Tourner la page de la tyrannie et de la guerre
Par S.E.M. Mowafak Abboud, Ambassadeur d’Irak en France
Trente-cinq ans durant, l’Irak a été gouverné par le régime dictatorial de Saddam Hussein. Durant cette longue période, trois guerres ont été déclenchées. La première contre l’Iran, la deuxième à la suite de l’invasion du Koweït et la dernière, en mars 2003, qui a entraîné la chute du régime.
Pendant trente-cinq ans, le peuple irakien a été la première victime de ce régime tyran-nique. Des millions d’Irakiens sont morts, victimes des conflits du régime mais également de sa terrible politique de répression. Les charniers découverts ces derniers mois sont la preuve irréfutable de la barbarie de Saddam Hussein. Des millions d’Irakiens ont souffert, emprisonnés, torturés, exécutés. Des milliers d’entre eux ont été martyrisés par l’utilisation d’armes chimiques.
Au-delà de ce bilan humain, l’économie du pays et ses infrastructures ont également subi de vastes destructions. L’Irak, qui était l’un des Etats les plus riches et les plus développés de la région, est devenu l’un des plus pauvres. 4 millions d’Irakiens ont été poussés à l’exil pour fuir les guerres et la répression.
Après la chute du régime de Saddam Hussein, le 9 avril 2003, une autorité provisoire mise en place par la Coalition a pris en charge les affaires de l’Etat, en coopération avec le Conseil intérimaire du Gouvernement irakien.
A la fin du mois de juin 2004, les Nations unies, conformément à la résolution 1546, ont transféré la souveraineté et la légitimité du pouvoir à un gouvernement irakien provisoire formé avec l’aide de Monsieur Lakhdar Brahimi, Envoyé spécial du Secrétaire général des Nations unies pour l’Irak. Ce gouvernement composé d’Irakiens représentatifs de toutes les composantes ethniques, religieuses et politiques du pays, administre l’Irak sur la base d’une loi fondamentale. Cette loi garantit les principes fondamentaux des libertés et des droits de l’Homme pour tous les citoyens irakiens. Elle stipule également le caractère provisoire du gouvernement.
Ce gouvernement provisoire se trouve confronté à trois défis. Le premier est de restaurer la sécurité et la stabilité du pays. C’est un fait, plusieurs villes irakiennes subissent depuis plusieurs mois une série d’attaques terroristes. Des centaines de civils, des femmes, des enfants, des fonctionnaires, des policiers, des gardes nationaux, en sont victimes. Ces attaques visent également les oléoducs, les centrales électriques, les stations de traitement des eaux, ainsi que les experts étrangers venus au chevet du pays pour préparer sa reconstruction. Elles se traduisent par des enlèvements, des attentats contre des bâtiments publics, des ministères. Tous ces actes ont pour but de détruire les infrastructures de notre pays, de paralyser la marche de l’Etat et de provoquer la panique et l’anarchie sous couvert de prétendus actes de résistance contre l’occupant.
Ces terroristes ne représentent pourtant qu’une force isolée au regard de la majorité de la population irakienne qui, elle, refuse la violence et aspire à un avenir meilleur, calme et paisible. Ces terroristes sont des partisans de l’ancien régime qui ont appris à tuer et à assassiner sous la tyrannie de Saddam Hussein. Ils sont alliés à des forces venues de l’étranger, arrivées en Irak pour profiter du vide politique et sécuritaire de l’après-guerre.
La liberté d’expression, à présent garantie en Irak, rend le terrorisme inacceptable. Notre pays doit se concentrer exclusivement à la réparation des dégâts hérités de l’ancien régime.
D’ailleurs, si ces terroristes bénéficiaient réellement d’un soutien au sein de la population irakienne, ils n’auraient qu’à attendre les élections prévues en janvier 2005, pour se faire entendre par la voie légale, d’autant que ces élections seront placées sous la surveillance d’une délégation indépendante du gouvernement composée par les Nations unies.
