La lettre diplomatique

Editorial
La Lettre Diplomatique n°75 – Troisième trimestre 2006

L’AFE, « maison commune du chemin de fer européen »

 Par M. Marcel Verslype, Directeur exécutif de l’Agence ferroviaire européenne (AFE)

 L’Agence ferroviaire européenne (AFE) a été créée en 2004 par le Parlement et le Conseil   européens, dans le cadre général de l’appareil réglementaire développé ces dernières années pour progresser vers un espace ferroviaire européen intégré. Cette agence présente l’originalité, parmi les agences européennes, d’avoir une double localisation, voulue par le gouvernement français, Lille et Valenciennes.   Les missions de l’agence Elles découlent de la mise en œuvre progressive d’une législation européenne visant à revitaliser le secteur ferroviaire et lui permettre de garder une place importante au sein du marché des transports, notamment dans l’espace des liaisons intra-européennes, qui est l’espace de pertinence de ce mode de transport. Il convient de rappeler tout d’abord quels sont les grands axes de cette législation, qui a été conçue et mise en place depuis 1991. La directive 91/440 de 1991 pose pour la première fois le principe de l’ouverture des infrastructures ferroviaires à des opérateurs nouveaux, d’abord dans le domaine du fret ; la Commission européenne attendait de cette ouverture l’émergence d’une saine émulation qui relancerait le secteur « de l’intérieur » en forçant les opérateurs historiques à améliorer leur service ; les « nouveaux entrants » et les opérateurs historiques gagneraient ainsi des parts de marché, ce qui contribuerait aussi à la décongestion des axes routiers européens. Cette législation n’ayant pas eu d’effet significatif, du fait des nombreux obstacles techniques et organisationnels rendant l’accès de nouveaux entrants très difficile, la Commission a développé au cours des années suivantes une série de textes qui visaient à réorganiser de façon plus directive le secteur ferroviaire, pour réduire tous ces obstacles. Les directives 2001/12, 2001/14, 96/48 et 2001/16 ont ainsi posé les principes de : – l’organisation des entreprises ferroviaires avec la « séparation » des activités de gestionnaire d’infrastructure et d’opérateur ferroviaire ; – les principes d’accès à l’infrastructure sur les plans technique, opérationnel (allocation des sillons – les « slots » ferroviaires), et financier, sans discrimination entre opérateurs historiques et nouveaux entrants ; – la certification des entreprises sur le plan de la sécurité, condition préalable essentielle à leur accès sur les infrastructures ferroviaires ; – la standardisation des installations et matériels au niveau européen, pour permettre la suppression progressive des barrières techniques liées aux technologies différentes de pays à pays, c’est l’interopérabilité. Ces mesures ont été complétées en 2004 par une directive (2004/49) visant à harmoniser les processus de gestion de la sécurité, depuis les responsabilités incombant aux Etats membres jusqu’aux opérateurs eux-mêmes.   La mise en œuvre des normes et standards techniques visés par les textes ci-dessus a été confiée à une agence, « bras productif » de la Commission : c’est la raison d’être de l’AFE, créée le 29 avril 2004 par le règlement (EC) 881/2004 du Parlement européen et du Conseil européen. De façon plus détaillée, les missions de cette agence sont définies comme suit : 1 – L’histoire industrielle des différents réseaux ferroviaires explique l’extrême diversité des solutions techniques nationales, ce qui rend très pénalisant sur le plan des coûts et de la performance le passage des frontières. Les directives d’interopérabilité (96/48 et 2001/16) posent les principes de la standardisation obligatoire et de sa mise en œuvre dans les Etats membres. L’agence a pour mission de définir ces standards, dans les domaines du rail conventionnel et de réviser les standards produits avant sa création pour la grande vitesse. Elle doit prendre en compte les critères économiques pour définir les paramètres retenus pour cette standardisation. Plus précisément, les domaines suivants sont dans le champ d’activité de l’agence : infrastructure, énergie fournie aux trains, engins de traction, matériel ferroviaire de transport de passagers, applications télématiques pour le trafic passagers. Les standards à réviser concernent le matériel fret, et la standardisation des procédures d’exploitation des convois ferroviaires. L’harmonisation des systèmes de signalisation représente un enjeu capital pour cette stratégie. Un nouveau standard de signalisation a été défini, c’est ERTMS. L’agence ferroviaire est responsable de la définition des spécifications fonctionnelles de ce nouveau standard et de l’évaluation des demandes d’évolution, formulées par les opérateurs ferroviaires. Enfin, « last but not least », il a été confié à l’agence la mission de définir des méthodes unifiées pour le recrutement, la formation, la certification et le suivi des personnels confrontés à ce contexte européen ; les conducteurs de trains sont naturellement la catégorie professionnelle à traiter en priorité. 