Lundi 22 Avril 2019  
 

N°124 - Quatrième trimestre 2018

La lettre diplometque
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     Ukraine
 

« Notre objectif est de faire de la France notre premier partenaire commercial »

Entretien avec M. Vladyslav Kaskiv,
Président de l’Agence d’Etat pour les Investissements et les Projets nationaux de l’Ukraine

La Lettre Diplomatique : Monsieur le Président, vous avez rencontré ce mercredi 26 septembre 2012 des entrepreneurs français s’intéressant au marché ukrainien. Pourriez-vous nous décrire les motivations de votre visite en France ? Comment décririez-vous le potentiel de développement des liens économiques entre l’Ukraine et la France ?

M. Vladyslav Kaskiv : La France représente un marché important pour l’Ukraine, en particulier  au regard de ses capacités d’investissement. Nous estimons que nous disposons aujourd’hui de beaucoup plus d’arguments que par le passé pour attirer les investisseurs étrangers. Or, si nos atouts ne se concrétisent pas avec les investisseurs français, c’est parce qu’ils ne disposent pas d’assez d’informations et qu’il existe encore peu de structures à même de les leur transmettre.
Néanmoins, la dynamique de coopération instaurée avec la France s’est nettement consolidée sur le plan des investissements. Pour être plus concret, celle-ci s’est hissée en 2012 au 5ème rang des investisseurs étrangers, dépassant la Grande-Bretagne. Dans le même temps, les échanges commerciaux ne cessent de croître. Pour autant, notre plus grand voisin et partenaire stratégique, la Pologne, enregistre des performances de partenariat avec la France bien plus élevées. Comme c’est le cas sur le marché polonais, notre objectif est de faire de la France notre premier partenaire commercial.
Nous sommes conscients du potentiel de croissance des échanges entre nos deux pays. Nous avons saisi l’occasion de cette réunion avec les représentants d’une trentaine d’entreprises françaises pour évoquer les différents programmes d’investissement que nous avons mis en place. Ces derniers mois, nous avons signé toute une série de documents avec certaines d’entre elles qui sont d’ores et déjà en train de développer des projets visant à implanter leurs sites de production dans notre pays. Dans le secteur financier, le groupe bancaire Lazard s’est en outre engagé en Ukraine. Nous espérons désormais susciter l’intérêt des entreprises plus particulièrement dans le domaine des projets de construction en concession.
J’ajouterai que les entreprises françaises doivent être informées de tous les avantages préférentiels que nous avons mis en place au cours de ces deux dernières années. Ces efforts ont permis l’abaissement significatif du niveau d’imposition et l’adoption d’une série de lois visant à stimuler l’installation en territoire ukrainien de capacités de production. Il s’agit d’un changement sans précédent qui s’ajoute aux atouts traditionnels de l’Ukraine sur le plan des infrastructures logistiques, de sa position géo-économique, de sa main d’œuvre à bas coût, très qualifiée et efficace, de ses ressources naturelles et de son accès à la mer.
Il faut également bien comprendre les perspectives que nous ouvre l’accord de libre-échange paraphé avec l’Union européenne en mars 2012, qui fera tomber, dans un avenir proche, toutes les entraves douanières.
Enfin, nous avons substantiellement amélioré notre concertation avec les investisseurs. Je peux d’autant plus témoigner de cet effort que j’ai l’honneur de présider l’Agence pour les investissements et les projets nationaux, créée sur l’initiative du Président de la République ukrainien. Celle-ci a été dotée de pouvoirs spéciaux afin d’assurer l’accompagnement personnel des entrepreneurs sur le marché et la coordination de leur dialogue avec les différents structures et organismes du pays à l’échelon régional et national. Notre objectif est ainsi de leur apporter tout le confort possible dans leurs démarches, notamment vis-à-vis de l’administration, et dans la recherche de partenaires ukrainiens. Nous sommes en outre chargés de préparer les projets publics de manière à ce qu’ils soient ensuite proposés aux investisseurs privés dans les meilleures conditions.

L.L.D. : Le concept de « projets nationaux » a été créé pour orienter l’investissement dans les secteurs stratégiques comme l’énergie. Quels en sont les principes ? Quels autres secteurs sont-ils concernés ?

