Lundi 22 Avril 2019  
 

N°124 - Quatrième trimestre 2018

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     Japon
 

Les défis de la politique de défense du Japon

Par Mme Guibourg Delamotte,
Maître de conférences en science politique à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO)*

Le Japon dispose d’une armée puissante et faible tout à la fois : puissante par la qualité de l’armement dont elle dispose ; faible par l’usage qu’elle peut en faire et par l’absence de pratique qu’elle a des conflits.
Cette armée qui tait son nom, les Forces d’autodéfense (FAD), doit faire face à des défis dont font état chaque année les livres blancs de la défense (le dernier est paru en août 2012), et face auxquels un texte programmateur adopté en décembre 2010 (les « grandes lignes de défense ») retient une nouvelle approche.
En premier lieu, la stabilité régionale est, selon Tokyo, menacée par deux sources d’incertitude : la Corée du Nord et Taiwan. Les moments de transitions – dynastique dans la première après le décès de Kim Jong-il et l’accession au pouvoir de Kim Jong-un ; démocratique dans la seconde, avec les élections dont le président sortant, Ma Ying-jeou, est sorti victorieux – y ont été suivies avec attention.
En second lieu, les différends territoriaux qui opposent le Japon à ses voisins suscitent des tensions récurrentes. Le Japon espère récupérer quatre îles que l’URSS a envahies à la fin de la  Seconde Guerre mondiale ; le Premier Ministre russe Dmitry Medvedev s’est rendu sur la plus grande d’entre elles en juillet 2012, alors qu’aucun dirigeant russe ne l’avait fait jusque là. En août, Lee Myung-bak, le Président sud-coréen, s’est pour sa part rendu sur un des îlots de l’archipel des Takeshima, rattaché par le Japon au département de Shimane, sur lequel la Corée s’estime souveraine. Les présidents sud-coréens eux-aussi s’en étaient abstenus jusqu’alors. Enfin, de violentes manifestations ont éclaté en Chine, en septembre 2012, après la décision du gouvernement japonais de racheter les Senkaku (département d’Okinawa) sur lesquelles la Chine (ainsi que Taiwan)  conteste la souveraineté japonaise. Par cette décision, qui se voulait conciliante à l’endroit de la Chine, le gouvernement Noda espérait éviter une escalade nationaliste : il y est parvenu au Japon, mais sa décision a produit l’effet inverse de celui escompté en Chine. La proximité de ces trois événements, pourtant sans lien entre eux, n’a pas manqué de troubler au Japon.
En troisième lieu, les États-Unis connaissent un déclin relatif face à des puissances comme l’Inde, la Chine ou la Russie. Ces trois puissances investissent en effet massivement dans leurs appareils militaires : ainsi l’Inde vient-elle d’acheter 126 avions Rafale à Dassault et la Chine, de mettre en service son premier porte-avions (le Liaoning). Quant à la Russie, son budget militaire, qui a augmenté de 9,3% en 2011 (selon le SIPRI), se monte désormais à 72 milliards de dollars (près de 4% de son PIB), et dépasse nettement celui du Japon, de 61 milliards (environ 1% du PIB). Les États-Unis demeurent loin en tête de ces dépenses, mais leur budget militaire n’en a pas moins été l’objet d’âpres négociations au Congrès au début de l’année 2012. Les États-Unis attendent donc plus que par le passé de leurs alliés, au premier rang desquels le Japon aime à se placer.
Face à ces défis, le Japon reste contraint par l’article 9 de sa Constitution qui pose l’autodéfense pour limite à sa politique dans ce domaine. Certes, l’article a fait l’objet d’une savante interprétation, mais il n’en subsiste pas moins.
Dans ce contexte, et compte tenu de ces contraintes, le Japon a renoncé à la fin de l’année 2010 à une approche dite « basique » (kibanteki) de sa défense, par laquelle il s’était donné les moyens de mener une guerre classique d’intensité moyenne sur son territoire, pour retenir une approche « dynamique » (dôteki) de son outil militaire, mettant l’accent sur la réactivité (sokuôsei), la mobilité (kidôsei), la flexibilité (jûnansei), l’endurance (jizokusei), l’adaptabilité (tamokutekisei) de ses forces, et sur la qualité de leurs technologies. La zone qui retient son intérêt n’est plus le Nord du Japon comme durant la Guerre froide, mais ses îles du Sud, où la Marine ou des embarcations de pêche chinoises font des incursions fréquentes.
Par ce renouvellement de sa doctrine d’emploi, il espère renforcer l’alliance nippo-américaine : en vertu du traité de sécurité nippo-américain (1960), les États-Unis pourraient en effet être amenés à intervenir au Japon en cas d’agression de son territoire, ou dans l’hypothèse d’une crise régionale. Cette nouvelle doctrine, en réduisant la dépendance japonaise, fait aussi du Japon un allié plus utile.
Le Japon opte ensuite pour la constitution d’un réseau de partenaires, en construction depuis la deuxième moitié des années 2000. Il se rapproche en effet de l’Australie, qui est désormais une « quasi-alliée » ; de la Corée du Sud, avec qui le dialogue est soutenu mais souvent indirect (par le biais des États-Unis) et sensible au climat politique ; de l’Inde, avec qui s’établissent progressivement des échanges militaires. Il envisage depuis peu d’autoriser le co-développement, avec des pays amis, d’armes et de systèmes d’armement. Il resserre ses liens dans le domaine de la sécurité avec les pays d’Asie du Sud-Est (Indonésie, Philippines, Vietnam et Malaisie) qui partagent son inquiétude à l’égard de la montée en puissance chinoise : impliqué dans la lutte contre la piraterie dans le détroit de Malacca depuis les années 1990, il fournit depuis peu d’anciens bâtiments des garde-côtes aux marines de ces pays, au titre de son aide publique au développement, afin de les aider dans leurs activités de maintien de l’ordre.   

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