Entretien avec M. Darko Lorencin, Ministre du Tourisme de Croatie
La Lettre Diplomatique : Monsieur le Ministre, l’industrie touristique est devenue l’un des secteurs majeurs de l’économie croate. Comment caractériseriez-vous son rôle dans l’économie croate ?
M. Darko Lorencin : Le tourisme est, en effet, le secteur d’activité le plus dynamique en Croatie. Sa part dans le produit intérieur brut (PIB) croît d’année en année. En 2014, les revenus qu’il génère ont atteint 17% du PIB. Il constitue donc un moteur très important pour notre économie qui sort progressivement, depuis le début 2015, de la récession. De plus, le tourisme représente une source importante d’emplois (18%), même si le facteur saisonnier ne rend pas compte pleinement de cette réalité. Enfin, j’ajouterais que notre système de gestion du secteur touristique est en quelque sorte auto-financé, notamment par le biais de la collecte de la taxe sur l’hébergement et de la taxe spéciale sur les compagnies qui bénéficient des retombées du tourisme comme les opérateurs de télécommunications ou les centres commerciaux.
L.L.D. : Vous avez annoncé, en février 2015, le nouveau slogan pour la promotion du tourisme, « Croatia Full of Life » (La Croatie pleine de vie). Pouvez-vous nous expliquer les motivations ce choix ?
D.L. : La Croatie est très connue pour ses plages de sable fin ou ses festivals qui attirent la jeunesse. En revanche, notre pays l’est moins pour son patrimoine culturel ou sa gastronomie. Il est vrai que notre littoral est émaillé de sites magnifiques et de villes au charme indéniable comme Split, d’où viennent, d’ailleurs, de nombreux basketteurs croates qui jouent, aujourd’hui, dans le tournoi américain de la NBA. Cette ville par exemple, la deuxième plus importante du pays, abrite de nombreux palais romains qui ont été transformés au cours des vingt dernières années en villas ou en magasins que les gens peuvent visiter tout au long de l’année. Avec ce nouveau slogan, nous avons donc voulu faire ressortir la vie qui anime en permanence ces sites historiques et qui offre un cadre touristique exceptionnel aux visiteurs étrangers. De plus, nous avons pu constater le grand écart entre les attentes des touristes qui ne sont jamais venus en Croatie et leur retour d’expérience. Bien souvent, leur séjour dépasse toutes leurs espérances, ce qui nous a amené à la conclusion que nous pouvions améliorer notre stratégie de promotion touristique. C’est aussi tout le sens de ce nouveau slogan, qui inaugure un nouveau concept de communication ayant pour vocation de proposer une plateforme d’informations et de récits d’expérience sur notre pays. Celle-ci aspire bien entendu à décliner les différentes facettes de nos produits : le soleil et la plage donc, mais aussi la culture, la beauté, les goûts et les odeurs d’une gastronomie unique, l’œnologie, la musique, la fête ou encore le sport. L.L.D. : Lancée en 2013, la « Stratégie de développement du secteur touristique croate à l’horizon 2020 » prévoit 7,3 milliards d’euros d’investissements pour l’amélioration des infrastructures et notamment la construction de 20 000 nouvelles chambres d’hôtels. Quelles sont les avancées de ce programme et quels en sont les projets les plus emblématiques ? Comment la participation des entreprises françaises dans ce secteur pourrait-elle être renforcée ?
D.L. : Cette stratégie adoptée il y a deux ans prévoit, en effet, un plan d’investissement d’environ 7 milliards d’euros dans le secteur touristique avec pour objectif principal l’accroissement des dépenses de consommation, en les portant de 9 à 14 milliards d’euros. Comme vous le soulignez dans votre question, la moitié de ces investissements est destinée à augmenter nos capacités totales d’accueil de 78%, en particulier celle de la filière hôtelière. Pour vous donner une idée, la part totale de l’hôtellerie en Croatie ne représente que 13% de l’hébergement touristique. C’est une situation pratiquement inverse à celle de la France, qui dispose de mon point de vue de l’industrie hôtelière la plus développée au monde. Pour des raisons historiques et géographiques liées à la configuration de notre littoral, les lits de résidences touristiques se répartissent en Croatie pour 25% dans les campings, 13% dans les auberges et 50% dans des logements privés, souvent de grand confort. Nous disposons donc de grandes marges de manœuvre. En outre, ces investissements devraient permettre de créer entre 20 et 30 000 emplois.
L.L.D. : Cette stratégie met l’accent sur des segments spécifiques, comme le tourisme d’affaires. Quelles sont les mesures prévues plus spécifiquement dans ce domaine ?
D.L. : Nous cherchons à développer ce segment en devenant un acteur du tourisme plus proactif. Nous voulons, par exemple, faire émerger de grandes infrastructures propices aux activités de MICE (Meeting, incentives, conferencing and exhibitions) au cœur des principales villes croates. Trois destinations sont cruciales pour nous à l’heure actuelle : la capitale croate, Zagreb, Dubrovnik et Split. Des opportunités pour l’essor du tourisme d’affaires existent également dans d’autres villes comme Zadar, Opatijia et Pula.
