Entretien avec M. Sébastien Mosneron Dupin, Directeur général d’Expertise France
Alors qu’Expertise France ne dispose pas encore de locaux dédiés et que son Directeur général, M. Sébastien Mosneron Dupin partage son temps entre Grenelle et Bercy, la nouvelle agence française d’expertise technique internationale est opérationnelle depuis le 1er janvier 2015. Née d’une réforme adoptée à peine six mois plus tôt, elle a réuni six anciens opérateurs qui officiaient dans la santé, la formation ou encore les technologies économiques et financières. Nouvel acteur de la coopération au développement, il s’inscrit dans la diplomatie globale mise en œuvre par le Quai d’Orsay. M. Sébastien Mosneron Dupin nous présente les missions de cette agence et les objectifs qu’il s’est fixés, en rappelant que si l’Afrique subsaharienne est une zone d’intervention privilégiée, Expertise France a aussi vocation à se tourner vers les pays émergents.
La Lettre Diplomatique : Monsieur le Directeur général, la nouvelle agence Expertise France regroupe depuis le 1er janvier 2015 sept domaines phares de la coopération technique internationale proposée par la France. Quels sont les atouts de ce nouveau dispositif ?
M. Sébastien Mosneron Dupin : Agence française d’expertise technique internationale, Expertise France est issue de la fusion des six opérateurs d’assistance techniques qu’étaient France expertise internationale (FEI), Adetef, GIP Esther, GIP Inter, GIP SPSI et l’ADECRI. Ce nouvel organisme, à l’œuvre depuis le 1er janvier 2015, présente trois atouts. Le premier est sa transversalité. Autrement dit, il est en capacité de répondre à l’ensemble des besoins des pays du Sud en matière de renforcement de capacités. Notre raison d’être c’est de contribuer à aider nos pays partenaires à améliorer l’efficacité de leur politique publique pour faire face aux défis économiques, sociaux et environnementaux auxquels ils sont confrontés.. Cela nous permet d’être en adéquation avec les orientations de notre coopération bilatérale mais aussi le nouvel axe de la politique de coopération au développement de l’Union européenne (UE), qui consiste à émettre des appels d’offres de plus en plus transversaux. Cette transversalité nous permettra de porter, par exemple, l’ensemble de la filière santé et protection sociale à l’étranger. Nous sommes aujourd’hui en capacité de proposer de l’expertise pour la mise en place d’une politique de lutte contre une pathologie, la formation des médecins, la construction d’un hôpital de référence dans le domaine et son financement. Tous les acteurs de la filière pourraient ainsi être associés, qu’ils soient publics comme l’APHP, Pôle Emploi et l’École des hautes études en santé publique (EHESP) de Rennes, ou privés comme Bouygues et Sanofi. Le deuxième atout de l’agence est sa taille critique qui lui permet de financer un service de veille et de montage de réponses aux appels d’offres. Enfin, il résulte des deux premiers atouts un troisième : Expertise France va bénéficier d’une plus grande visibilité et lisibilité en devenant un opérateur de référence, avec un soutien de l’ensemble du gouvernement français ainsi que des réseaux diplomatiques et économiques dans le monde.
L.L.D. : Avec un chiffre d’affaires de 120 millions d’euros et un vivier de 10 000 experts, Expertise France devient le 2ème pilier de l’aide française au développement après l’Agence française de Développement (AFD). Comment ses compétences sont-elles valorisées au sein de « l’offre » de coopération de la diplomatie française ?
S.M.D. : Expertise France est un pilier de la coopération française au développement au même titre que l’AFD, établissement de crédit doté de montants d’engagement considérables (8,5 milliards d’euros par an) pour financer des projets. Expertise France, quant à elle, met en œuvre des projets avec un réseau de 10 000 experts. Les deux agences travaillent ensemble en établissant un vrai partenariat, dont l’accord-cadre est en cours d’élaboration. De plus, l’AFD est représentée au sein de notre conseil d’administration et le sera dans notre conseil d’orientation. C’est une vraie complémentarité qui s’instaure, à l’image des cofinancements que nous avons réalisés pour un projet d’urbanisme en Turquie. Juste créée, Expertise France doit se faire connaître. C’est la raison pour laquelle nous entreprenons une tournée des bailleurs de fonds. New York, Washington et Bruxelles sont quelques-unes des étapes de notre parcours. Par ailleurs, nous avons demandé à l’ensemble du réseau diplomatique de nous aider en faisant remonter deux types d’informations : les financements existants en matière d’expertise techniques dans les pays de résidence ainsi que les besoins en matière de réformes de l’État et des politiques publiques. Expertise France dispose de correspondants dans ce réseau diplomatique, en plus de ses quatre interlocuteurs privilégiés en résidence dans chaque pays que sont le service de coopération et d’action culturelle ainsi que le service économique de l’Ambassade, le bureau local de l’AFD et celui de Business France. Le premier possède une bonne connaissance des enjeux du développement et des besoins dans son pays d’implantation. Le deuxième, en relation avec les administrations régaliennes, est informé des réformes de l’État en cours et, par conséquent, des besoins en matière de gouvernance et de politiques publiques. Le Directeur de l’AFD connaît, quant à lui, la cartographie des bailleurs de fonds locaux et nourrit des relations privilégiées, notamment avec les délégués de l’UE ou de la Banque Mondiale. Enfin, Business France est en rapport avec toutes les entreprises qui sont clients des États, notamment en matière d’expertise. Dans la mesure où Expertise France est désormais l’agence de référence, je pense que l’ensemble des ambassadeurs seront rapidement appelés, dans leur plan d’action et lors de la conférence des ambassadeurs, à soutenir cet opérateur d’influence de la diplomatie globale voulue par M. Laurent Fabius, qui associe influence politique, coopération au développement et diplomatie économique.