2 – La sécurité ferroviaire est très élevée à travers l’Europe. La gestion performante de la sécurité par les différents niveaux de responsabilité, depuis les organismes de contrôle étatiques, jusqu’aux méthodes de suivi des performances de chaque membre du personnel de chaque entreprise ferroviaire sur le plan de la sécurité, en passant par la certification des systèmes et des processus, s’est faite essentiellement dans un cadre national ; les nouveaux entrants qui veulent opérer sur des liaisons internationales sont donc confrontés à des barrières réglementaires complexes et très pénalisantes. La directive sur la sécurité (2004/49) définit les principes d’une harmonisation de l’appareil réglementaire, au niveau des Etats comme des opérateurs. Cette même directive confie à l’agence, en liaison avec les autorités nationales de contrôle, la responsabilité de proposer des outils de gestion de la sécurité, reconnus par tous les Etats membres, qui permettent d’assurer sur tout le territoire communautaire au moins un niveau de sécurité équivalent à celui, excellent, atteint aujourd’hui. Ces outils concernent les méthodes de gestion de la sécurité, les objectifs de sécurité assignés à chaque acteur intervenant dans le système ferroviaire européen, ainsi que les procédures de certification des opérateurs au plan européen. Par ailleurs, l’agence est chargée d’évaluer les mesures prises par les autorités nationales de contrôle, pour en vérifier la compatibilité au regard des principes édictés par les directives mentionnées plus haut. 3 – Le règlement de l’agence prévoit enfin que lui soient confiées des responsabilités « transversales » entre l’interopérabilité et la sécurité : c’est ainsi que l’agence est chargée de définir des méthodes donnant aux autorités nationales de sécurité la possibilité d’autoriser du matériel roulant existant, non soumis aux obligations de la standardisation, à franchir les frontières nationales ; elle doit aussi définir les principes de certification d’ateliers de maintenance ferroviaire, qui seraient ainsi accessibles, avec garantie de résultats conformes aux exigences européennes de sécurité, par tous les opérateurs, y compris les nouveaux entrants. L’agence peut aussi sur demande de la Commission avoir à évaluer, sur le plan de l’interopérabilité, des projets qui sollicitent des subventions européennes.   Principes de fonctionnement Pour assurer ses missions, l’Agence a recruté environ 60 experts dans ses domaines de pertinence. Venant de toute l’Europe, ils ont une solide expérience acquise auprès d’opérateurs ferroviaires, de constructeurs de matériel roulants ou d’équipements, ou enfin d’autorités nationales de contrôle. Compte tenu de l’importance primordiale accordée aux évaluations économiques d’impact des propositions, une équipe d’économistes de très haut niveau complète les effectifs. Les équipes ainsi constituées ne travaillent pas en « vase clos », mais bien au contraire sont en synergie avec les représentants du secteur, y compris les autorités nationales de contrôle par l’intermédiaire de groupes de travail qui ont été constitués pour chaque thème indiqué plus haut. Les représentants au sein des groupes de travail sont désignés, pour le secteur, par les neuf associations représentant au plan européen les opérateurs, les gestionnaires d’infrastructure, l’industrie ferroviaire, les syndicats, etc… ; les autorités nationales délèguent quant à elles leurs experts compétents pour la thématique de chaque groupe de travail. Les groupes se réunissent plusieurs fois par an à Lille, et le résultat de leurs travaux, dont la durée s’échelonne de quelques mois à trois ou quatre ans, permet à l’agence de faire des recommandations ou d’émettre des opinions à la Commission (DGTREN), après avoir sollicité l’avis des partenaires sociaux, et les représentants des usagers de transport pour les sujets pertinents ; la Commission met ces propositions en discussion devant un comité (Comité interopérabilité) qui regroupe les représentants des Etats membres, la Commission et les représentants du secteur. Ce comité qui se réunit plusieurs fois par an à Bruxelles donne un avis à la Commission sur les projets proposés par l’agence. Une fois approuvées par la Commission, et traduites dans toutes les langues de la Communauté, les propositions ont force de loi et deviennent applicables de plein droit par tous les Etats membres.   Gouvernance L’agence est soumise aux règles de gouvernance définies par son propre règlement 881/2004, lui-même inspiré par les recommandations du Livre Blanc sur la gouvernance en Europe, rédigé par la Commission européenne en 2001. L’agence est un organisme de la Communauté, doté d’une personnalité juridique. Un conseil d’administration a été mis en place ; ses fonctions consistent essentiellement à nommer le Directeur exécutif de l’Agence, à approuver le rapport annuel de l’agence pour l’année écoulée, à approuver son programme de travail, et à proposer à la Commission le budget de fonctionnement, qu’elle arrête après que le Parlement et le Conseil aient donné leur accord. Le conseil est composé d’un représentant par Etat membre, de quatre représentants de la Commission et de six représentants des organismes ferroviaires et autres parties intéressées, mais sans droit de vote. Le directeur exécutif, nommé pour cinq ans, gère l’Agence, sous le contrôle de son Conseil d’administration ; le directeur exécutif présente un rapport annuel au Parlement, qui peut aussi, ainsi que le Conseil, demander à l’entendre. Le personnel de l’agence est composé d’agents temporaires, bénéficiant du statut des fonctionnaires européens. Ils sont recrutés pour une durée de cinq ans.
Comme Gilles Savary, le rapporteur du projet de création de l’Agence ferroviaire européenne au Parlement européen, le soulignait, il s’agissait de « créer la maison commune du chemin de fer européen ». Cette maison commune est maintenant en place ; elle est cet endroit unique où tous les représentants de cette complexe machine qu’est le mode ferroviaire et son environnement de contrôle peuvent se rencontrer et travailler ensemble pour améliorer son efficacité et sa pertinence au service des citoyens de notre continent, dans le respect de son environnement.  

 


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