Premier marché du monde avec 286 millions d’habitants et un revenu par habitant de 36 000 dollars, les Etats-Unis continuent de faire rêver les entreprises françaises par les débouchés immenses qu’ils offrent et l’extraordinaire réactivité de leur économie. Durant ces dix dernières années, la croissance du PIB réel américain, de l’ordre de 4% par an, a été l’une des plus fortes des pays du G7 et surpasse largement la moyenne de la zone de l’OCDE. Marqués par l’éclatement de la bulle Internet en 2000, les attentats du 11 septembre et les scandales financiers, les Etats-Unis ont fini par renouer avec la croissance en 2003. Dopée par des baisses successives d’impôts et des taux d’intérêts au plus bas depuis les années 70, l’activité économique est repartie à un rythme d’environ 5%, stimulée par la consommation des ménages et du secteur public, ainsi que par l’investissement des entreprises. Signes d’un dynamisme retrouvé, celui-ci semble se poursuivre en 2005 en dépit de la fin des mesures fiscales incitatives, tandis que la hausse des gains de productivité a continué à s’accélérer. Si l’économie américaine a enregistré un sensible ralentissement fin 2004, la reprise de l’emploi, confirmée avec 2,4 millions d’emplois créés de mi-2003 à mi-2004, devrait assurer le maintien d’une croissance soutenue à l’horizon des deux prochaines années.
Grandes et petites, les entreprises de l’Hexagone font du marché américain leur deuxième priorité à l’export hors Union européenne. Mais avec une part de marché de 2,2%, d’importants efforts restent à accomplir pour affirmer le « made in France ». D’importantes marges de progression pour les entreprises françaises existent dans les secteurs de l’agroalimentaire, des produits pharmaceutiques, de la chimie, du matériel électrique, des cosmétiques ou encore de l’habitat et de la décoration. C’est sur ce constat d’ailleurs que le Ministre délégué au Commerce extérieur François Loos a lancé le 27 mai 2003 un « plan d’action Etats-Unis 2003-2005 » devant le Conseil de l’exportation, exposant un certain nombre de mesures pour renforcer la présence française, et plus particulièrement des PME, outre-atlantique, où la France souffre d’un réel déficit d’image. Pour Jean-Paul Peretz, qui a fondé en 2001 la société Arceau spécialisée dans l’aide aux PME de la décoration pour s’implanter aux Etats-Unis, « les entreprises françaises sont victimes de leur image. Les produits, leur inventivité, leurs qualités sont appréciés par les professionnels américains. Mais la plupart jugent les sociétés françaises trop peu fiables. Pour eux les Français sont des personnes qui ne restent pas. » Pour lui, cette image ne constitue toutefois pas un réel handicap, à condition de ne pas percevoir les Etats-Unis comme un marché global1. Au paradis du business capitaliste et de l’entreprenariat, les difficultés pour s’imposer et résister à une concurrence acharnée sont à la mesure des opportunités qu’offre le marché américain ou plutôt les marchés américains. Grand comme 17 fois la France, les Etats-Unis comptent 175 millions de consommateurs, appartenant à différentes catégories sociales, culturelles ou ethniques. Chaque Etat peut même être considéré comme une nation à part entière. A titre d’exemple, la Californie, puissance exportatrice agricole, berceau de la nouvelle économie avec le corridor de la Silicone Valley, a généré un PIB de 1 390 milliards de dollars en 2003, qui la placerait au 6ème rang des économies les plus puissantes du monde. Etat le plus peuplé du pays (35 millions d’habitants), c’est aussi celui qui compte la plus importante communauté française, forte de 70 000 personnes environ2. Les Etats-Unis sont également le pays des pôles d’excellence comme le Michigan, centre mondial de l’automobile, qui cherche aujourd’hui à se reconvertir dans les hautes technologies et à concurrencer la Silicone Valley, ou encore l’Etat de Washington, un des pôles mondiaux de l’industrie aéronautique qui s’est développé autour du constructeur Boeing et où le secteur des biotechnologies commence à jouer un rôle majeur.