L.L.D. : Pourriez-vous nous préciser les conditions d’intervention d’Expertise France ? Comment sélectionnez-vous les projets ? Dans quelle mesure peut-elle favoriser le développement international des entreprises ?
S.M.D. : Expertise France poursuit une double orientation qui consiste à répondre aux grands axes de la politique du gouvernement et à suivre la demande de nos partenaires et des bailleurs de fonds. Plus précisément, Expertise France suit la ligne stratégique élaborée par nos tutelles qui s’articule notamment autour des positions traditionnelles de la France dans les instances internationales, comme la COP21, la couverture sanitaire universelle, les droits de l’Homme ou encore l’état de droit. A ce titre, Expertise France peut contribuer à des plans en faveur de médias indépendants et de la liberté de la presse. Elle met en œuvre la facilité climat financée par l’AFD dans la perspective de la COP 21. Nous défendons aussi les positions de la France comme celles dans le dossier syrien, en soutenant un réseau de centres sanitaires clandestins dans des territoires libérés de Syrie. L’autre mandat qui nous incombe est celui d’amplifier notre coopération bilatérale en captant le maximum de financements internationaux. Parmi les récents contrats et appels d’offres remportés, je pourrais citer le projet européen EUWAM-Lab, qui vise à renforcer les capacités de diagnostic dans les pays touchés par l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest. Lancé en septembre 2014, il est mis en œuvre par un consortium piloté par Expertise France et regroupant l’Inserm, l’Institut Pasteur, l’Institut Pasteur de Dakar et la Fondation Mérieux. Il est financé à hauteur de 2,6 millions d’euros par l’Initiative des Centres d’excellence NRBC (nucléaire, radiologique, biologique et chimique). Expertise France a également remporté auprès de l’UE le projet d’appui à la réforme de l’administration fiscale guinéenne, évalué à 2,4 millions d’euros. Celui-ci a été démarré en janvier 2015 par une mission spécifique et l’installation d’un expert en fiscalité à Conakry, l’objectif étant d’appuyer la Direction nationale des Impôts guinéenne (DNI) pour permettre l’élargissement de l’assiette fiscale et l’amélioration des recettes fiscales dans le pays d’ici trois ans. Par son action, Expertise France participe à exporter la norme et la vision de la France dans le monde, permettant ainsi de créer un écosystème dans lequel les entreprises françaises sont à l’aise. L’agence associe notamment des bureaux d’études français en vue de trouver des financements, ce qui nous permet de gagner davantage de marchés extérieurs. Nous sommes ainsi en cours de négociation d’un accord avec les autorités du Bahreïn en vue d’un consortium associant 3 bureaux d’étude privés sur un projet relatif à la ville durable. Elle joue également le rôle d’« assemblier » entre expertises publique et p rivée. Ainsi Expertise France assure-t-elle la gestion du soutien logistique de la MINUSMA (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali). Je viens de signer un contrat de 25 millions d’euros auprès des Nations unies. En mars 2015, nous avions décroché des contrats de gré à gré octroyés par l’ONU, évalués à 34,7 millions d’euros, en vue d’effectuer des travaux d’infrastructures dans le nord du Mali. L.L.D. : De la santé au développement durable en passant par les finances publiques et les enjeux de sécurité et de maintien, les domaines d’intervention d’Expertise France sont larges. Comment en garantissez-vous la cohérence et l’efficacité ? Quels sont les nouveaux secteurs d’activité favorisés par la transversalité créée par la concentration des anciennes agences spécialisées au sein d’Expertise France ?
