La lettre diplomatique

Entretien – Azerbaïdjan
La Lettre Diplomatique n°77 – Premier trimestre 2007

« Nous voulons transformer la richesse pétrolière en capital humain »

Pourvu d’importantes ressources pétrolières, l’Azerbaïdjan joue un rôle clé dans le Sud-Caucase, à la charnière des mondes européen, russe et asiatique. Résolument tourné vers l’Europe, le Président Ilham Aliyev a accompli en janvier dernier sa première visite d’Etat en France. Il analyse pour nous la dimension des relations franco-azerbaïdjanaises à la lumière des objectifs qu’il s’est assigné pour diversifier l’économie du pays et des enjeux du renforcement de la stabilité de cette région hautement stratégique.

La Lettre Diplomatique : Monsieur le Président, vous avez effectué en France, du 29 au 31 janvier dernier votre première visite d’Etat. Pouvez-vous nous donner vos impressions quant à son déroulement et nous faire part des résultats obtenus à cette occasion ? La France est-elle, de votre point de vue, en mesure de progresser dans ses efforts de médiation dans le cadre du groupe de Minsk de l’OSCE qu’elle copréside, notamment en ce qui concerne le conflit qui vous oppose à l’Arménie sur la question du Haut-Karabakh ?

S.E.M. Ilham Aliyev : Je tiens tout d’abord à souligner qu’après avoir été élu président, j’ai justement effectué ma première visite officielle à l’étranger en France, en janvier 2004. Ce n’est pas non plus un hasard si c’est en France que notre leader national Heydar Aliyev a également effectué sa première visite officielle en tant que chef d’Etat. C’est le témoignage de l’importance que notre pays attache à ses relations avec la France. Ces relations évoluent avec succès dans divers domaines, notamment dans les domaines politique, économique, culturel et d’autres encore. Il existe un dialogue politique actif entre nos deux pays, soutenu par des visites mutuelles à différents niveaux.
Sur un autre plan, les principales entreprises françaises conduisent avec réussite des activités dans notre pays depuis de longues années, tant dans le secteur énergétique, que dans le secteur non-pétrolier. La visite d’Etat que j’ai effectué en France en janvier dernier a également rencontré un franc succès de ce point de vue. Toutes les rencontres qui ont eu lieu dans le cadre de cette visite revêtent d’ailleurs une importance significative pour l’approfondissement de la coopération entre la France et l’Azerbaïdjan dans tous les domaines. A l’issue de ma visite, nos deux pays ont ainsi adopté une déclaration conjointe et ont signé neuf documents englobant l’économie, le tourisme, les domaines humanitaire et social. Les entreprises françaises ont à nouveau confirmé leur grand intérêt à investir dans le développement économique de l’Azerbaïdjan. Un autre résultat majeur de la visite que j’ai effectuée, a en outre été la décision d’organiser l’Année de l’Azerbaïdjan en France et l’Année de la France en Azerbaïdjan.
En ce qui concerne la seconde partie de votre question, je voudrais souligner que la France, en tant que co-président du Groupe de Minsk de l’OSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe) est directement impliquée dans le processus de négociations lié à la résolution du conflit arméno-azerbaïdjanais du Haut-Karabakh et y participe activement. La France a déclaré à maintes reprises sa position sur ce conflit. Elle se reflète également dans la déclaration conjointe qui a été adoptée lors de ma dernière visite en France. Il y est souligné que la France soutient l’indépendance, la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan. En outre, lors des discussions que j’ai pu avoir, les dirigeants français ont affirmé à plusieurs reprises que la France souhaite vivement la résolution et dans les meilleurs délais du conflit arméno-azerbaïdjanais du Haut-Karabakh. Sous la présidence de M. Jacques Chirac, tous les officiels français ont souligné que la France ne ménagerait pas ses efforts en vue du règlement de ce conflit.

L.L.D. : Dans le cadre du plan d’action UE-Azerbaïdjan récemment adopté, quels ont été les progrès réalisés pour ancrer votre pays dans l’Europe et ses structures, particulièrement en matière d’intégration économique ? Quels ont été les réalisations accomplies pour rapprocher votre législation nationale de celle de l’UE ? Quel soutien espérez-vous pouvoir obtenir de l’UE pour trouver une solution au conflit du Haut-Karabakh ?