A l’instar de la conférence France Tech 2005 organisée fin mai à Redwood City par les Conseillers du Commerce extérieur de Californie, les Français cherchent également à faire connaître leur savoir-faire technologique, encore trop méconnu des Américains. Interrogé par le Miami Herald, François Loos qui assistait à Miami, en janvier dernier, à la réunion de l’ensemble des Conseillers du Commerce extérieur français des Amériques et au French Wine Road Show, a souligné au passage : « Je préférerais que vos lecteurs n’associent pas seulement la France au vin. Je préférerais qu’il l’associe à Airbus. Nous avons de nombreuses entreprises technologiques, pharmaceutiques. Nous devons avoir une image moderne. »3 La France et les Etats-Unis ont d’ailleurs développé d’importants partenariats industriels et technologiques dont l’illustration la plus significative est l’alliance nouée en matière aéronautique entre General Electric et Snecma à travers la société CFM, dont les moteurs d’avion CFM-56 sont les plus vendus dans le monde. Dans le secteur spatial, Boeing a récemment confié à Alcatel Space une étude sur le système de navigation par satellite GPS 3, dont l’objectif est, selon le constructeur européen, d’« établir une coopération pour un système global de navigation par satellite ». Dans le secteur automobile, l’américain Ford et le français PSA Peugeot Citroën ont développé depuis 1998 une forte coopération pour la conception et la production de moteurs diesel. Après avoir lancé un nouveau moteur V6 en 2003, représentant un investissement conjoint de 350 millions d’euros, les deux partenaires ont récemment annoncé l’augmentation de leur capacité de production et la présentation de nouvelles familles de moteurs diesel au cours de l’année 2005.
Les entrepreneurs français ont pu tester la réactivité d’une société où le consommateur est roi, mais aussi le rôle majeur du lobbying dans les affaires, lorsque les tensions diplomatiques franco-américaines ont assombri les relations commerciales entre les deux pays avec la multiplication des campagnes de « French-bashing ». Intenses au cours du premier semestre 2003, elles ont commencé à s’estomper après un été pour le moins chaud, avant de laisser la place à une nouvelle vague de « French-greeting ». Les menaces de boycott sur les produits français n’ont eu toutefois que de faibles incidences sur les ventes ou les investissements français à un moment où la conjoncture était déjà défavorable.4
Les divergences entre les deux pays sur l’affaire irakienne n’ont pas non plus eu de véritable impact sur les décisions d’investissement américaines en France.
« Business is business » diraient les hommes d’affaires américains, plus sensibles à l’augmentation des charges sociales ou à l’impact des 35 heures sur l’image de la France.
A l’inverse, les nouvelles réglementations adoptées aux Etats-Unis après les attentats du 11 septembre 2001, comme le Bioterrorism Act, ont pu être ressenti par certains entrepreneurs étrangers, comme autant de nouvelles barrières protectionnistes. Soumises aux aléas de la politique internationale, les re-lations économiques entre la France et les Etats-Unis sont toutefois trop développées et trop imbriquées dans le vaste courant d’échanges transatlantiques, pour qu’elles puissent en souffrir profondément.
Ce contexte délicat n’a d’ailleurs pas empêché les grands groupes de l’hexagone de réaliser d’importantes opérations, à l’instar de Sodexho qui, grâce à ses réseaux, a sauvé le plus important contrat de son histoire, décroché début 2001 et portant sur 800 millions d’euros pour l’approvisionnement de 55 bases de marines.5 Après avoir fait son entrée aux Etats-Unis en acquérant Canderra Inc. en 2001, puis Duke Engineering & Services en 2002, Areva a remporté un contrat d’ingénierie pour le projet Yucca Mountain destiné au stockage des déchets nucléaires américains dans le désert du Nevada. D’un montant relativement modeste de 29,7 millions d’euros, il n’en est pas moins déterminant pour le développement d’Areva sur le premier marché nucléaire mondial, avec 104 centrales en activité.
