Lundi 22 Avril 2019  
 

N°124 - Quatrième trimestre 2018

La lettre diplometque
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     Ukraine
 

Vers une montée en puissance du savoir-faire aérospatial de l’Ukraine

Entretien avec M. Yuri Alekseyev,
Président de l’Agence Spatiale d’Etat d’Ukraine (SSAU)

La Lettre Diplomatique : Monsieur le Président, l’Ukraine est entrée dans le cercle restreint des pays les plus performants dans le lancement de fusées. Vingt ans après la création de l’Agence spatiale nationale d’Ukraine en 1992, quelle est votre vision du développement du savoir-faire ukrainien dans ce domaine ?  

M. Yuri Alekseyev : Un grand nombre des exploits réalisés par l’Union soviétique dans le domaine spatial ont eu un lien direct avec l’Ukraine, son important potentiel scientifique et technologique et sa solide production industrielle. Nombre d’instituts de recherche, de bureaux d’études, d’entreprises industrielles d’Ukraine étaient impliqués dans de nombreuses victoires spatiales de l’Union soviétique, depuis le premier vol dans l’espace jusqu’au développement et au lancement du système spatial « Energiya-Buran ».
Ainsi, la création de l’Agence spatiale nationale d’Ukraine (portant le nom d’Agence spatiale d’Etat de l’Ukraine – SSAU – depuis 2011), le 29 février 1992, a été un événement assez logique. Ceci a permis à notre pays de commencer à forger sa propre politique publique en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique.
Actuellement, l’Agence gère plus de 30 entreprises industrielles, instituts de recherche et bureaux d’études se réclamant de diverses formes de propriété et employant près de 27 000 professionnels hautement qualifiés. Le Conseil des jeunes scientifiques et spécialistes travaille également avec succès dans ce domaine. Il existe une collaboration active avec des instituts de l’Académie nationale des sciences de l’Ukraine et des instituts d’enseignement supérieur, pour former des ingénieurs et le personnel scientifique aux questions relatives aux fusées et à l’espace.
Au cours des cinq dernières années, la capacité de production de l’industrie spatiale ukrainienne a augmenté à plusieurs reprises pour atteindre 3,5 milliards en 2011.
Pendant vingt ans, l’Agence spatiale d’Ukraine a enregistré un certain nombre de résultats stratégiques qui ont non seulement permis de maintenir sa production et les acquis de la recherche dans ce secteur, mais également de réaliser quelques succès dans le développement et la fabrication de véhicules lanceurs de pointe, de navettes spatiales, de moteurs, de systèmes de contrôle, de matériel radiocommandé, de télémétrie et d’autres composants du secteur des technologies de pointe.
A l’heure actuelle, l’Agence spatiale nationale d’Ukraine, en collaboration avec de grandes entreprises, met en place des projets stratégiquement importants : le développement du véhicule lanceur « Cyclone 4 » et la construction d’un complexe au sol au Brésil ; le développement de l’unité centrale du premier étage du lanceur américain Antarès ; le développement et la fabrication du moteur de l’étage supérieur du lanceur européen Vega (dont le premier lancement a été effectué le 13 février 2012) ; l’amélioration du système national de télédétection « Sich » qui englobe la formation d’une constellation de satellites et l’amélioration de l’infrastructure au sol ; le développement d’un système national de communication par satellite avec le satellite « Libyd » ; le système de coordonnées de l’Ukraine, basé sur l’utilisation de systèmes globaux de navigation GPS, Glonass et Galilée, etc.
L’Ukraine est par ailleurs membre d’un certain nombre d’organisations internationales prestigieuses : « Intersputnik », CEOS (Comité mondial d’observation de la Terre par satellite) et COSPAR (Comité pour la recherche spatiale). Depuis 1992, notre pays est égalementt membre du Comité des Nations unies pour l’utilisation pacifique de l’espace extra-atmosphérique et, depuis 1998, du Régime de contrôle de la technologie des missiles.
J’ajouterais que l’accomplissement le plus important et le plus significatif réside dans le fait que l’Ukraine a été capable de maîtriser le cycle de vie complet de la fusée spatiale au niveau national – depuis le développement et la production jusqu’à la maintenance et la distribution d’informations traitées. Cet acquis a permis à l’Ukraine d’être reconnue en tant que puissance spatiale sur l’échiquier international.

