Par M. Pascal Drouhaud, Editorialiste, Spécialiste des Relations internationnales
Plus de dix ans après la signature des accords de paix dits de Chapultépec le 16 janvier 1992, El Salvador s’est transformé. Ce pays est parvenu à retrouver la voie de la paix et à s’engager dans la mise sur pied d’un nouveau contrat social essentiel à l’émergence d’une nouvelle solidarité nationale mise au service du développement. Malgré le fait d’être le plus petit pays d’Amérique centrale avec ses 21 041 km2, il n’en est pas moins le plus dynamique sur le plan économique. Il réalise par exemple, avec le Guatémala, 60% du commerce centraméricain. Il est aussi le plus densément peuplé, avec ses 6,6 millions d’habitants et une densité de 292 habitant au km2.
La mutation d’El Salvador a été globale.
– Au niveau politique, il lui a fallu mener de concert, la réinsertion des troupes du Front Farabundo Marti de Libération nationale (FMLN), la guérilla marxiste-léniniste apparue au début des années 1980, dans la vie politique civile. Désormais, le FMLN est un parti politique présent à l’échelle nationale, qui est parvenu à être le premier groupe parlementaire à l’Assemblée nationale. De nombreuses municipalités parmi lesquelles la capitale, San Salvador, sont gérées par des maires issus du FMLN. Pour sa part, le parti dont est issu le Président de la République, Antonio Saca, a su se rénover depuis les premières élections présidentielles gagnées par ce parti en 1989 avec Alfrédo Cristiani. Depuis, Armando Calderon Sol en 1994, Francisco Flores en 1999, ont accompagné la mutation de cette force politique qui est devenue le pôle essentiel du centre-droit au Salvador. Cette participation politique a permis de rompre avec la fermeture des espaces politiques des années 1970 qui, avec les injustices sociales et la mauvaise redistribution des revenus, avait conduit à la violence armée des années 1980.
– Au niveau économique, El Salvador a opté pour la reconstruction et le développement en procédant à un changement de ses structures économiques. L’économie s’est diversifiée : aujourd’hui, seuls 12% des richesses proviennent du secteur agraire, 60% des services et 28 de l’industrie. La transformation de la société est réelle : il est bien fini le temps où l’on présentait ce pays comme celui des 20 familles de latifundias, ces grands propriétaires terriens ! Les changements des structures de l’Etat et de l’économie, la réforme agraire des années 1980, la diversification des productions, ont pu transformer le pays. Aujourd’hui, le café, qui fût longtemps le point fort d’El Salvador, ne participe plus qu’à hauteur de 10% des exportations de ce pays, le sucre, 2%. Désormais, le secteur des produits non traditionnels, cette fameuse « maquila », représente 53% des exportations et 23% des importations. Enfin, n’oublions pas l’apport de capitaux venus de l’étranger et correspondant aux transferts des Salvadoriens vivant aux Etats-Unis (2,5 millions de personnes), appelés « remesas ». Il est évalué à plus de 2,5 milliards de dollars par an, soit 12% du PIB. Des faiblesses socio-économiques perdurent cependant : 13% de la population est toujours analphabète, la pression fiscale reste faible (11% du PIB) alors même que des augmentations salariales dans la fonction publique et le coût de la réforme des retraites obligent l’Etat à procéder à des coupes dans les investissements publics. C’est dans ce contexte que la dollarisation de l’économie s’est faite le 1er Janvier 2001. Elle vise à diminuer encore plus le risque-pays et à faire baisser les taux d’intérêt à court terme pour engager une relance de la demande interne. Ces transformations profondes se heurtent malgré tout, à des interrogations macro-économiques qu’El Salvador ne maîtrise pas : les catastrophes naturelles (l’ouragan Mitch en 1998, les tremblements de terre de 2001, l’ouragan Stan en 2005), la hausse du prix du pétrole, matière première totalement importée, la chute des cours du café, autant d’éléments qui expliquent la dégradation des finances publiques. Dans ce contexte, El Salvador cherche à favoriser une diversification de ses partenaires internationaux. Les Etats-Unis restent bien sûr, le principal client avec 63% du commerce réalisé, suivi par l’Amérique centrale (25%) et l’Union européenne (6.5%). En Amérique centrale, El Salvador joue un rôle moteur et innovant en faveur de la recherche d’une politique commune régionale. Le système d’intégration centraméricain (SICA) a son siège à San Salvador tout comme le Plan Puebla-Panama. Mis en place avec le Président mexicain, Vicente Fox au début des années 2000, il vise à faciliter la mise sur pied d’infrastructures en faveur des transports et de l’énergie à l’échelle de l’isthme centraméricain. Avec l’Union européenne, la relation a véritablement débuté dans les années 1980 : les accords de San José en 1984 ont ouvert un cycle économique renforcé en 1985 avec les accords de Luxembourg qui couvraient une dimension plus politique et humanitaire. Cette coopération globale a été renouvelée en 1993 avec la signature, à San Salvador, d’un accord-cadre dit de troisième génération, car incluant un texte sur les droits de l’Homme. Il remplace l’accord de 1985 et élargit le champ de compétence de la coopération économique. Depuis 1979, l’Amérique centrale a bénéficié d’une aide au développement de l’ordre de deux milliards d’euros dont plus d’un milliard depuis 1990. En décembre 2003, a été signé un accord de coopération et de dialogue politique avec l’Union européenne. Ce texte a pour but d’ouvrir la voie à un accord d’association avec l’Amérique centrale qui pourrait compter avec une association sur la libre circulation des biens. Bien sûr, le Salvador regarde vers l’Asie. Ne reconnaissant toujours pas la République populaire de Chine, les relations sont soutenues avec Taïwan qui fournit un appui conséquent dans le domaine des services et dans les zones franches. Le Japon et la Corée du Sud ont tout autant misé sur ces zones créées depuis une dizaine d’années dans le but de soutenir les créations d’emplois issues des PME-PMI.
El Salvador a beaucoup changé depuis la signature des accords de paix de 1992. La dollarisation de son économie en 2001 montre bien combien les débats idéologiques sont désormais dépassés. L’heure est à la recherche d’un cadre de développement qui soit durable, crédible et pouvant contribuer à renforcer l’intégration régionale en faisant de ce pays l’un des éléments centraux de cette dynamique. La réduction des déficits budgétaires qui de 4,6% du PIB en 2002 est de 2,9% en 2004, celle de la dette publique (45% du PIB en 2004) fournit des éléments positifs qui doivent cependant être nuancés par la faible croissance depuis 2 ans (1,5% en 2004) . Elle était de 3,4% en 1999, de 2,5% en 2000 tandis que l’inflation qui était de 2% en 2000 est de 5,4% en 2004. La dépendance de ce pays aux importations de matières premières telles le pétrole explique en partie cette situation qui ne permet pas au Président Saca de donner toute sa plénitude à une politique mise au service du développement social. |