En accueillant avec succès le sommet du Forum de coopération économique de l’Asie-Pacifique (APEC) en décembre 2004, le Président Ricardo Lagos a affirmé vouloir poser son pays en plate-forme des échanges entre l’Amérique latine et l’Asie-Pacifique. Pour un pays qui a fait des exportations le moteur de son économie (elles représentent 26 à 32% de son PIB selon les années), l’insertion dans l’espace Asie-Pacifique qui représente 47% du commerce mondial et 56% du PIB planétaire, représente une priorité. Le gouvernement du Président Lagos a ainsi multiplié les accords de libre-échange dans la région, avec la Corée du Sud, et plus récemment avec Singapour, la Nouvelle-Zélande et Brunei Darussalam. Des discussions sont en cours avec le Japon, l’Inde, l’Australie et la Chine avec qui une conclusion devrait prochainement aboutir et faire passer la Chine du cinquième au deuxième rang des marchés d’exportation du Chili. Pour la première fois d’ailleurs en 2004, l’Amérique latine est devenue la première destination des investissements chinois à l’étranger.1 Alors que celle-ci s’est affirmée en quelques années comme un de ses partenaires les plus importants, au moins autant que les Etats-Unis, il est dès lors aisé de comprendre l’appel du Président Lagos à la création d’une zone de libre-échange sur l’« océan du futur » que constitue le Pacifique.
Premier producteur de cuivre du monde qui pèse pour près de 16% du PIB national, ce sont ses ressources minières qui intéressent au premier rang la Chine, grande consommatrice de matières premières. Cette complémentarité profite d’ailleurs au Chili qui bénéficie de la hausse des cours du cuivre à un prix moyen de 2 800 dollars la tonne en 2004, qu’alimente la forte demande chinoise et américaine. Le 31 mai dernier, China Minemetals, leader de la production et de la commercialisation de métaux en Chine et Codelco, le premier producteur de cuivre du monde, ont ainsi conclu une alliance stratégique illustrant pleinement cette complémentarité économique. Au cours de l’année 2004, 19 entreprises chinoises avaient déjà investi un montant total de 26 millions de dollars. Seul pays d’Amérique latine avec le Mexique et le Brésil où les investissements étrangers ont continué à affluer en 2003, le Chili commerce à parts égales avec l’Asie, l’Amérique du Nord et l’Asie, et compte bien continuer à tirer profit de la manne chinoise.
Pour affirmer sa vocation à devenir le carrefour des affaires dans la région, le Chili a très largement ouvert son marché intérieur, avec la garantie du respect des mêmes droits et devoirs pour les entrepreneurs étrangers et locaux, une fiscalité réduite (17% d’impôts sur les sociétés), un droit de douane unique de 6%, mais encore plus réduit à un taux moyen effectif de 3% dans le cadre des accords de libre-échange. La plupart des démarches administratives se font via internet. La main d’œuvre est également peu coûteuse, avec un salaire minimum qui plafonne à 170 euros et des charges patronales qui s’élèvent à 3% du salaire.2
Ce défi est d’autant plus ambitieux que le Chili souffre d’un certain isolement géographique, enclavé sur une étendue de 4 500 km de long, entre la Cordillère des Andes, l’Océan Pacifique, le désert de l’Atacama et les glaciers de l’Antarctique, qui peut parfois poser des problèmes logistiques. L’étroitesse de son marché intérieur avec 15,9 millions d’habitants et un pouvoir d’achat en constante augmentation mais encore faible (en 2002, 70% des ménages vivaient encore avec moins de 775 dollars par mois) a en outre contraint le pays a chercher des sources de croissance à l’extérieur. Pour Jonathan Lemco de la société de conseil KWR, « du point de vue de l’investisseur, le Chili est le modèle de l’application de politiques orthodoxes de libre marché dans le processus de développement ».
