit de la rectification d’une politique qui s’est détournée des fondements sur lesquels sont construits nos rapports avec le monde, à savoir : le respect de la souveraineté et de l’indépendance, la non-ingérence, entre autres.
D’où l’importance de l’engagement des ministres des Affaires étrangères de l’Espagne et de Cuba à relancer les relations politiques, économiques, commerciales et de coopération, sur la base des principes consacrés par le droit international.
Nous sommes attachés au maintien des rapports avec l’Europe, un continent avec lequel des liens historiques et culturels profonds nous unissent. Ces liens ont constitué le socle d’une relation qui comprend de multiples domaines. De fait, l’Europe est, dans son ensemble, le premier investisseur direct dans notre économie, notre deuxième partenaire commercial et le premier émetteur de tourisme vers Cuba. Nous sommes en même temps ouverts et prêts à échanger dans tous les domaines, même politiques, sur la base du respect mutuel.
Tout signal de rapprochement entre Cuba et l’Union européenne, inquiète sans doute, les Etats-Unis qui seront prêts à utiliser ses laquais à l’intérieur de l’Europe pour empêcher toute normalisation.

L.L.D. : Lancée en 1975 avec la signature de leur premier accord, la dynamique des relations de coopération entre Cuba et la France demeure modeste depuis quatre ans. Comment analysez-vous la position de la diplomatie française à l’égard de votre pays? Quelles opportunités le nouveau gouvernement français vous semble-t-il ouvrir pour donner un nouvel élan aux rapports entre les deux pays ?

S.E.M.R.P.S.L. :
Les rapports entre Cuba et la France se sont construits tout au long de l’histoire, sur la base d’une sympathie naturelle et réciproque entre ses deux peuples.
La pensée et l’action politique du XIXème siècle à Cuba sont très marquées par trois grandes révolutions, à savoir : la nord-américaine, la haïtienne et la française. L’empreinte de cette dernière à Cuba a été profonde pour tout ce que l’Illustration a signifié dans les domaines artistique, intellectuel et politique ; pour l’admiration que les encyclopédistes y ont suscité ; pour les principes arborés par un processus de changement aussi extraordinaire. C’est si véridique, que notre drapeau, notre hymne, nos arts, notre musique et beaucoup de nos traditions, sont très marquées par cette révolution.
D’où le fait que les conditions sont déjà présentes pour surmonter les adversités et faire face à l’avenir avec tout ce que nous avons en commun et qui nous unit au peuple français.


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