S.E.M.I.A. : Notre coopération avec l’Union européenne évolue également avec succès. Une nouvelle étape est désormais franchie. Notre pays est entré dans un programme de voisinage étroit d’une durée de cinq ans avec l’UE. Ce document crée une base solide pour mettre en œuvre, d’une manière plus élargie et dans plusieurs directions, notre coopération dans le futur. Ce processus va jouer un rôle de poids pour le développement à venir de l’Azerbaïdjan. Grâce à la nouvelle politique de voisinage adoptée pour les cinq années à venir, nos critères se rapprocheront des critères de l’UE. Un travail actif est mené en ce sens dans notre pays. Des efforts concrets sont notamment accomplis en matière d’harmonisation de la législation nationale avec les standards internationaux et européens, afin de créer un socle juridique qui favorisera une étroite coopération avec les organisations internationales, ainsi qu’avec l’UE. Nous avons l’intention de transformer l’Azerbaïdjan en un pays moderne, démocratique, en un pays partenaire fort et crédible tant sur le plan économique que politique. J’espère que la politique de nouveau voisinage de l’UE contribuera à atteindre cet objectif. Pendant les cinq années à venir, nous poursuivrons les réformes économiques, nous élargirons notre coopération à l’échelle régionale et à l’échelle des relations entre l’Azerbaïdjan et l’UE. Nous avons aussi l’intention de poursuivre les réformes politiques. La restauration entière de la suprématie de la loi et la poursuite du processus de démocratisation en Azerbaïdjan nous aideront pour atteindre tous nos buts.
S’agissant de la résolution du conflit du Haut-Karabakh, j’ai à cœur de faire savoir que l’UE, tout comme les organisations internationales, reconnaît l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan. L’UE a réaffirmé sa position lors de ma visite à Bruxelles en 2006. Le Président de la Commission européenne José Manuel Barroso a déclaré que l’UE reconnaît et soutient pleinement l’intégrité territoriale et la souveraineté de l’Azerbaïdjan. Cette position est également inscrite dans le plan d’action que nous avons adopté avec l’UE. Il convient en outre de remarquer que ce document affirme que l’indépendance, la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan contribueront au maintien de la paix et de la stabilité.
Mais il est regrettable que l’Arménie néglige la position de l’UE, comme elle le fait avec les organisations internationales. L’Arménie viole toutes les normes et les principes du droit international. Elle ne respecte pas les quatre déclarations du Conseil de sécurité de l’ONU exigeant la libération des territoires occupés sans conditions et immédiate par les forces arméniennes. 20% du territoire de notre pays est occupé depuis l’agression arménienne contre l’Azerbaïdjan. L’Arménie a mis en œuvre une politique d’épuration ethnique dans le Haut-Karabakh et dans les régions avoisinantes. Plus d’un million de nos concitoyens sont devenus des réfugiés ou des déplacés forcés à cause de cette politique. Des référendums illégaux qu’aucune organisation internationale ne reconnaît sont organisés dans le Haut-Karabakh. Une telle position est totalement contraire aux règles de conduite internationales et aux normes du droit international. L’UE, le Conseil de l’Europe, les Etats-Unis, la France et la Russie qui sont co-présidents du Groupe de Minsk de l’OSCE, ainsi que la Turquie ont condamné ce soi-disant référendum récemment organisé. Le Haut-Karabakh est un territoire historique de l’Azerbaïdjan. L’intégrité territoriale de notre pays a été reconnue par l’ONU et toute la communauté internationale. C’est pourquoi le conflit doit être résolu dans le cadre de l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan, en accordant au Haut-Karabakh un large statut d’autogestion et d’autonomie. Il existe des minorités dans de nombreux pays. Mais être une minorité ne signifie pas qu’on ait le droit de détacher un territoire d’un pays. Imaginez, ce qui se produirait si les Arméniens se mettaient à revendiquer l’autodétermination dans tous les pays du monde où ils vivent. Combien de nouveaux Etats arméniens pourraient-t-ils être créés ? Les autorités arméniennes doivent comprendre clairement que l’Azerbaïdjan ne fera aucun compromis sur les questions d’intégrité territoriale. Nous espérons que les dirigeants arméniens trouveront en eux la force pour adopter une position constructive lors des négociations et pour libérer nos territoires des forces d’occupation. Dans le cas contraire nous serons obligés de réfléchir à d’autres moyens de régler le conflit. Il est un fait qu’aujourd’hui l’Azerbaïdjan est beaucoup plus fort que l’Arménie.
En même temps, je pense que les organisations internationales doivent faire preuve d’une position plus active et plus déterminée concernant la résolution de ce conflit.
Après le dernier processus d’élargissement, le Sud-Caucase est devenu une région voisine de l’Europe. De mon point de vue, l’UE ne peut pas rester indifférente à l’existence de foyers de conflit dans son voisinage. Car ces foyers de conflit créent des menaces non seulement pour la région du Sud-Caucase, mais aussi pour toute l’Europe et pour la stabilité de son développement économique.