V.K. : Les projets nationaux sont des projets d’envergure stratégique, soit parce qu’ils répondent à des enjeux spécifiques pour l’économie ukrainienne, soit parce qu’ils visent à créer de nouvelles filières industrielles dans notre pays. A l’heure actuelle, nous avons défini 17 projets nationaux. Parmi les plus importants, j’attire votre attention sur le projet de construction d’un terminal de gaz liquéfié sur les rives de la Mer noire. Son objectif est on ne peut plus stratégique, puisqu’il consiste à mettre fin au monopole de la source d’approvisionnement en gaz du marché ukrainien.
Il ouvrira de nouvelles perspectives d’investissement, compte tenu du rôle clé que joue déjà notre pays sur le marché énergétique international. En dehors de notre potentiel d’extraction de gaz et de pétrole sur la Mer noire, nous sommes également dotés de ressources en gaz de schiste.
Jusqu’en 2011, l’Ukraine était le premier client du groupe russe Gazprom, non seulement pour le transit de l’énergie, mais aussi en tant que client. Désormais, nous sommes appelés à exporter notre pétrole vers l’Europe. Nous étudions les possibilités de coopération avec la Turquie. Dans le trois prochaines années, ce vaste projet, évalué à un milliard de dollars, devrait donc complètement transformer la carte énergétique de l’Ukraine.   

L.L.D. : Quels sont les autres secteurs concernés par les grands projets nationaux ?

V.K. : Un autre projet national vise à créer une infrastructure de traitement des déchets ménagers solides. Vous devez savoir que 4% du territoire ukrainien est couvert par de tels déchets. Ce projet va donc littéralement créer une nouvelle industrie dans le pays, avec la mise en place de dix projets pilotes concrets à l’aménagement du cadre législatif desquels nous travaillons.
Je citerai également la candidature de l’Ukraine à l’organisation des Jeux Olympiques d’hiver de 2022. Notre idée n’est pas seulement d’organiser une compétition sportive à succès, mais aussi de faire émerger un secteur du tourisme d’hiver dans la région des Carpates, en Ukraine occidentale. Notre pays dispose à cet égard d’un immense potentiel pour garantir le retour sur investissement, en raison de la taille de son marché (46 millions d’habitants), et de la proximité de grands marchés comme ceux de la Russie ou des pays de l’Europe de l’Est.
En dehors des trois projets que j’ai déjà mentionnés, nous avons également présenté aux entreprises françaises, lors de notre rencontre au MEDEF, le projet « Air express » de lignes ferroviaires à grande vitesse et celui d’« Open World », dont l’objectif est de développer un réseau de technologies de l’information et de la communication de 4ème génération.
D’une manière générale, les projets nationaux couvrent donc des secteurs différents, mais le principe reste toujours le même : l’Etat lance la stratégie de développement, finance l’élaboration du projet, adopte la législation et le cadre réglementaire nécessaires, et lorsque tout est prêt, il est transféré à des entreprise privées par le biais d’un appel d’offres. Il faut bien comprendre que notre rôle n’est pas de gérer ces projets, mais de mettre en place toutes les conditions de leur attractivité.

L.L.D. : Vous avez récemment déclaré que la mise en place de parcs industriels pourrait attirer près de 8 milliards de dollars d’investissements en Ukraine. En quoi consiste ce dispositif ? Quels secteurs d’activité sont concernés par ce dispositif ?