L.L.D. : Fruit d’une coopération initiée avec le Brésil en 1999, la mise en service de l’Alcantara Cyclone Space prévue en 2013 devrait marquer une nouvelle étape pour l’industrie aérospatiale ukrainienne. Comment définiriez-vous les enjeux de la création de cette plateforme qui sera chargée de la commercialisation du nouveau lanceur ukrainien Cylclone IV ? Quelles retombées attendez-vous de ce projet en terme d’investissement et d’innovation ?

Y.A. : En se fondant sur une évaluation réaliste des capacités du marché intérieur des services de l’espace, l’Agence spatiale d’Ukraine a commencé à travailler activement sur le marché international dès ses toutes premières années de fonctionnement. L’étape la plus importante pour assurer une position indépendante de l’Ukraine dans le secteur aérospatial international a été le lancement de la construction au Brésil du complexe au sol pour le lanceur ukrainien « Cyclone -4 », au Centre spatial d’Alcantara.
L’objectif est de fournir des services de lancement pour la mise en orbite de satellites destinés aux programmes spatiaux nationaux de l’Ukraine et du Brésil, ainsi que ceux d’autres clients, sur une base commerciale. Sa mise en service améliorera également l’image internationale de notre pays en tant que partenaire fiable, et renforcera son rôle sur l’échiquier international en tant que puissance spatiale capable de proposer des services pour le lancement de navettes.
Le projet est mis en œuvre depuis le 21 octobre 2003, conformément à l’accord de coopération à long terme conclu entre l’Ukraine et le Brésil pour l’utilisation du véhicule lanceur « Cyclone-4 » au Centre spatial d’Alcantara. Pour ce qui est du partage des tâches, nous fournissons le développement du complexe terrestre  « Cyclone-4 » du véhicule spatial, le véhicule lanceur et la préparation de la base de fabrication pour sa production. De son côté, notre partenaire est chargé de la construction de l’infrastructure commune au sol, au Centre spatial d’Alcantara (centre de contrôle de mission, port maritime, alimentation électrique, approvisionnement en eau, etc.).
Ce système de véhicule spatial s’appuie sur des solutions de technologie fondamentale utilisées pour ses prédécesseurs – le très fiable véhicule lanceur à deux étages « Cyclone-2 » et le lanceur « Cyclone-3 » à trois étages. Cependant, le « Cyclone-4 » comporte de nombreuses innovations technologiques sur le plan de sa construction. Au niveau du troisième étage, les éléments permettant un approvisionnement amélioré en carburant ont permis de développer un système de contrôle de précision. Le nouveau système de carburant offre ainsi une plus grande sécurité et une meilleure protection de l’environnement. Le nouveau carénage bénéficie aussi d’une conception améliorée avec plus d’espace et des conditions d’utilisation plus confortables permettant de placer les charges utiles en dessous. Les paramètres de puissance du véhicule lanceur ont considérablement augmenté, le rendant plus puissant et attrayant pour les éventuels clients.
Une co-entreprise « Alcantara Cyclone Espace » a vu le jour en septembre 2007, et la construction à grande échelle a démarré au Brésil en septembre 2010. La partie ukrainienne assure le développement du véhicule lanceur et les unités du complexe au sol. En tout, ce sont 78 entreprises et organisations ukrainiennes qui sont impliquées dans la mise en œuvre du projet, créant ainsi plus de 10 000 emplois. Le premier lancement du nouveau « Cyclone-4 » est prévu pour fin 2013.
Le succès d’un tel projet à l’échelle internationale dépend non seulement des paramètres du complexe, mais également de sa gestion efficace, notamment du travail axé en permanence sur les clients potentiels des services de lancement. C’est pourquoi l’Agence spatiale d’Ukraine a mis en œuvre des procédures de suivi du projet dès les premières étapes, et d’établissement de contacts avec les clients de services spatiaux. Comme vous le savez, la concurrence est grande sur le marché international des services spatiaux. C’est pourquoi, nous devons travailler avec ardeur avec nos partenaires brésiliens pour assurer la rentabilité de l’opération « Cyclone-4 ».