S.M.D. : Expertise France couvre sept domaines qui structurent son organisation fonctionnelle : gouvernance et droits humains ; stabilité, sûreté et sécurité ; finances publiques ; développement économique ; développement durable ; santé ; protection sociale et emploi. Notre transversalité nous permet de répondre à des appels d’offres en tant qu’opérateur de référence, et non plus en ordre dispersé. Nous proposons ainsi des réponses cohérentes, sur mesure et globales. Pour l’heure, la réforme du secteur de la coopération au développement n’en est qu’à sa première phase. La seconde phase devrait intervenir d’ici 2017. Elle devrait permettre un rapprochement plus étroit, voire, le cas échéant, un regroupement, avec d’autres acteurs de la coopération au développement, comme le GIP France Vétérinaire International, l’ADECIA, CIVIPOL et la SFERE, CIEP ou encore CFI. La loi d’orientation sur le développement comme a baisse des dépenses publiques nous encourage dans cette voie. Nous avons l’ambition de nous positionner à hauteur des autres agences publiques d’expertise, comme la Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ), l’agence allemande de coopération internationale pour le développement, qui atteint un chiffre d’affaires de 300 millions d’euros de contrats internationaux (hors bilatéral) par an. Au-delà, nous sommes également opérateur de mise en œuvre de projets d’expertise pour le compte de plusieurs organismes français, comme la Direction de coopération de sécurité de Défense (DCSD) et le Centre de gestion de crise au Ministère des Affaires étrangères et du Développement international.
L.L.D. : Expertise France s’adresse en particulier aux pays en voie de développement, voire émergents à l’instar de la Chine. Comment expliquez-vous son absence en Inde ? Vers quels autres « marchés » comptez-vous accroître sa visibilité ?
S.M.D. : La demande d’expertise publique est aujourd’hui en forte demande. D’une part, les pays émergents prennent conscience qu’il faut faire fructifier les fruits de la croissance en faveur de leur population et d’un développement économique durable et inclusif. D’autre part, les gouvernements des pays en Afrique se doivent de répondre aux défis du doublement de la population par des politiques publiques plus efficaces L’Afrique est une zone d’intervention majeure, car elle constitue une priorité de la diplomatie et de la coopération française. Si l’Afrique est notre priorité, Expertise France est également présent en Amérique latine et en Europe, notamment en Grèce, en Ukraine ou prochainement en Roumanie. Nous avons l’intention de nous développer dans les pays émergents. Ce sont des partenaires solvables avec lesquels nous pouvons établir une coopération d’intérêt mutuel. Si Expertise France n’est pas encore présente en Inde, ce n’est pas par choix. Il nous faut aussi investir en Afrique de l’Est et australe. Par exemple, nous ne sommes pas présents en Afrique du Sud, et c’est regrettable.
L.L.D. : La création d’Expertise France s’inscrit dans le cadre d’une politique de rationalisation de la stratégie « internationale » de la France avec l’attribution des prérogatives du commerce extérieur au Ministère des Affaires étrangères. En votre qualité d’ancien Conseiller auprès de M. Laurent Fabius, Ministre des Affaires étrangères et du Développement international, comment analysez-vous cette réforme ? Quelles sont vos attentes à cet égard ?
S.M.D. : La création d’Expertise France est illustrative de la réforme de l’État, au sens où des structures sont simplifiées et mises en relations pour travailler ensemble. Votée en juillet 2014 et mise en œuvre dès janvier 2015, cette réforme a été menée tambours battants et de bout en bout. Preuve en est que les réformes peuvent être entreprises et menées à bien dans notre pays. La création d’Expertise France illustre aussi la diplomatie globale mise en œuvre par le Quai d’Orsay et sa capacité à travailler avec le ministère des Finances. Dès lors, mes objectifs sont de quatre ordres. Tout d’abord, faire d’Expertise France une des premières agences mondiales en matière d’expertise publique internationale. Ensuite, nous souhaitons devenir un opérateur incontournable pour l’ensemble des administrations. C’est là un enjeu majeur, notre vocation est de projeter à l’international le savoir faire enraciné dans ses administrations. Nous voulons faire la preuve que les administrations ont intérêt à solliciter Expertise France, qui sera en capacité de mettre en valeur leur expertise mieux que n’importe quelle initiative individuelle ou qu’en passant par un petit opérateur. Il s’agit également d’arriver à un résultat financier positif d’ici 2017 de façon à pouvoir dégager des ressources financières en vue de recruter, de monter en gamme les prestations – c’est-à-dire mieux former nos experts sur l’international –, et de développer la production intellectuelle sur le sujet pour faire connaître notre métier de renforcement de compétences et de capacités. Je souhaite que chaque salarié d’Expertise France se lève le matin en étant fier de travailler pour cette agence, motivé pour mener leur action et conscient de la noblesse de leur mission. Cette fusion représente, pour la coopération française, un défi considérable. |