Le deuxième défi du gouvernement provisoire irakien concerne le processus politique. L’Irak est actuellement gouverné par un gouvernement provisoire, pleinement souverain en vertu de la résolution 1546, qui a mis fin à l’occupation provoquée par la chute de Saddam Hussein.
Ce gouvernement provisoire a été formé en accord avec toutes les composantes politiques, ethniques et religieuses du pays. Composé de Kurdes, de musulmans sunnites et chiites, de chrétiens, de communistes, il se veut le reflet du peuple irakien.
Conformément à la résolution 1546, le gouvernement se trouve engagé dans l’organisation d’élections générales en janvier 2005. C’est à cette occasion que le peuple irakien choisira pour la première fois des représentants qui siégeront au sein d’une assemblée législative, chargée de composer un nouveau gouvernement et de rédiger une nouvelle constitution. Ce document définitif sera soumis à référendum en août 2005. A la suite de ce processus, de nouvelles élections générales seront convoquées avant la fin 2005, conformément à la constitution définitive, pour désigner un parlement et un gouvernement afin d’administrer ce nouvel Irak libre et démocratique. Un comité indépendant proposé par les Nations unies sera chargé d’organiser et de superviser ces élections. Ce processus politique sera ouvert à tous les Irakiens.
En raison de l’omniprésence de la menace terroriste, il constitue un immense défi. Les terroristes mettent tout en œuvre pour empêcher la construction d’un régime démocratique et constitutionnel, qui puiserait sa légitimité des urnes. A cause du terrorisme, certains réclament le report de ces élections. Accepter reviendrait à consacrer une victoire pour le terrorisme, un immense échec pour la démocratie, un encouragement à plus de violence, à plus de terrorisme et, finalement, à plus d’insécurité et d’instabilité. Reporter ces élections ne serait,
d’ailleurs, pas conforme à la résolution 1546 et ôterait toute légitimité au gouvernement provisoire actuel. Pour mettre un coup d’arrêt au terrorisme et d’éviter tout vide juridique, il faut donc maintenir le calendrier prévu et organiser les élections comme prévu, le 30 janvier 2005.
Enfin, l’actuel gouvernement irakien doit relever un défi économique. Après 35 ans de régime tyrannique, l’Irak est passé du statut de pays riche du Moyen-Orient à celui d’un pays figurant parmi les plus pauvres du monde. Les guerres subies ou menées et la gabegie de l’ancien régime ont provoqué la destruction totale de nos infrastructures et de notre économie. Les services publics sont moribonds. La pauvreté et le chômage ont augmenté. Le gouvernement a également hérité des dettes considérables de l’ancien régime : 125 milliards de dollars ainsi qu’un montant total de 200 milliards de dollars, au titre de dédom-magements réclamés après l’invasion du Koweït par l’Etat et les citoyens de ce pays.
Pourtant après la chute de Saddam Hussein, une petite amélioration avait été constatée dans le domaine économique. Les salaires des fonctionnaires sont passés de 4 à 200 dollars par mois. Des mesures ont été prises pour remettre en état les services publics, libéraliser l’économie et encourager les investissements étrangers. Mais la violence a freiné ces progrès. Les 30 milliards de dollars d’aide étrangère décidées lors de la Conférence de Madrid en octobre 2003 ont été suspendus. Sans le terrorisme, nous aurions pu faire beaucoup plus.
Il n’empêche, le gouvernement et le peuple irakien vont continuer leurs efforts pour reconstruire un nouveau pays dirigé par un gouvernement pluraliste et démocra-tique fondé sur la loi et la constitution, respectant les droits et les libertés individuelles, et utilisant sa richesse pour assurer la prospérité de l’Irak, afin que celui-ci vive en paix avec ses voisins comme avec le reste du monde, renonce à la guerre, construise un futur meilleur et réalise les ambitions de la majorité du peuple irakien avec l’aide de ses amis qui ne manqueront pas de se ranger à nouveau à ses côtés.