L.L.D. : Dans le cadre d’une initiative européenne, l’Agence nationale spatiale ukrainienne et le CNES ont mis en place en 2008 un jumelage de coopération. Comment celui-ci a-t-il évolué ? Quelles autres initiatives souhaiteriez-vous voir se développer entre les deux pays ?

Y.A. : Nous avons établi des relations fructueuses et de longue date avec des entreprises et institutions spatiales en France. Je voudrais vous rappeler que le premier projet franco-soviétique « Arcade-3 » a démarré en 1981, englobant le développement de la navette scientifique « Oreol-3 » à Dnipropetrovsk. De plus, le lancement et le contrôle de ce satellite avaient été confiés à des spécialistes ukrainiens.
En 1994, nous avons organisé avec nos collègues français un des premiers ateliers conjoints sur les questions de télédétection. En 1994-1995, les employés de l’Agence spatiale d’Ukraine se sont rendus à Toulouse pour se familiariser avec le travail et l’expérience des experts français en matière « d’Images Spot », avec la navette « Spot », et les méthodes sophistiquées de traitement des informations reçues par satellite.
En 2000 s’est tenue la Conférence conjointe « XXIème siècle – regard vers l’avenir », organisée en coopération avec le CNES à Paris. Nos experts ont alors participé à des formations dans les instituts du CNES.
En 2008, nous avons en effet conclu un accord-cadre de coopération avec le CNES. Et en 2010, le véhicule lanceur ukrainien « Dnipro » a mis en orbite le satellite français « Picard ». Pendant de nombreuses années, l’Agence spatiale d’Ukraine a exposé au Salon de l’aéronautique du Bourget, tout en maintenant un dialogue constant avec ses collègues français.
Au cours de la période 2008-2010, l’Agence spatiale d’Ukraine, ainsi que le CNES et le DLR (Centre aérospatial allemand) ont mis en place un projet de jumelage spatial pour accroître la coopération entre l’Ukraine et l’Union européenne dans le secteur spatial, améliorer le cadre juridique et permettre le développement de capacités scientifiques, technologiques et industrielles. Ce projet était le premier de l’histoire du programme de jumelage européen dans ce secteur. Son financement a été pris en charge par la Commission européenne.
Je souhaiterais en outre souligner qu’une équipe hautement professionnelle de 42 experts des agences spatiales française et allemande a maintenu un dialogue constant avec des spécialistes ukrainiens pendant une période de deux ans. Plus de 60 événements se sont tenus en Ukraine, en France et en Allemagne, auxquels ont participé plus de 1 600 personnes pour se familiariser avec l’industrie spatiale ukrainienne et européenne.

L.L.D. : L’Ukraine envisage le lancement d’un satellite vers la Lune à l’horizon 2017. A l’image de ce programme, quelles orientations avez-vous fixées en vue d’élargir les travaux de l’Agence spatiale ukrainienne ?

Y.A. : Récemment, le gouvernement ukrainien a approuvé le concept d’activités spatiales en Ukraine pour une période allant jusqu’en 2032, ainsi qu’un plan d’action élaboré à cette fin et le concept d’un programme spatial scientifique et technologique ciblé pour la période 2013-2017.
Le concept englobe les domaines suivants : le développement de la technologie spatiale et son intégration dans le secteur réel de l’économie nationale, de la sécurité nationale et de la défense ; la mise en place d’une politique industrielle efficace et la modernisation du système de production ; la commercialisation des activités spatiales ; le renforcement de la coopération internationale dans le domaine des activités spatiales.
Nous pensons qu’au cours de cette période, l’intérêt se portera sur des projets d’exploration lunaire, d’observation du climat dans l’espace (Projet « Ionosat »), l’extension de la constellation des satellites de classe Sich, la mise en service d’un système national de satellites de communication avec la navette « Lybid » et l’exploitation du complexe du véhicule spatial « Cyclone-4 » au Centre spatial d’Alcantara.
Tout ceci confirme l’importance de la science et de la technologie spatiale pour l’Ukraine du XXIème, un siècle qui se caractérise d’ores et déjà comme celui des technologies de pointe et des grands projets internationaux.
Je conclurai par souligner que figurer parmi les pays les plus avancés de notre civilisation représente un grand honneur et une grande responsabilité. Alors qu’elle entre dans sa troisième décennie d’existence, l’Agence spatiale nationale d’Ukraine continuera à assumer cette grande mission.   

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