Par le Dr. Philippe POULETTY, Fondateur et Président du Conseil d’Abivax, Fondateur et Directeur général de Truffle Capital, Président d’honneur de France Biotech et le Dr. Hartmut EHRLICH, Directeur général d’Abivax
Repousser les frontières de l’innovation est consubstantiel à la recherche scientifique. Du point de vue de la politique étrangère américaine, envisager la levée de l’embargo économique imposé depuis un demi-siècle par les États-Unis à Cuba relève également, au sens propre comme au figuré, d’une logique de franchissement des frontières – un pas que les Européens, quant à eux, ont déjà franchi. Alors que les États-Unis entament une réflexion sur l’établissement de futures relations économiques avec l’île des Caraïbes, située à 150 kilomètres à peine au large des côtes de Miami, nous autres Européens, et notamment notre société, avons été à la pointe de cette ouverture dans un domaine de développement économique bien particulier : la science et les biotechnologies. Nous y sommes parvenus via l’établissement de relations humaines fortes et le développement de thérapies innovantes, tout en bénéficiant de la vision de Fidel Castro en matière de modernisation du secteur de la santé dans l’État insulaire. Si la création de liens étroits entre notre société de biotechnologie basée à Paris, Abivax, et des instituts de biotechnologie et de vaccination cubains, il y a quatre ans, peut aujourd’hui sembler visionnaire, pour nous, il s’agissait avant tout à l’époque de mettre en œuvre une politique de recherche et développement ambitieuse. Une société de biotechnologie prospère se développe principalement au moyen d’une innovation scientifique de haut niveau, de médicaments de pointe protégés par des brevets, d’apports financiers adaptés et d’une équipe de qualité. Notre objectif était de développer de nouvelles thérapies pour le traitement des maladies virales graves, telles que le VIH et le virus ébola, ainsi que de nouveaux vaccins thérapeutiques ; une orientation qui nous a naturellement conduit à faire de La Havane notre résidence secondaire. Pourquoi Cuba ? Bien qu’il s’agisse là d’un fait largement méconnu de la communauté biopharmaceutique internationale – fait bien connu, en revanche, de l’OMS et de la Chine – des millions de doses de vaccins pour la prévention de nombreuses maladies infectieuses mortelles ont été développées et produites à Cuba par des milliers de scientifiques, d’ingénieurs et de techniciens qualifiés, nombre d’entre eux formés en Europe, en Russie ou aux États-Unis. En dépit d’un certain nombre de décisions contestables prises par Fidel Castro au début des années quatre-vingts, quelques-unes d’entres elles étaient, au contraire, bien avisées. Parmi les plus notables, il convient de mentionner l’éducation et la formation de milliers de médecins, biologistes et biochimistes ; la création de plusieurs instituts intégrés pour la recherche, le développement et la production de vaccins, tels que le Centro de Ingéniería y Genética Biotecnología (CIGB) ou l’Institut Finlay ; et l’éradication de l’hépatite B, la méningite, la fièvre typhoïde et la poliomyélite. En d’autres termes, le Président cubain a permis la création d’une véritable « Silicuban Valley » – et ce, malgré l’absence notable de capital-risque dans l’île. Dès nos premières rencontres avec l’équipe de direction et les chercheurs du CIGB, nous avons été en mesure d’établir un langage commun pour parler de la science, des brevets, des bonnes pratiques de fabrication (BPF), des essais cliniques, des approbations réglementaires… et du bon vin. En revanche, lorsque nous nous sommes entretenus en juin 2011 avec le fils aîné du Líder Maximo, Fidel Castro Díaz-Balart, au sujet de l’opportunité pour Cuba de devenir actionnaire d’une société capitaliste européenne, potentiellement destinée à être cotée en bourse, il s’est amusé du concept consistant à « créer de la valeur avant même qu’un produit ne soit mis sur le marché ». Il a également ajouté qu’un certain temps serait sans doute nécessaire avant que son pays n’emprunte une voie capitaliste s’agissant des négociations sur la délivrance de licences d’exploitation. Nous avons par conséquent joué la carte de la sécurité en faisant le choix de négocier avant toute chose des contrats de licence, qui ont mis trois ans avant d’être finalisés. En revanche, nous n’avons pas attendu la conclusion de ces accords avant de mettre en place une étroite collaboration entre nos équipes respectives. Au travers de vols réguliers entre Paris et La Havane et de rencontres fréquentes au CIGB, à l’Institut Finlay ou au siège d’Abivax, à Paris, une collaboration intense et durable a progressivement pris corps, grâce à laquelle des contrats de licence additionnels ont par la suite été conclus. Le premier produit de cette collaboration fructueuse, ABX203 est un nouveau vaccin thérapeutique antiviral pour le traitement de l’hépatite B chronique, une maladie qui touche près de 350 millions de patients dans le monde et se traduit dans de nombreux cas par des cirrhoses ou cancers du foie. ABX203 a été testé avec succès lors de quatre essais cliniques au CIGB, et un essai pivot, mené en Asie et en Australie par Abivax, est actuellement en cours. Les études de phase II ont d’ores et déjà permis de démontrer l’innocuité et l’efficacité du vaccin chez les patients. Aujourd’hui, Abivax est la première entreprise biopharmaceutique « occidentale » à avoir entrepris une collaboration stratégique avec des instituts de biotechnologie et de vaccination cubains. Pour Abivax, cela signifie non seulement l’accès à une excellente R&D en matière de vaccins et à des capacités de fabrication à grande échelle, mais également l’élargissement de son portefeuille de produits à des besoins médicaux non satisfaits. Pour Cuba, cette collaboration offre un accès aux pays du Nord, la possibilité de conduire plus rapidement des essais cliniques internationaux et un accroissement de son marché potentiel. En plus de nos liens dans le domaine scientifique et médical, nous avons très probablement gagné la confiance de nos amis cubains Gerardo et Ricardo lors d’un dîner à La Havane en septembre 2011. Nous leur avions annoncé que nous pensions donner à notre société le nom d’EuroCuba, dans le cas où l’île deviendrait un actionnaire. L’un de nos conseillers s’y était opposé, prétextant qu’un tel nom aurait sans doute une connotation fortement négative en occident, notamment auprès des banques et des investisseurs potentiels. Nous avons alors répondu que lorsque l’on prétend se marier avec une femme, lui demander de rester à l’intérieur et à l’abri des regards n’est pas la bonne marche à suivre, et que nous étions fiers de faire connaître notre relation. En outre, notre mariage devrait durer et se fructifier du fait même des fondations solides que nous avions bâties ensemble. Comme nous l’ont alors fait remarquer nos partenaires : « Vous étiez ici avec nous avant qu’Obama et Raùl ne commencent à parler. ». |