L.L.D. : L’Azerbaïdjan est membre du GUAM qui regroupe également la Géorgie, l’Ukraine, et la Moldavie. Comment appréciez vous les actions de cette organisation régionale qui vise à accroître la solidarité et la coopération entre ses membres pour améliorer les rapports de voisinage dans le Caucase ? A l’aune des travaux menés par cette enceinte de dialogue, qu’en est-il de l’évolution des relations entre la Russie et la Géorgie ? Les récentes élections présidentielles qui se sont déroulées au Turkménistan offrent-t-elles à vos yeux des perspectives de coopération accrue avec ce pays, notamment au plan frontalier ?

S.E.M.I.A. : Le GUAM a traversé plusieurs étapes depuis sa création. L’organisation est à présent en train de se transformer en une organisation internationale dotée d’un mécanisme de fonctionnement bien défini. Lors de sa création, nos pays venaient d’obtenir leur indépendance et les problèmes qui se sont posés à l’époque nous concernaient tous en général. Durant ces dix dernières années, les pays membres de l’organisation ont consolidé leur indépendance et ont obtenu de remarquables succès en ce qui concerne le renforcement des institutions démocratiques et l’augmentation du potentiel économique. Ils ont mis en œuvre une coopération étroite dans différents domaines, notamment en matière économique. En outre, notre région joue un rôle de plus en plus important sur la scène internationale depuis quelques années. Les pays du GUAM souhaitent donc intégrer de manière concrète les processus de l’économie mondiale et les processus politiques. De ce point de vue, la transformation du GUAM en Organisation pour la Démocratie et le Développement économique lors du sommet qui s’est tenu en mai dernier à Kiev, constitue une évolution logique.
Je tiens par ailleurs à souligner un point : sur quatre pays membres du GUAM, l’intégrité territoriale de trois d’entre eux – l’Azerbaïdjan, la Moldavie et la Géorgie – a été violée à cause d’un séparatisme agressif. Vous savez d’ailleurs à ce sujet qu’en 2006, les membres de l’organisation ont réussi à inclure dans l’ordre du jour des débats de l’Assemblée générale de l’ONU, les questions concernant la situation des conflits gelés sur leurs territoires. Ce fut une initiative très difficile à mener à bien et nous y sommes parvenus grâce à nos efforts communs.
Je suis dès lors persuadé qu’en approfondissant leur coopération dans le cadre du GUAM, nos pays obtiendront de plus grandes réussites en matière économique, politique, de démocratisation tout comme dans d’autres domaines, et pourront en tirer le meilleur profit.
Au sujet des relations entre la Russie et la Géorgie, je tiens d’abord à rappeler que nous entretenons de bonnes relations avec ces deux pays qui sont voisins du nôtre. Qui plus est, ce sont des relations de partenariat stratégique. D’une manière générale, nos liens avec les pays voisins sont fondés sur des principes de voisinage amical et de respect mutuel. Par ailleurs, l’Azerbaïdjan ne fait d’ingérence dans les affaires intérieures d’aucun pays et n’intervient pas dans les relations entre les autres Etats. Je voudrais également vous faire remarquer que si les pays concentraient leur attention sur leurs propres problèmes, il serait possible de maintenir la sécurité et de renforcer la stabilité dans la région et dans le monde.
Vous évoquez enfin le Turkménistan. Il existe en effet un potentiel favorable pour développer davantage nos relations bilatérale avec ce pays. De plus, la proximité des racines ethniques et culturelles entre nos peuples crée une base solide pour l’élargissement de nos liens. Nous sommes prêts à faire évoluer notre coopération avec le Turkménistan dans différents secteurs. Les dirigeants du Turkménistan attachent également un grand intérêt à l’élargissement des relations avec l’Azerbaïdjan. Nous avons d’ores et déjà discuté de la mise en œuvre d’actions concrètes dans ce domaine avec le nouveau président élu du Turkménistan et nous avons convenu un accord commun.

L.L.D. : Le rapprochement de votre pays avec les Etats-Unis en matière de sécurité a notamment pris forme dans la protection des oléoducs et gazoducs ainsi qu’en mer Caspienne. Pourriez-vous définir les motivations générales de cette coopération et les différents aspects auxquels elle s’étend ? Est-elle de nature à revêtir un caractère permanent ? Avec quels autres partenaires ce type de coopération pourrait-il se développer ? Dans cette perspective, quelle place est appelée à occuper la Fédération de Russie ?