L.L.D. : Dans quelle mesure ce plan est-il susceptible de contribuer à l’intensification des échanges économiques entre la France et la Croatie ?
D.L. : Notre plan d’investissement dans le secteur touristique nous ouvre de nouvelles perspectives de coopération économique. Nous avons déjà eu des contacts avec des entreprises françaises comme Bouygues-Construction dans ce cadre. Les opportunités devraient se révéler à mesure des appels d’offres qui vont être lancés pour le réaménagement de zones militaires situées dans des localités de prestige, comme c’est le cas d’un site près de Dubrovnik ou d’un autre à Brioni dans le nord du pays, ville connue pour abriter une résidence de l’ancien Président yougoslave Tito, ou encore à Pula. Avant d’assumer les fonctions de Ministre du Tourisme, j’ai été en charge de l’investissement en qualité d’assistant du Ministre croate de l’Économie. J’estime que la présence économique de la France en Croatie témoigne de la bonne place qu’occupent les entreprises françaises sur notre marché, même si dans le secteur touristique elle demeure encore modeste. À titre d’exemple, je citerais des groupes comme Lafarge dans l’industrie, Lactalis dans l’agro-alimentaire ou Bouygues-Construction qui est détenteur d’une concession en Istrie et qui figure au sein de la société concessionnaire de l’Aéroport international de Zagreb. J’ajouterais que nous entretenons sur les sujets économiques une collaboration étroite avec l’Ambassade de France en Croatie. Celle-ci est d’ailleurs vouée à s’intensifier notamment en vue de l’organisation du Festival Rendez-vous de la France en Croatie.
L.L.D. : En visite officielle à Paris en octobre 2014, vous avez présenté le projet « Croatie 365 ». Pouvez-vous nous en rappeler les principaux axes ? Comment comptez-vous promouvoir plus spécifiquement le tourisme d’affaires ?
D.L. : J’ai eu l’occasion de présenter à Paris, en septembre 2014, « Croatia 365 », le nouveau plan marketing stratégique que nous avons adopté peu auparavant. Il s’articule autour de trois points : – améliorer le rayonnement de la marque « Croatie », – lutter contre la saisonnalité, – augmenter les dépenses de consommation totales qui demeure notre objectif final, comme je l’ai déjà mentionné. Je souhaiterais mettre en exergue le deuxième point. Notre saisonnalité est, en effet, très concentrée dans le temps avec des pics d’activités très intenses. 64% des revenus totaux du tourisme sont générés en juillet. Avec les mois de juin et de septembre, on est très proche des 85% de l’activité totale réalisée au cours de l’année. Durant cette période, l’ensemble des entreprises deviennent alors très nerveuses, induisant un effet de hausse des prix. Dans ce contexte, nous cherchons à allonger notre saison touristique. Dans ce domaine, la Croatie ne présente pas d’atouts uniquement durant la saison estivale. Notre pays regorge d’attractions tout au long de l’année. De nombreuses villes sont actives en hiver comme Umag, Porec, Opatijia, Zadar, Dubrovnik ou encore Sibenik qui ont toutes deux été inscrites sur la Liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO. Plus largement, le plan « Croatie 365 » vise à promouvoir 7 produits en dehors de la plage et du soleil, que sont : la culture et le patrimoine, la gastronomie et le vin, le cyclisme, des « vacances actives », la santé, le nautisme et le commerce. Enfin, quelle que soit la saison, la nature offre en Croatie un attrait spécifique. Notre pays est composé d’environ 1 200 îles et îlots, dont 64 sont peuplés, parmi lesquels Korcula où est né Marco Polo au XIIIème siècle. Notre pays compte également cinq parcs nationaux, dont trois dans les îles et deux sur le continent mais ayant un accès direct à la côte.
L.L.D. : L’adhésion de la Croatie à l’Union européenne (UE) en 2013 a-t-elle, selon vous, favorisé l’attractivité de votre pays ?
D.L. : Bien sûr, parce que nos principaux marchés sont de vieux pays européens. La France s’est, par exemple, hissée presqu’immédiatement après notre adhésion, au 11ème rang des pays émetteurs de touristes vers la Croatie, juste avant la Bosnie-Herzégovine et la Russie, mais après le Royaume-Uni et la Hongrie. Notre entrée dans l’UE a également encouragé de nouveaux flux, en provenance notamment des pays scandinaves.
L.L.D. : Au-delà de l’Europe d’où sont originaires une large majorité de visiteurs étrangers dans votre pays, quels autres marchés envisagez-vous de cibler ?
D.L. : En dehors de l’Europe, nos marchés prioritaires sont les États-Unis, puis la Corée du Sud, le Japon et l’Australie et bien sûr la Chine, avec une attention plus marquée pour Hong Kong et Taïwan. |