Assouplissement du cadre économique, resserrement des liens avec l’Union européenne, rapprochement avec les États-Unis ouvrant la voie à la levée de l’embargo… Cuba pourrait entrer très prochainement dans une nouvelle ère. Signe que la France entend bien l’accompagner sur cette voie, le Président François Hollande doit y effectuer le 11 mai 2015 une visite historique, la première d’un chef d’État français à La Havane.
17décembre 2014, La Havane et Washington annoncent leur volonté d’initier des négociations en vue de rétablir leurs relations diplomatiques. Des mois de rapprochement diplomatique sont rendus publics, ouvrant officiellement de nouvelles opportunités pour le développement économique de Cuba. De son côté, l’Union européenne a, elle aussi, le 29 avril 2014, repris la voie du dialogue avec La Havane. Devançant l’ouverture de ces négociations, la France y a dépêché dès le 12 avril son Ministre des Affaires étrangères et du Développement international, M. Laurent Fabius. Une visite inédite en trois décennies pour un chef de la diplomatie française qui prélude, celle historique du Président François Hollande le 11 mai 2015, la première du genre. De fait, M. Laurent Fabius avait pu affirmer devant la communauté française de la grande île, son intention de « renouer les fils de notre histoire commune, distendus ces dernières années. » Mais aussi, de « donner une impulsion nouvelle aux échanges économiques et commerciaux ».
Des perspectives de changement Car à Cuba, le vent de l’histoire semble être en train de tourner, ce qui ne manque pas d’aiguiser l’intérêt des investisseurs étrangers. Au plan diplomatique, le rapprochement avec les États-Unis laisse entrevoir la fin d’un embargo économique imposé par Washington depuis un demi-siècle, qui prive le pays de financement extérieur et dont l’extra-territorialité entrave le développement d’activités commerciales normales, comme la banque française BNP-Paribas en a encore récemment fait les frais1. Surtout, il confirme la fin de l’isolement de Cuba qui a pleinement retrouvé sa place dans le concert des nations latino-américaines, comme l’ont illustrées l’organisation à La Havane du 2ème sommet de la Communauté d’États latino-américains et caribéens (CELAC) et, plus récemment, la rencontre à Panama, le 10 avril 2015, entre le Président Raúl Castro et son homologue américain Barack Obama, lors du sommet des Amériques, auquel le pays n’avait plus participé depuis sa création en 1994. Au plan intérieur, le chef de l’État cubain a lancé depuis son arrivée au pouvoir en 2008 une série de réformes visant à « actualiser » son modèle économique. Si les fondamentaux de ce dernier ne sont pas remis en cause, ces mesures révèlent l’introduction d’une certaine souplesse avec notamment l’ouverture graduelle au secteur privé et aux coopératives non agricoles, l’adoption d’un nouveau code fiscal et d’un nouveau code du travail ou encore l’annonce d’une unification monétaire. Symbole du changement en cours, la création de la Zone spéciale de développement de Mariel (ZDEM) en 2013 et l’adoption d’une loi sur les investissements étrangers en 2014 marquent très concrètement les ambitions nouvelles de Cuba pour son émergence économique. Une nécessité au regard des difficultés auxquelles se trouve confronté le pays. Outre le coût de l’embargo américain, évalué par le gouvernement cubain à quelque 75 milliards de dollars, l’île a absorbé ces dernières années l’impact dévastateur de trois ouragans de grande ampleur. Dépendante de ses importations alimentaires et de pétrole, elle doit également composer avec une balance commerciale fortement déficitaire. La chute des cours du nickel, son premier poste d’exportation, a nettement ralenti la croissance à hauteur de seulement 1,4% en 2014 (contre 2,7% en 2013).