S.E.M.I.A. : La coopération avec les Etats-Unis et l’intégration dans les structures euro-atlantiques relèvent d’un choix stratégique de l’Azerbaïdjan. Les relations bilatérales que nous entretenons avec les Etats-Unis sont d’un excellent niveau. Nos deux pays coopèrent étroitement dans différents domaines, notamment ceux de l’énergie, l’économie, la sécurité, la politique et la démocratisation de la société. Nous apprécions hautement le rôle des Etats-Unis dans le développement du secteur énergétique de l’Azerbaïdjan et dans la mise en œuvre des projets globaux de nature énergétique dont nous sommes les initiateurs. Nous coopérons également de manière active en matière d’opérations anti-terroristes. Nous avons ainsi immédiatement rejoint les forces de la coalition en Afghanistan et nous avons envoyé nos soldats au Kosovo. L’Azerbaïdjan a été l’un des premiers pays à envoyer ses soldats en Irak, dès le début de la guerre. C’était un signe clair du partenariat solide que nous avons noué avec les Etats-Unis. Enfin, j’ai participé à des entretiens très bénéfiques pour l’approfondissement de nos relations, lors de la visite officielle que j’ai effectué aux Etats-Unis en 2006.
Nos relations avec la Russie sont celles d’un partenariat stratégique et se renforcent à chaque occasion davantage. Notre coopération s’élargit dans des domaines variés, notamment au plan économique. Comme avec nos autres voisins, les relations de l’Azerbaïdjan avec la Russie sont fondées sur les principes du voisinage amical et du respect mutuel. Je voudrais souligner plus particulièrement un détail : le critère fondamental qui préside à la conduite de notre politique extérieure est naturellement la défense des intérêts d’Etat de l’Azerbaïdjan. Dans ce sens, notre coopération avec tel ou tel pays ne doit jamais être interprétée comme étant une coopération dirigée contre un autre pays. Nous essayons d’établir de bonnes relations avec tous les pays et de mettre en œuvre une coopération étroite avec eux. L’Azerbaïdjan a déjà confirmé qu’il est un partenaire fiable dans le système des relations internationales.

L.L.D. : En tant que riverain de la Caspienne et voisin de l’Iran, vos rapports avec ce pays où réside une importante minorité azérie, sont pour vous essentiels. Vous avez affirmé, que votre pays n’appuierait pas d’actions militaires contre l’Iran et qu’il n’est pas en faveur de sanctions à son égard. Quelle est votre appréciation de la situation qui prévaut actuellement dans la région alors que l’Iran semble déterminé à poursuivre son programme nucléaire ? Plus généralement, comment le dossier sur la répartition des zones maritimes et la délimitation des secteurs nationaux dans la Caspienne avec l’Iran et les autres pays riverains a-t-il progressé ?

S.E.M.IA. : Nous entretenons de très bonnes relations avec l’Iran. Nos échanges économiques sont dynamiques. Comme vous l’avez souligné, de nombreux Azerbaïdjanais vivent également en Iran. Nous partageons une frontière commune de plus de 1 000 km. Il est dès lors naturel qu’en prenant en compte tous ces facteurs, nous suivions de près les évolutions concernant l’Iran. Toute évolution potentielle pouvant compliquer la situation pourrait avoir une grande influence sur le développement régional en général. Cela aussi ne peut pas nous laisser indifférent et sans inquiétudes. Nous avons fait connaître notre position par rapport au programme nucléaire de l’Iran ; cette position exprime que tout pays, conformément aux normes du droit international, peut posséder l’énergie nucléaire dans un but pacifique. Je pense dès lors que des négociations constructives doivent être engagées dans cette optique et que toutes les questions sujettes à controverses doivent être résolues par la voie pacifique, et sur la base des normes et des principes du droit international. Nous espérons que toutes les parties présentes au cours du processus de négociations sur cette question resteront fidèles à une vision pacifique de la résolution du problème.
En ce qui concerne la délimitation de la mer Caspienne, je tiens à dire, que sur cette question les positions de l’Azerbaïdjan, de la Russie et du Kazakhstan sont tout à fait convergentes. De plus, cette position s’appuie sur les normes du droit international. Des accords définissant les règles d’exploitation de la mer Caspienne ont également été signés entre les Etats que je viens de mentionner. Mais, nous menons aussi des négociations régulières avec l’Iran et je peux dire que nos positions se sont rapprochées. Actuellement, les pays riverains mènent des discussions autour du projet de la convention concernant le statut juridique de la mer Caspienne. Je suis persuadé que toutes ces questions trouveront bientôt des solutions définitives.

L.L.D. : La communauté internationale observe avec préoccupation l’évolution du conflit irakien. Quelles répercussions est-il susceptible d’avoir sur l’Azerbaïdjan et sur votre région ? Quelle issue voyez vous à la situation en Irak et croyez-vous que le retrait des troupes étrangères de ce pays puisse réellement apporter un début d’apaisement ?