Si les investissements de l’hexagone ont fortement décru en 2003 à 6,3 milliards d’euros (contre 17,7 milliards en 2002), la France continue de figurer parmi les premiers investisseurs étrangers aux Etats-Unis. Cette tendance s’inscrit d’ailleurs dans le contexte de chute des flux d’investissements étrangers (-53%) aux Etats-Unis à 30 milliards de dollars en 2003, selon le BEA, en raison des désinvestissements dans les équipements électriques, le commerce de gros et les machineries. 2004, comme 2003, n’a certes pas vu intervenir d’importantes opérations de fusion-acquisition, mais les groupes français ont poursuivi leur développement aux Etats-Unis. Le groupe européen d’aéronautique et de défense comptant une importante participation française, EADS a fait son entrée sur le marché américain en octobre 2004, en acquérant la société californienne d’électronique militaire, Racal Instruments. D’autres fleurons de l’industrie française ont poursuivi leur développement à l’image d’Alstom qui s’est vu confié par Duke Power, en consortium avec la société Stone & Webster un contrat de 280 millions de dollars pour la modernisation de la première des quatre centrales concernées par un accord de coopération conclu en février 2004. Dans le domaine des transports, Alstom, qui a connu une période faste en 2002 sur le marché américain, a également remporté en octobre 2004, une commande de 120 voitures pour le métro de Washington, dont l’assemblage est réalisé dans les ateliers de l’usine Alstom d’Hornell, dans l’Etat de New York. Pour sa part, le cimentier Lafarge compte bien profiter de la forte croissance du secteur de la construction que connaissent actuellement les Etats-Unis. Le groupe français a d’ailleurs poursuivi son expansion dans le Sud-Est du pays en acquérant, fin 2004, les actifs dédiés aux activités ciment et béton de la société The Concrete Company basée en Georgie.
D’importants désinvestissements français ont également été engagés durant cette période comme la cession par le groupe Suez de sa filiale Ondeo-Nalco et le recentrage des activités dans le domaine de l’eau de Veolia Environnement. Avec cette nouvelle stratégie, la division Eau de Veolia Environement, Veolia Water, privilégie désormais les contrats à long terme auprès des municipalités américaines, plus rémunérateurs, avec pour objectif une croissance de 15% par an sur 5 ans aux Etats-Unis. Au cours de l’année 2004, Veolia Water a déjà enchaîné deux contrats majeurs, le premier d’une durée de 20 ans, pour un chiffre d’affaires cumulés de 110 millions d’euros attribué par le gouvernement des Iles Vierges américaines pour l’assainissement des îles Saint-Thomas et Sainte-Croix. Plus récemment, en décembre 2004, Veolia Water a obtenu de la municipalité de Richmond, en Californie, une extension de son contrat initial d’une durée de 18 ans. Les succès de Veolia Environnement aux Etats-Unis ne s’arrêtent pas là puisque sa branche transport, Connex a remporté les contrats d’exploitation d’un réseau de bus de la région de Denver, complété en mars 2005 par un second réseau de bus du réseau ferroviaire de la banlieue de Los Angeles lui ouvrant les portes du marché ferroviaire californien.
Le dynamisme des relations économiques franco-américaines peut-être évalué plus concrètement à la lumière de l’importance croissante des investissements croisés. Plus de 2 300 filiales françaises contribuent directement à la croissance économique américaine. En 2003, elles généraient, en effet, un chiffre d’affaires de 163 millions de dollars et étaient à l’origine de la création de 515 000 emplois, selon le BEA. De leur côté, les quelque 1 200 entreprises américaines implantées en France emploient plus de 500 000 personnes. « Voilà bien les deux piliers de l’amitié franco-américaine au-delà de nos valeurs partagées » déclarait M. Jean-David Levitte, Ambas-sadeur de France aux Etats-Unis, à l’occasion de la réception de la Fête nationale du 14 juillet 2003. C.H.
1 – Univers Magazine, Laurent Degeorges, automne 2002.
2 – Source Dree
3 – Miami Herald, 24/01/05.
4 – Compte-rendu de la visite aux Etats-Unis d’une délégation du groupe interparlementaire d’amitié France-Etats-Unis, « Renouer le dialogue »,
septembre 2003.
5 – L’Expansion, 01/06/04. |