Par M. Javier Solana, Haut Représentant de l’UE pour la PESC
Au cours des cinquante dernières années, l’UE a accompli un travail exceptionnel, propageant la paix, la prospérité et la démocratie sur l’ensemble de notre continent. Ce continent qui, pendant des décennies, a été divisé par des idéologies et ravagé par des conflits, est à présent uni, libre et en paix. Dans les années à venir, le principal défi consistera à étendre cette zone de paix, en œuvrant à la sécurité au-delà de nos frontières et en édifiant un ordre international qui repose sur des règles. Ce défi est immense, et il faudra déployer des efforts considérables pour qu’il devienne réalité. La France comme l’Espagne, qui sont des membres importants de l’UE, auront un rôle de premier plan à jouer dans la création d’une Europe qui dispose de suffisamment de capacités et de confiance en soi pour s’affirmer sur la scène mondiale.
Un travail considérable et de qualité est déjà en cours. De manière empirique, une politique étrangère européenne crédible, fondée sur une convergence d’intérêts, s’est fait jour. Que ce soit dans les Balkans, au Moyen-Orient, dans le Caucase du Sud ou ailleurs, que l’enjeu soit la non prolifération, le terro-risme international, les Etats en déliquescence ou le réchauffement de la planète, la conclusion est toujours la même : le message que nous émettons témoigne de notre unité, nous mettons nos ressources en commun et, par conséquent, nous jouons un rôle important dans la sécurité internationale.
Je me réjouis particulièrement des progrès remarquables que nous avons accomplis dans la politique européenne de sécurité et de défense (PESD). En raison de son caractère sensible, la politique de sécurité et de défense devrait constituer le dernier « bastion » dans la construction progressive de l’UE. Or, paradoxalement ces cinq dernières années, la PESD est probablement le domaine dans lequel l’UE a réalisé le plus d’avancées.
Le succès de la défense européenne est d’autant plus remarquable que l’Union a été créée en grande partie afin de supprimer la politique étrangère, au sens traditionnel du terme, entre les Etats participants et que sa culture organisationnelle était très orientée vers les procédures juridiques et les instruments économiques. Après avoir ajouté à cet acquis ce qui lui manquait, à savoir un ensemble de capacités civiles et militaires, des institutions et mécanismes de décision nouveaux, ainsi que l’expérience acquise lors d’exercices et de missions réalisés en commun, l’UE est à présent en mesure de jouer un rôle à la hauteur de ses responsabilités.
Pour l’UE, le volet « défense » a toujours fait partie intégrante d’une démarche générale consistant à faire face à l’insécurité et à gérer les crises. Cette orientation est conforme au nouvel environnement stratégique. À l’heure actuelle, les menaces les plus lourdes émanent souvent d’États fragiles ou en déliquescence et d’acteurs non gouvernementaux tels que des réseaux terroristes, la criminalité organisée ou des milices du type Janjawid. L’époque n’est plus aux lignes de front clairement tracées entre des armées qui se font face. Aujourd’hui, le danger est omniprésent, jusqu’au cœur même de nos villes. Il va de soi que nous vivons dans un monde où les possibilités de bénéficier d’une liberté et d’une prospérité plus grandes sont multiples. Mais ce monde est également celui de l’insécurité généralisée et des périls imprévisibles. Une chose est sûre : l’Europe sait qu’elle ne peut pas être un havre de paix et de tranquillité si elle est entourée par l’instabilité et l’extrémisme.
Pour faire face à cet environnement de sécurité en constante évolution, il a fallu un changement de paradigme. Diffuses et complexes, les nouvelles menaces résistent aux méthodes de travail classiques. Elles appellent des réponses rapides et multiformes. En principe, l’UE a tout le potentiel nécessaire : elle dispose d’un large éventail d’instruments, elle est consciente de la nécessité d’agir et capable d’inscrire son action dans la durée. Plus que les autres acteurs, l’UE est capable de jeter des ponts entre le monde des diplomates, celui des militaires et celui des spécialistes du développement. Mais nous devons mettre à profit nos capacités afin d’assurer la cohérence entre les différents domaines de notre action et dans le temps.
Dans les Balkans et ailleurs, nous avons appris qu’il n’y a pas d’enchaînement simple entre les opérations militaires et les missions civiles. La phase purement militaire de la gestion de crise n’est jamais aussi courte qu’on le pense ou qu’on l’espère. En outre, les efforts de stabilisation et de reconstruction ne sont jamais de nature aussi civile qu’on le souhaiterait. Dès lors, nous avons besoin, dès le premier jour, d’instruments civils et militaires.
L’un des éléments déterminants du succès de la PESD a été une vision stratégique commune. Mais heureusement, on n’en est pas resté là. Cette vision stratégique a également servi de base au déploiement de plusieurs missions de l’UE. Actuellement, celle-ci mène pas moins de sept opérations simultanées de nature militaire et civile, sur trois continents. Ces différentes missions montrent le large éventail de possibilités de l’UE. La mission de stabilisation de paix EUFOR en Bosnie-Herzégovine est la plus grande mission militaire jamais entamée par l’Union (avec 7 000 soldats sous le commandement de l’UE). Il faut également mentionner les missions civiles, dont la mission de police EUPOL à Kinshasa et la mission intégrée « État de droit », EUJUST LEX en Irak. Cette dernière mission, qui est la plus récente dans le cadre de la PESD, répond aux besoins urgents du système judiciaire, policier et pénitentiaire irakien en fournissant une formation à des fonctionnaires de haut niveau dans ces domaines. Toutes ces opérations sont la preuve éclatante de la valeur opérationnelle de la PESD. Il y en aura certainement d’autres à l’avenir.
Tandis qu’une politique étrangère européenne plus unie se dessine, nous pouvons et devons être encore plus efficaces. Il faut continuer de travailler pour fortifier le rôle de l’Europe sur la scène internationale. Il existe toujours autant de crises politiques et sécuritaires dans le monde et l’Europe doit être prête à prendre sa part de la responsabilité de la sécurité internationale et de la construction d’un monde meilleur. Il est clair qu’il en reste davantage encore à accomplir. |