S.E.M.IA. : Comme je l’ai déjà souligné, les soldats azerbaïdjanais se sont engagés en Irak dès le premier jour des opérations militaires et leur présence sur le terrain se poursuit jusqu’à présent. Il est évident que les événements survenant en Irak inquiètent toute la communauté internationale et notamment l’Azerbaïdjan qui en est un membre à part entière. Nous souhaitons que la paix soit restaurée dans cette région et qu’il soit mis fin aux violences, à cette tragédie horrible à laquelle le peuple irakien est confronté. Aussi, l’Azerbaïdjan est prêt à déployer au maximum ses efforts pour rétablir la paix et la sécurité en Irak.

L.L.D. : Alors que le BTC a atteint son régime de croisière et évacue la majeure partie de la production azerbaïdjanaise de brut en direction des marchés européens, quels sont désormais vos projets en matière de construction d’oléoducs et de gazoducs ? Quelle est la position de l’Azerbaïdjan en matière de diplomatie pétrolière et gazière vis-à-vis de ses principaux voisins ? Quels types de rapports entendez vous nouer avec vos principaux clients actuels ou potentiels d’Asie, principalement la Chine et l’Inde ?

S.E.M.I.A. : Nos projets en matière énergétique sont désormais presque achevés. Deux pipelines ont été construits – l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan et le gazoduc Bakou-Tbilissi-Erzorum. Nous allons ainsi pouvoir exporter près d’1 million de barils de pétrole par jour via l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan. Le gaz naturel exploité dans l’énorme gisement Shadeniz, qui possède une réserve d’un trillion m3, sera exporté par le gazoduc Bakou-Tbilissi-Erzorum en Turquie, et de là, en Europe par l’intermédiaire de la Grèce. En outre, le pétrole azerbaïdjanais est acheminé vers la mer Noire par l’intermédiaire de deux autres pipelines. Ces voies d’exportation garantissent ainsi les débouchés de notre pétrole et de notre gaz sur les marchés européens et internationaux. C’est pourquoi nous ne pensons pas qu’il soit nécessaire de construire des oléoducs supplémentaires à court terme. Mais si à l’avenir le volume de production pétrolière augmente et si cela relève d’une nécessité commerciale, nous pourrons également envisager d’étudier d’autres directions pour l’évacuation de nos hydrocarbures. Nous sommes d’avis que plus les trajets alternatifs sont nombreux, mieux nous nous portons. La stratégie de multiplication des oléoducs constitue en effet la meilleure option pour l’Azerbaïdjan et pour toutes les parties qui bénéficieront à l’avenir de nos réserves énergétiques ainsi que de nos infrastructures.
L’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan est d’une grande importance pour le développement global de la région de la mer Caspienne et de la mer Noire en général. Cette région est aujourd’hui le théâtre de nombreuses coopérations dans divers domaines. De nombreuses infrastructures permettant d’associer nos partenaires et nos voisins à de vastes projets de coopération politique et économique, ont ainsi été créées à l’initiative directe de l’Azerbaïdjan et avec sa participation. Je dois dire que l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan n’est pas simplement un couloir permettant le transport de notre pétrole vers les marchés étrangers. C’est aussi un projet servant à la coopération régionale, à la paix et la stabilité, à l’amélioration de la prospérité des peuples. Aujourd’hui, la politique que nous menons dépasse d’ailleurs les limites de la région de la mer Caspienne. Nous envisageons dès à présent de nouvelles dimensions pour la coopération régionale dans un sens plus large.
Actuellement nous travaillons sur un autre projet global et international qui porte sur la construction du chemin de fer Bakou-Tbilissi-Kars. Des pas concrets ont été engagés dans cette voie. Le gouvernement azerbaïdjanais a d’ores et déjà attribué d’importants moyens financiers pour la réalisation de ce projet ferroviaire qui pourra relier l’Asie à l’Europe par l’intermédiaire de l’Azerbaïdjan. Nous espérons que dans les prochaines années, la réalisation de ce projet sera menée à terme, permettant ainsi que des trains de passagers et de marchandises puissent circuler entre la Chine et l’Europe.

L.L.D. : Les revenus tirés des exportations de pétrole et de gaz ont permis à l’Azerbaïdjan d’atteindre en 2006, avec un taux de 35%, la plus forte croissance économique mondiale. Comment comptez-vous poursuivre l’utilisation de vos revenus pétroliers croissants et quelle répartition effectuez-vous entre le Fonds de réserve et les investissements effectués en direction de l’amélioration des infrastructures et des conditions sociales ? Pouvez-vous établir un bilan des actions entreprises en matière de lutte contre la pauvreté qui touche encore une partie de la population azerbaïdjanaise ? Quelles mesures comptez vous prendre en matière de diversification économique et qu’en attendez-vous ?

