Par M. Thierry Raspail, Directeur du Musée d’Art contemporain de Lyon
C’est avec l’élargissement du réseau des Biennales d’Art contemporain dans le monde au cours des années 1990-2000, que se créent de nouvelles relations entre des œuvres et des aires culturelles, qui jusque-là ne communiquent que superficiellement. En 2002, alors Directeur artistique de la Biennale de Lyon, je découvre Belief, la première Biennale de Singapour et rencontre à cette occasion Tan Boon Hui. Ce qui me frappe immédiatement c’est la volonté de Singapour de développer une politique artistique à l’échelle de l’Asie du Sud-Est et d’en devenir l’un des points de convergence majeurs. Le Festival Singapour en France nous donne l’opportunité de concevoir Open Sea, nous inspirant de la fluidité culturelle de cette Mer ouverte qui transcende les frontières locales. En effet, nous n’avons pas à faire ici à des cultures « d’État-Nations », dont nous savons depuis Benedict Anderson que ce sont des « communautés imaginées ». Nous sommes face à des flux tous azimuts qui circulent en permanence et ne constituent pas, à la différence de l’Europe, (et plus largement de l’Occident) une « géographie » constituée et close. Cela crée une poétique aux contours indéfinis, pleinement informée du monde mais aux accents inimitables. C’est pourquoi nous avons fait en sorte, dans Open Sea, qu’aucun des artistes ne « représente » une géographie spécifique, mais que tous, au contraire, soient porteurs de leur propre détermination à dire le monde de façon singulière. Indéniablement marqués par une histoire locale pleinement assumée, ils savent en réécrire le récit pour le lier aux enjeux internationaux. C’est pourquoi, ces œuvres, émanant pourtant de contextes trop souvent ignorés du public français, hélas, paraissent à ce point évidentes et immédiates, sans rien perdre de leur complexité. C’est en tout cas la remarque très souvent énoncée par le visiteur, et ce retour est assez rare pour être signalé. Il prouve la pertinence des formes et des propos. Il s’agissait de présenter « le meilleur » de la collection du Singapore Art Museum (SAM) associé à des pièces de la Biennale de Singapour 2014. L’expérience a démontré qu’il n’y a d’autres perspectives que celles de poursuivre en associant à cette Mer ouverte, une terre qui ne soit pas trop fermée à son tour. Mais la véritable « collaboration » se fera dès lors que les artistes, français, de Singapour ou d’Asie du Sud-Est, ne seront plus repérés géographiquement mais pour la qualité singulière de leurs œuvres. Pour cela, il convient d’accroître les liens professionnels, de les normaliser en quelque sorte, pour que les cultures visuelles se croisent « naturellement ». L’Occident reste trop souvent persuadé qu’il détient les clés de l’art, en témoignent la plupart des programmations des musées qui font barrage, inconsciemment, aux « extérieurs ». La seconde étape de notre collaboration consiste par conséquent à casser les lignes de front et à procéder par infiltration réciproque. |