Séduire les investissements étrangers Attirer les entreprises étrangères pour relancer une industrie d’exportation apparaît donc désormais vital pour Cuba. Le Vice-Président cubain Marino Murillo, l’un des principaux responsables des réformes économiques, déclarait ainsi en 2014 selon l’agence de presse cubaine Prensa Latina, que le pays « a besoin de 2 000 à 2 500 millions de dollars annuels d’investissements étrangers directs » afin d’amorcer le décollage de son économie.2 On comprend dès lors que pour s’imposer sur ce marché, il faudra donc être les premiers, notamment face à l’appétit des entreprises américaines. Or, Cuba ne manque pas d’atouts et regorge d’opportunités. En dépit du poids de l’embargo, le pays fait figure de première économie de la région Caraïbe avec un PIB estimé à 72,3 milliards de dollars en 2012. Il possède de vastes ressources minières, dont l’un des plus grands gisements de nickel au monde avec 800 millions de tonnes de réserves prouvées et 26% des réserves mondiales de cobalt. Cuba est aussi le premier producteur de chrome du continent américain devant les États-Unis et le Brésil. Les matières premières ne sont pas ses seules richesses. Sous l’impulsion de Fidel Castro, Cuba s’est doté d’un puissant pôle de recherche et développement dans le secteur de la santé, très réputé, à l’image de sa filière des biotechnologies qui affiche des performances prometteuses et constitue son deuxième poste d’exportation (10%) représentant plus de 680 millions de dollars de revenus. Preuve de son excellence, la société française Abivax a été la première entreprise occidentale à établir une coopération avec Cuba dans ce domaine et rêve désormais de contribuer à y développer une Silicon Valley de la santé.
La France en lice Neuvième partenaire commercial du pays, la France a sa carte à jouer. Lors de son déplacement dans l’île du 5 au 8 mars 2015, le Secrétaire d’État français au Commerce extérieur, M. Matthias Fekl, était accompagné des représentants de 17 entreprises de l’Hexagone, dont notamment CMA-CGM, 3ème groupe mondial de transport maritime, qui a investi dans la ZDEM pour gérer une zone d’entrepôt. Près d’une soixantaine d’entreprises françaises ont développé à Cuba des activités par le biais de partenariats avec des sociétés cubaines. Pernod Ricard en tête, à travers son association avec Cuba Ron pour commercialiser son fameux rhum cubain, Havana Club, qui a investi 100 millions d’euros en dix ans. Le plan d’investissement du groupe à Cuba s’étendrait d’ailleurs jusqu’en 2025. Dans le secteur du tourisme, l’un des fleurons de l’économie de l’île, les entreprises françaises sont également bien présentes. Lors de la Feria Internacional de Turismo (FIT) qui s’est déroulée du 6 au 10 mai 2014, Accor, Bouygues-Construction et Air France-KLM figuraient bien parmi les groupes les plus en vue du secteur. Invitée d’honneur de cette 24ème édition, la France y était représentée par Mme Fleur Pellerin, alors Secrétaire d’État au Commerce extérieur et à la Promotion touristique. L’occasion pour le groupe Accor, qui compte dans le pays trois hôtels de la marque Mercure, d’annoncer l’inauguration d’un hôtel Pullman cinq étoiles de 500 chambres à Cayo Coco en août 2015, ainsi qu’un plan de développement à La Havane, Varadero et dans les Cayos, au nord de l’île pour 2016 et 2017. De son côté, Bouygues-Construction, qui est l’un de principaux partenaires de Cuba pour la construction hôtelière, devrait engranger de nouveaux contrats. À cette occasion, le Ministre cubain du Tourisme, M. Manuel Marrero, a en effet annoncé des projets pour la réalisation de quelque 20 000 nouvelles chambres. Enfin, la compagnie aérienne franco-néerlandaise Air France KLM, qui assure 14 liaisons hebdomadaires vers Cuba, a signé un accord de coopération renforcée avec la compagnie aérienne cubaine Cubana de Aviacion afin d’être présent dans l’est de l’île, et de concrétiser à terme un accord de code share3 avec celle-ci. Pour la France, qui souhaite intensifier ses échanges économiques avec l’Amérique latine, Cuba est un marché stratégique. Comme l’a déclaré le Secrétaire d’Etat Matthias Fekl lors de son déplacement à La Havane, « la France a un rôle fondamental à jouer aux côtés des Cubains. »CH |