S.E.M.IA. : Les projets qui ont été réalisés depuis 1994 n’ont commencé à générer d’importants revenus que depuis 2005. Nous sommes en fait à la veille d’une nouvelle étape pour notre économie qui verra s’intensifier dans les années à venir les flux de revenus pétroliers. Comme vous l’avez également noté, l’expansion de l’économie azerbaïdjanaise se poursuit à grande vitesse. Le budget d’Etat prévu pour 2007 est d’environ 6,5 milliards de dollars. A titre de comparaison, il était de 1,5 milliards de dollars en 2003. En 2005, le PIB a augmenté de 26%, et en 2006 de 34,5%. Mais, je voudrais surtout insister sur un point : cette croissance ne résulte pas seulement de l’essor du secteur pétrolier. Nous attachons également une importance particulière au développement du secteur non pétrolier moderne. En 2006, la part du secteur non-pétrolier dans le PIB représentait ainsi 46,4%. Notez d’ailleurs que la part du secteur privé atteint 81%. Nous réfléchissons, bien entendu, dès à présent sur la période qui verra la production du pétrole diminuer. De grands investissements sont ainsi en cours de réalisation dans les domaines de l’éducation et des sciences. Nous cherchons, en effet, à doter l’Azerbaïdjan d’un fort potentiel intellectuel. Nous accordons beaucoup d’importance aux technologies de l’information et aux questions relatives à l’investissement dans le secteur non-pétrolier. De ce point de vue, un autre programme concerne le soutien au développement de l’industrie et comme je viens de le souligner, nous portons une attention toute particulière aux questions d’investissement dans le secteur non-pétrolier. Nous avons ainsi mis en place la Société d’Etat pour les investissements qui dispose d’un capital de 100 millions de dollars US, dans le but d’attirer des investissements étrangers et azerbaïdjanais dans le secteur non-pétrolier.
La création du Fonds pétrolier constitue un élément majeur de notre stratégie pétrolière. Il a été mis en place dès l’apparition des premiers revenus générés par le pétrole. Ce fonds est conçu sur la base des principes de transparence : les informations sur son activité et ses revenus sont publiées régulièrement. Le Parlement est chargé de surveiller les prises de décisions concernant les volumes et les postes auxquels sont alloués les dépenses des revenus du Fonds pétrolier. Un audit international a été réalisé sur son fonctionnement. Le fonds coopère en outre étroitement avec les organisations financières internationales, notamment la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI). Je voudrais également attirer votre attention sur le fait que l’Azerbaïdjan a été l’un des premiers pays a rejoindre l’initiative de la Grande-Bretagne sur la transparence de l’industrie. Notre activité en faveur de cette initiative dans la région est d’ailleurs hautement appréciée par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne.
L’un des domaines qui bénéficie de notre plus grande attention est celui des infrastructures. La création de grands ouvrages et de nouvelles infrastructures est actuellement entreprise dans tous les coins du pays. De nouvelles routes, des centrales électriques, de nouveaux hôpitaux, des écoles sont en cours de construction, les systèmes de distribution d’eau et de gaz sont en cours de renouvellement.
L’une de nos priorités est aussi le développement de l’agriculture. 50% de la population de l’Azerbaïdjan vit en effet dans les campagnes. Nous possédons un potentiel riche, de bons terrains et un bon climat. D’importants fonds financiers sont consacrés au développement de l’économie fermière. L’industrie pétrochimique constitue également une autre de nos priorités.
D’une manière générale, la politique sociale fait l’objet d’une attention particulière en Azerbaïdjan. Dans le budget pour 2007, les dépenses prévues dans ce domaine ont été de 37,9%, soit 2,5 milliards de dollars. Durant les trois dernières années, 520 000 nouveaux emplois ont été créés, dont la plupart dans le secteur non-pétrolier et, essentiellement, dans les régions. Les salaires et les retraites sont régulièrement revus à la hausse. Je tiens à souligner qu’en tant que pays producteur de pétrole, nous tenons beaucoup à diversifier notre économie. Nous ne voulons pas répéter l’expérience négative qu’ont connus certains pays producteurs de pétrole. Dans ces pays, une certaine partie des gens s’enrichissent, le reste de la population s’appauvrit davantage. C’est pourquoi nous voulons transformer la richesse pétrolière en capital humain.
Enfin, l’Etat azerbaïdjanais a mis en place un programme pour la diminution de la pauvreté. Il est appliqué avec beaucoup de succès, en collaboration avec les organisations financières internationales. Grâce aux accomplissements de notre politique économique, la part de la pauvreté a été réduite à 20% de la population en 2006, en comparaison des 49% qu’elle représentait en 2003. Durant les prochaines années, nous comptons poursuivre sur cette tendance jusqu’à faire disparaître la pauvreté en général.