V.K. : Les parcs industriels entrent dans le cadre des projets nationaux. Sous l’impulsion du Président ukrainien, la loi sur les parcs industriels est entrée en vigueur le 4 septembre 2012. Elle met en place des préférences spéciales pour leur développement. A ce jour, dix projets pilotes ont été définis. Notre intérêt est d’attirer les entreprises étrangères pour qu’elles implantent leur appareil de production en Ukraine. Nous avons d’ores et déjà suscité l’intérêt de sociétés asiatiques, russes et, bien entendu, européennes.
Parmi les secteurs prioritaires que cherchent à développer les parcs industriels, les technologies de l’information occupent une place particulière. Ce secteur de l’économie ukrainienne est, en effet, déjà performant mais il demeure peu connu. Nombre d’entreprises ukrainiennes travaillent comme sous-traitants pour de grandes multinationales. Notre idée est d’attirer ces multinationales pour qu’elles produisent directement dans notre pays, au sein de parcs industriels comprenant, au-delà des infrastructures logistiques, des universités techniques et des centres de formation. Un projet très concret, représentant un investissement de 65 milliards d’euros, baptisé Bionic Hill, a par exemple été lancé récemment près de Kyiv, conjointement avec des entreprises privées.
Les parcs industriels se mettent en place aussi dans les secteurs de l’ingénierie ou de la transformation agricole. Ce dernier est représentatif de notre potentiel, le secteur agricole ukrainien ayant la dynamique de croissance la plus forte au monde. La construction automobile, y compris de machines agricoles, représente d’ailleurs un autre secteur prometteur de notre économie.

L.L.D. : Considérant les efforts déployés par le gouvernement ukrainien et l’Agence que vous présidez pour améliorer l’environnement des affaires, comment appréhendez-vous les problèmes liés à la lutte contre la corruption ou aux pesanteurs administratives ?

V.K. : Nous ne fermons pas les yeux face à ces défis et le fait que nous en parlions ouvertement est probablement le signe d’un changement d’attitude des pouvoirs publics en Ukraine et d’une réelle volonté de résoudre ces problèmes. Nous avons d’ailleurs déjà enregistré des succès dans ces domaines. La création de l’Agence que je dirige s’inscrit dans le cadre de ces avancées, puisque nous avons pour mission d’assurer l’accompagnement personnel de l’investisseur, de le protéger et de le guider pour qu’il ne subisse pas certaines contraintes bureaucratiques, les imperfections de la législation, la corruption… Mais il faut bien garder à l’esprit que notre pays a engagé une transformation systémique et sans précédent de sa législation. De plus, nos indicateurs macro-économiques indiquent que nous œuvrons dans le bon sens : la croissance de notre PIB est, par exemple, bien supérieure à la moyenne européenne, tandis que notre déficit budgétaire lui est bien inférieur. Nous traversons cependant une phase de réforme cruciale qui requiert la plus grande responsabilité. L’Ukraine a un proverbe : « la nuit n’est jamais aussi noire que juste avant l’aube. » C’est justement le moment que nous connaissons aujourd’hui.

L.L.D. : Dans la perspective de la ratification de l’accord d’association et de stabilisation paraphé le 30 mars 2012, une zone de libre-échange devrait voir le jour à terme entre l’Ukraine et l’UE. Comment définiriez-vous les atouts, mais aussi les contraintes que suppose cette nouvelle étape de l’ouverture commerciale de votre pays ?

V.K. : Cet accord de libre-échange sera porteur d’avantages mutuels, tant pour l’UE que pour l’Ukraine. Techniquement, sur le plan juridique, nous sommes prêts à prendre ces décisions dès aujourd’hui. Nous sommes même déjà trop mûrs. Il ne reste que les problèmes politiques qui ne font pas partie de mes compétences. Je me permettrais toutefois d’exprimer une idée générale puisque j’étais encore membre du Parlement il y a quelques temps. Si nous parvenons à comprendre ensemble nos problèmes respectifs, nous avancerons vers la création d’une famille européenne commune. Il n’existe que deux approches pour les régler : l’une consiste à feindre de les ignorer et l’autre, à coopérer. Je suis un partisan convaincu de l’intégration européenne. La meilleure voie pour moi est donc de travailler ensemble. A mon sens, plus active et ouverte sera l’Europe, et la France en particulier, dans ce processus de rapprochement avec l’Ukraine, plus elle apportera de force à ces milieux ukrainiens qui promeuvent notre coopération et notre volonté de surmonter nos divergences. Le scénario de l’isolement risque, au contraire, de nous affaiblir. Aussi, je veux saisir  cette occasion pour vous appeler à œuvrer ensemble. Je suis persuadé de notre réussite. Je pense d’ailleurs que notre processus de rapprochement sera beaucoup plus rapide que ne le pensent bon nombre de sceptiques.   

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