Entretien avec M. Jérôme COTTIN-BIZONNE, Directeur général de Havana Club International
La Lettre Diplomatique : Monsieur le Directeur général, Havana Club est commercialisé depuis plus de vingt ans par le groupe Pernod-Ricard. Pourriez-vous nous rappeler l’historique de cette coopération avec l’État cubain ? Comment a-t-elle évolué ?
M. Jérôme Cottin-Bizonne : Havana Club International SA est une joint-venture créée entre Pernod Ricard et l’entreprise Cuba Ron SA, dont l’histoire a commencé en 1993, soit il y a 22 ans. Au départ l’enjeu était la distribution à l’exportation, quelques années après nous avons intégré la distribution à Cuba, et nous avons ensuite investi dans la production avec la distillerie de San José de las Lajas, spécialisée dans les rhums âgés. C’est d’ailleurs sans doute la plus grande distillerie de ce type au monde. Quant à la distillerie historique de Santa Cruz, elle est consacrée aux rhums blancs. Le succès de cette joint-venture n’est plus à démontrer, les ventes étant passées de 400 000 caisses vendues en 1994 à 4 millions en 2014 !
L.L.D. : À l’instar du cigare, le rhum est un produit emblématique de la culture cubaine. Comment votre groupe participe à sa valorisation ?
J.C.-B. : La première tâche de Havana Club International a été de faire connaitre le rhum cubain et de positionner la marque et ses différents produits sur tous les marchés export, grâce au réseau de distribution de Pernod Ricard. Ensuite, le groupe Pernod Ricard croyant fermement à la premiumisation, nous avons développé de nouveaux rhums premium réunis au sein d’une gamme baptisée Icónica Collection. Cette gamme comporte, par exemple, le fameux Havana Club Máximo Extra Añejo, ou encore le dernier né, Havana Club Unión, un nouveau rhum élaboré en association avec le cigare, autre icone de la culture cubaine. Effectivement, nous sommes très fiers de nos racines et avons décidé de promouvoir cette « cubanité » notamment dans le domaine culturel, avec notre plateforme Havana Cultura.
L.L.D. : Havana Club s’est hissé au 3ème rang des marques internationales de rhum. Quelles sont les spécificités de son savoir-faire ? Comment se déroule le processus de création de nouvelles sortes de rhum ou de nouveaux produits tels que la gamme d’exhausteurs d’arômes récemment lancée sous le nom « The Essence of Cuba » ?
J.C.-B. : Ce sont nos maestros roneros (maîtres rhumiers) qui détiennent et transmettent le savoir-faire du rhum cubain, un rhum léger et complexe reconnaissable entre tous. Ce savoir-faire repose en grande partie sur le vieillissement naturel, qui consiste en plusieurs étapes d’assemblage et de vieillissement de nos aguardientes et rhums en fûts de chêne blanc américains. Nos nouveaux produits naissent toujours de l’échange fructueux entre nos réflexions sur le marché et les consommateurs, et les recherches de nos maîtres rhumiers qui, en fonction d’un cahier des charges, fondent le meilleur assemblage. « Essence of Cuba » est un cas particulier car il a été créé en collaboration avec l’entreprise allemande The Bitter Truth. Je préfèrerais parler de l’exemple de Selección de Maestros, pour lequel nos 6 maîtres rhumiers se réunissent et sélectionnent les meilleurs rhums qui, une fois assemblés, connaîtront une ultime phase de vieillissement. Ce rhum ne pouvait pas mieux porter son nom !
L.L.D. : En décembre 2014, Cuba et les États-Unis ont annoncé leur volonté de rétablir leurs relations diplomatiques. Comment avez-vous accueilli cette initiative ? Dans la perspective d’une levée de l’embargo des États-Unis sur Cuba, quels sont les enjeux de l’ouverture du marché américain pour votre groupe ?
J.C.-B. : Nous nous réjouissons de cette annonce qui ouvre de nouvelles perspectives. Le peuple cubain a également accueilli cette nouvelle avec joie, à l’instar de nos 500 employés, dont la plupart sont cubains. Quand l’embargo sera levé, nous serons alors autorisés (et ravis) de distribuer notre rhum 100% cubain aux États-Unis. L’image du rhum cubain y très positive et l’impatience des barmen américain à le servir nous laissent imaginer un bel avenir pour la marque. Le marché américain est le 1er marché mondial de rhum prémium, l’enjeu est donc énorme pour Havana Club.
L.L.D. : Après plusieurs années de conflit juridique, le groupe Pernod-Ricard avait renoncé en 2012 à commercialiser la marque Havana Club sur le marché américain, au profit d’une nouvelle marque, Havanista. Tenant compte de la position de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) sur ce dossier, dans quelle mesure un nouveau recours vous semble-t-il envisageable ?
J.C.-B. : Ce conflit juridique est très complexe et comporte de nombreuses étapes. Bien que la décision ne dépende pas de nous, notre objectif est d’être les premiers à commercialiser un vrai rhum cubain aux États-Unis, et cela se fera soit sous la marque Havana Club, soit sous la marque Havanista.
L.L.D. : En dehors du Canada et du Chili notamment, les principaux marchés de Havana Club restent concentrés en Europe. Comment envisagez-vous d’élargir le rayonnement de la marque sur des marchés de plus en plus ouverts à de nouveaux produits comme la Chine ?
J.C.-B. : Nous exportons dans plus de 120 pays. Nos principaux marchés sont, en effet, l’Europe dans sa totalité, et nous avons d’autres pays à succès en Amérique comme le Mexique, l’Argentine, le Chili et le Canada. Dans les années à venir, la croissance de la marque va se concentrer sur le renforcement de ces marchés, où nous sommes déjà solidement établis, voire même leaders, et la conquête de nouveaux territoires, comme l’Asie. Concernant la Chine, le consommateur chinois s’intéresse pour le moment plus au cognac et au whisky qu’au rhum. C’est donc un marché qu’il nous reste à conquérir et sur lequel nous avons des espérances de développement, mais à plus long terme. |