L.L.D. : L’UE comme les institutions financières internationales se prononcent en faveur d’une économie ouverte, avec des règles stables en matière d’accueil des investissements étrangers et de respect des règles de la propriété. Dans le cadre de votre programme d’amélioration du climat des affaires, quelles mesures ont-elles été adoptées par votre pays en matière de lutte contre la corruption ? Les privatisations sont-elles appelées à s’étendre à d’autres secteurs que ceux déjà concernés ? Quel horizon voyez-vous pour l’adhésion de votre pays à l’OMC ?

S.E.M.I.A. : La corruption est devenue un problème grave pour tous les anciens pays soviétiques. Il s’agit encore d’un legs du système totalitaire sous lequel les décisions étaient prises de manière administrative. Mais la corruption représente également un problème auquel sont confrontés de nombreux pays du monde, voire même des pays développés. Je pense que dans cette affaire il n’est pas possible de parvenir à des résultats positifs par la voie administrative. De mon point de vue, la lutte contre la corruption doit être guidée par des mesures économiques fortes et un cadre juridique aussi parfait que possible. Notre pays conduit en ce sens de nombreux travaux d’application concrète. Le Parlement a ainsi adopté une loi sur la lutte contre la corruption. Une direction spéciale de lutte contre la corruption a été créée au sein de la Procurature générale de la République azerbaïdjanaise. Comme je l’ai souligné plus haut, il est également nécessaire d’agir sur l’économie. Nous devons pour cela augmenter le niveau de vie de la population, élever les salaires et préserver un fort suivi social. Comme je l’ai fait savoir, nous faisons des pas concrets dans cette perspective.
Vous abordez par ailleurs la question des privatisations. Je pense que nous devons poursuivre le programme de privatisations à grande échelle. Comme je l’ai mentionné auparavant, les dirigeants azerbaïdjanais accordent une grande attention à la question des privatisations. Ce processus est une réussite en Azerbaïdjan. La phase principale des privatisations est désormais achevée. Actuellement, 81% du PIB national relève ainsi du secteur privé. La mise en œuvre accélérée de ce processus, la création d’une classe moyenne, la réduction de l’appareil bureaucratique et les progrès accomplis en vue d’une libéralisation maximale de l’économie créent également un socle en faveur d’un fort développement économique de l’Azerbaïdjan dans les années à venir.
Concernant l’adhésion de notre pays à l’Organisation mondiale du Commerce, je voudrais souligner que tous les documents nécessaires à cette démarche ont déjà été présentés à l’organisation et toutes les procédures requises sur le plan national pour en devenir membre sont en cours d’être réalisées avec succès.

L.L.D. : Un des domaines d’action prioritaire de l’UE et du Conseil de l’Europe est le renforcement de la démocratie, notamment au moyen d’un processus électoral équitable et transparent. De votre point de vue, quels progrès restent-ils à réaliser en matière de protection des droits de l’homme, des libertés fondamentales, et de l’Etat de droit ? Quelle place l’Azerbaïdjan accorde-t-il aux religions et à l’Islam en particulier ? Comment appréhendez-vous la montée du fanatisme religieux islamiste et la menace que constitue les ramifications internationales de groupes extrémistes radicaux tel qu’Al-Qaida ?

S.E.M.I.A. : Nous accordons une grande importance au processus démocratique dans notre pays. Nous considérons d’une manière générale la démocratisation, la pluralité politique et le respect de la suprématie de la loi comme les principaux critères de notre développement futur. Si l’on considère l’évolution globale du pays, on ne peut pas considérer comme prioritaire ou accorder moins d’importance à tel ou tel élément. La croissance économique, l’évolution politique et la démocratisation doivent être traitées simultanément. C’est la seule façon d’obtenir des succès. Nous avons ainsi accompli de grands progrès en matière d’approfondissement de la démocratie en Azerbaïdjan. Construire une société moderne, assurer pleinement la suprématie de la loi et le principe de la justice sociale, créer des conditions égales pour les gens et construire une économie forte forment les principaux objectifs que nous nous sommes fixés. Les travaux concrets que nous effectuons dans cette direction nous donnent le sentiment d’être convaincus que nous atteindrons avec succès ces objectifs dans un proche avenir.
Pour répondre à votre deuxième question, je vous rappelle que l’Azerbaïdjan est un pays laïc et selon notre Loi suprême, la religion est séparée de l’Etat. Mais l’islam constitue aussi un élément indissociable de notre histoire, de notre passé et de notre mode de vie actuel. Nous éprouvons un grand respect à l’égard de notre religion, ainsi qu’à l’égard de toutes les autres confessions religieuses présentes dans notre pays. Aujourd’hui, nous pouvons déclarer avec fierté qu’il existe en Azerbaïdjan une haute tolérance religieuse. Notre pays n’a à déplorer aucun conflit découlant de la religion. Alors que les confrontations d’origine ethnique et religieuse sont une des caractéristiques du monde actuel, nous pouvons qualifier notre situation d’unique. L’Azerbaïdjan est un pays où des gens appartenant à des nationalités et des religions diverses vivent ensemble, en harmonie. La mentalité que s’est forgée le peuple azerbaïdjanais au cours de son histoire ainsi que les efforts mis en œuvre actuellement pour garantir la liberté religieuse dans le pays, créent un cadre solide pour que les différentes confessions puissent coexister dans des conditions de bienveillance que je comparerais à celle d’une famille.
Notre pays n’a jamais connu et ne connaîtra pas de fanatisme religieux. Nous sommes opposés à toute forme de fanatisme ou d’extrémisme. Je pense d’ailleurs que l’expérience positive de notre pays peut être utile.
L’Azerbaïdjan est en outre un pays qui participe activement à la lutte contre le terrorisme international. Mais je voudrais également faire savoir que l’association du terrorisme, du fanatisme et de l’extrémisme radical à la religion musulmane est une approche très erronée et dangereuse. L’Azerbaïdjan a lui-même longtemps été victime des organisations terroristes arméniennes. Un nombre important de personnes a péri ou a été blessé suite aux actes de terreur sauvages commis en Azerbaïdjan par des organisations terroristes arméniennes. Je tiens à répéter encore qu’il est inacceptable d’associer le terrorisme et l’extrémisme radical à une quelconque religion.