Le Chili constitue-t-il une exception en Amérique latine ? Il échappe en effet aux travers traditionnels de ses voisins latino-américains : un taux d’inflation de 2,4%, une politique d’excédent budgétaire structurel de 1%, un risque pays équivalent à celui de l’Allemagne et un des niveaux les plus bas de corruption au monde, dans un continent où la pratique fait figure de sport national. Depuis trente ans, le Chili poursuit une politique de développement résolument ouverte sur l’extérieur, qui lui a permis de maintenir durablement une situation macro-économique et financière saine. Sous le gouvernement du Président Ricardo Lagos, cette rigueur économique s’est traduite par l’application d’une politique fiscale anti-cyclique, imposant au gouvernement de dégager un excédent fiscal de 1% du PIB. Résultat : le Chili a la meilleure notation de crédit d’Amérique latine, une dette publique de 12% du PIB, des réserves qui atteignent 16 milliards de dollars fin 2004. Contrairement à ses voisins, le gouvernement est parvenu à amortir la récession économique, sans inquiéter les marchés financiers. Après avoir subi de plein fouet l’impact de la crise financière asiatique de 1997-1998, le Chili a ainsi retrouvé une croissance soutenue de 6,1% en 2004 et les exportations ont progressé de 53,8% atteignant le record historique de 32 milliards de dollars.
La politique volontariste d’attraction de l’investissement étranger soutenue par le programme « Chile Plataforma », a contribué a multiplier par deux le volume des investissements étrangers en 2004, pour atteindre 7 milliards de dollars. Une étude de l’Economist Intelligence Unit conclu que « le Chili sera le pays d’Amérique latine le plus attractif sur le plan commercial dans les cinq prochaines années ». Les prévisions tablent sur un accroissement de l’investissement d’environ 13% en 2005 et un PIB par habitant de 5 000 dollars, ce qui placerait le pays en seconde position derrière le Mexique en Amérique latine.
S’il devait se confirmer, cet essor ne fait que
commencer, d’autant plus qu’il existe un fort consensus sur l’orientation libérale de la politique économique nationale au sein de la classe politique chilienne. Pour l’heure, une cinquantaine de multinationales ont choisi de faire du pays leur base régionale. Air France a notamment installé son centre d’appels pour l’Amérique du Sud au sud de Santiago, Sodexho sa direction marketing et sa direction des ressources humaines, Eurocopter son centre de maintenance régional. Dans cet environnement favorable aux affaires, où la France dispose de solides relations de coopération scientifique et technologique, ainsi que d’un maillage étoffé de relations entre collectivités locales, les investisseurs français demeurent pourtant peu présents, avec 130 filiales, même s’ils sont visibles dans presque tous les secteurs d’activités. Sodexho est ainsi le troisième employeur local avec 11 000 employés. Suez s’est positionné en 1999 à travers sa filiale Aguas Andinas, dans un secteur stratégique, en remportant avec son partenaire espagnol Agbar, la concession de l’eau de Santiago pour une durée illimitée. La présence française est notablement modeste dans le secteur minier. Le développement de Sodexho illustre pourtant le potentiel de ce secteur dans les branches attenantes : 37% de ses activités en dépendent. En dix ans, le nombre de sociétés françaises implantées a toutefois triplé. Les échanges entre les deux pays ont par ailleurs bénéficié de l’effet d’entraînement de l’accord d’association entre le Chili et le l’UE. Les flux commerciaux entre la France et le Chili ont ainsi atteint 1,796 milliard de dollars en 2004 selon la banque commerciale du Chili, soit une hausse de 34% environ par rapport à 2003.3 Mais des efforts restent à faire si les entrepreneurs français ne veulent pas laisser échapper ce marché pivot d’une Amérique latine qui suscitait encore récemment de nombreuses ambitions françaises en dépit de sa volatilité. C.H.
1 – La Documentation française, Jean-Blanquer / Polymnia Zgefka, Amérique latine, Edition 2005.
2 – Le MOCI, juillet 2005
3 – DREE |