L.L.D. : Votre objectif est de parvenir à un développement économique équilibré, en mettant l’accent sur la diversification de vos activités économiques et le maintien de la cohésion sociale et territoriale. Dans cette perspective, comment percevez-vous le rôle de la France et de ses entreprises dans votre pays ? Hormis les hydrocarbures et le para-pétrolier, votre séjour en France a-t-il permis de faire progresser la coopération dans d’autres domaines ? Le développement durable et la protection de l’environnement étant, entre autres, deux sujets d’intérêt commun à nos deux pays, comment pensez-vous qu’on puisse en accroître la promotion ?

S.E.M.I.A. : Plusieurs grandes sociétés françaises sont activement présentes dans le secteur de l’énergie et dans le secteur non-pétrolier de l’économie azerbaïdjanaise. Presque à chacune de mes visites en France, j’ai eu des rencontres avec les milieux d’affaires français. Dans le cadre de la visite d’Etat que j’ai récemment effectuée, j’ai pu m’entretenir avec les représentants de sociétés comme Gaz de France, Vinci, BNP Paribas ou la Société Générale, ainsi qu’avec les représentants des milieux d’affaires de Lille. J’ai également reçu les délégations de plusieurs prestigieuses sociétés françaises lors des nombreuses visites qu’elles accomplissent en Azerbaïdjan. Le développement du secteur non-pétrolier est devenu une question prioritaire pour l’économie azerbaïdjanaise. Je trouve, de ce point de vue, que les entreprises françaises pourraient renforcer davantage leurs activités dans notre pays.
En ce qui concerne l’environnement, je tiens à souligner que nous devons tenir compte du lourd héritage que nous a légué l’Union soviétique. A cette époque, la notion d’écologie n’existait même pas. Personne ne faisait attention à l’état de la nature. Mais notre pays attache désormais une grande importance à cet enjeu. Nous avons donc adopté un programme sur l’écologie par un décret que j’ai signé. Dans le cadre de ce programme, durant les cinq à dix prochaines années, nous consacrerons d’importants investissements pour nettoyer les lacs pollués par le pétrole autour de Bakou et ailleurs dans le pays. De plus, les entreprises françaises bénéficient sur ce plan, d’une grande expérience et nous sommes prêts à coopérer avec elles en ce sens, ainsi qu’avec les autres structures françaises concernées.

L.L.D. : Enfin, quels moyens vous paraissent devoir être accordés pour renforcer les échanges culturels, scientifiques et humanitaires ?

S.E.M.I.A. : Les relations entre l’Azerbaïdjan et la France dans les domaines de la culture et de l’humanitaire se développent également avec succès, comme c’est le cas pour d’autres domaines. Nos pays et nos peuples possèdent une histoire et une culture riches et anciennes. La coopération culturelle entre nos deux pays sert naturellement à accroître le rapprochement mutuel de nos peuples. Je tiens à noter que lors de ma visite d’Etat en France la décision d’organiser en France l’Année de l’Azerbaïdjan et en Azerbaïdjan de l’Année de la France, constitue en ce sens un événement très important. En outre, quatre documents englobant les domaines des sciences, de la culture et de l’humanitaire ont été signés au cours de cette visite. Je suis persuadé que nos relations en matière humanitaire et de culture sont désormais appelées à s’élargir davantage.


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