Lundi 22 Avril 2019  
 

N°124 - Quatrième trimestre 2018

La lettre diplometque
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     Emirats arabes unis
 

Une coopération à repenser

Entretien* avec M. Daniel Goulet, Sénateur de l’Orne, Président du Groupe sénatorial France-Pays du Golfe, Membre de la Commission des Affaires étrangères

 

* Entretien réalisé avec la coopération de Nathalie Milsztein, Sénateur suppléant

 

L.L.D. : Monsieur le Sénateur, vous êtes parmi les parlementaires qui connaissez le mieux les pays arabes et les pays du Golfe. Vous animez avec une passion jamais démentie depuis de nombreuses années, le groupe d’amitié sénatorial France-Emirats arabes unis. Pouvez-vous nous parler de votre actualité ?

 

Daniel Goulet : L’actualité de mes activités en rapport avec les Emirats arabes unis, concerne tout d’abord la rencontre avec le Ministre de la Justice S.E. Al Daheri. J’ai reçu avec les membres de notre groupe au Sénat, le 15 décembre 2004, la visite du Ministre de la Justice et des Affaires islamiques Mohammed Bin Nekhira Al Daheri, accompagné d’une importante délégation. Le Ministre Al Daheri souhaitait rencontrer depuis longtemps son homologue français. Il s’est notamment rendu à l’Ecole de la Magistrature, à la Cour de Paris où il a été reçu par le Bâtonnier de l’Ordre des avocats et à l’Institut médico-légal, visite pour laquelle il a montré beaucoup d’intérêt. Il semble en effet que le système français soit un modèle dans le domaine de la médecine légale. Dans la mesure où le programme ne comportait pas de rencontre avec les autorités religieuses et alors que le Ministre est également en charge des questions islamiques et accompagné du Vice-Ministre chargé des Mosquées et de celui en charge des Affaires des Fatwas, j’ai pensé qu’il serait intéressant de compléter ces entretiens. C’est ainsi que le Recteur Boubaker s’est joint à notre réunion, dont on peut même dire qu’il l’a coprésidé.

 

L.L.D. : Quels ont été les thèmes abordés lors de cette réunion ?

 

D.G. : Tout d’abord le Recteur Boubaker a exposé brièvement l’organisation de l’Islam de France. Comme vous le savez, cette organisation est récente et nos correspondants étrangers sont encore peu informés sur cette structure. C’est la raison pour laquelle il m’est apparu opportun d’aborder ce thème. Le Ministre a ensuite été interrogé sur la formation des imams dans son pays. Il est certain que les Emirats représentent un modèle dans ce domaine, dont nous pourrions nous inspirer, puisque cette question est d’actualité en France. Les imams salariés du ministère suivent une formation initiale commune avec les magistrats et n’obtiennent l’autorisation de prêche qu’après un contrôle de leurs connaissances. Ils doivent avoir une parfaite connaissance de la langue et leur prêche hebdomadaire du vendredi, élaborée par une commission de 12 sages, est identique dans toutes les mosquées du pays. Récemment réformée, cette organisation a pour objectif de promouvoir un islam modéré, servi par des officiants ayant reçu un bon niveau de formation. Le Ministre Mohammed Bin Nekhira Al Daheri a aussi précisé qu’il existait un contrôle aléatoire de la tenue des offices de façon à éviter que les prêches ne s’écartent du texte préparé.

 

L.L.D. : Existe-t-il des imams étrangers ?

 

D.G. : Ils sont soumis aux mêmes règles et en outre à l’obtention d’un visa qui peut leur être retiré en cas de violation de leurs obligations.

 

L.L.D. : D’autres thèmes ont-il été abordés ?

 

D.G. : Bien entendu. Après avoir félicité le gouvernement émirien pour la récente nomination de la première femme ministre, S.E. Cheikha Lubna al Qasimi au poste de Ministre de l’Economie et de la Planification, mesdames les Sénateurs Bazira Khiari et Christianne Kammermann ont interrogé le Ministre sur la situation des femmes aux Emirats. Le Ministre Al Daheri a indiqué que leur statut était parmi les plus avancés des pays de la région et a notamment cité le modèle éducatif en exemple comme attestant de la volonté de promouvoir la place des femmes dans la vie émirienne.

Ceci me permet de faire la transition avec le deuxième sujet que nous avons évoqué, le modèle éducatif émirien. Les Emirats sont le pays de tous les superlatifs, mais en ce qui concerne les moyens mis à la disposition des jeunes filles et garçons pour assurer leur éducation, je crois que ce pays a atteint un sommet ! Je me rends aux Emirats au moins trois fois par an et, à chacun de mes séjours , je prends le temps de faire un « circuit », toujours le même d’ailleurs, celui du Higher Colleges of Technology (HTC), dirigé par le docteur Kamali, l’Université Zayed des jeunes filles, et de l’Institut de diplomatie du docteur Hassan. Je suis à chaque fois impressionné par le niveau des élèves.

 

L.L.D. : Quelle est la place de la France dans ce système éducatif ?

 

D.G. : Vous touchez ici au point sensible. Hélas le français est peu présent dans ces écoles bien qu’il soit souhaité. Certes le HCT du docteur Kamali entretient des relations avec de grands industriels français et l’Université de Tours qui accueille des étudiants émiriens, mais M. Kamali souhaite faire encore plus. Quant à l’Université Zayed et les autres universités et collèges, il faut savoir que l’ensemble des rouages administratifs des cursus scolaires est occupé par des Anglo-Saxons, Anglais, Ecossais, Canadiens, Américains… Comment voulez-vous dans ces conditions qu’une place soit faite à un cursus français. Au mois d’octobre 2004, l’Université des Femmes célébrait l’inauguration d’un nouveau diplôme de Sciences sociales et nutrition. Le projet initié par des Anglo-saxons a été confié à des experts américains qui occupent désormais les chaires créées. Les universités françaises n’ont jamais été consultées ni mises en concurrence.

 

L.L.D. : Pensez-vous que la France pourrait être plus présente ?

 

D.G. : Ne vous méprenez pas sur ma position. Notre Ambassadeur et ses services font un travail remarquable et jamais je ne proférerais la moindre remarque sur leur action passionnée et compétente. Je veux souligner que la langue française n’est pas une marchandise comme les autres et que nous ne devons pas la considérer comme un produit. Je m’explique : je crois qu’il faudrait repenser les rôles de certains acteurs comme les Alliances françaises qui devraient être en mesure d’offrir, à très bas prix, des cours de français, sans penser à un critère de rentabilité qui n’a aucun sens lorsque l’on parle de culture. Les Japonais offrent des cours. Je ne vois pas pourquoi, pour un certain temps, nous ne les imiterions pas.

 

L.L.D. : Avez-vous pris des initiatives dans ce domaine et pouvez-vous nous en parler ?

 

D.G. : En coopération avec le chef du service culturel de l’Ambassade de France, M. Chaffort, nous avons envisagé une expérience qui devrait donner de bons résultats, mais pardonnez-moi, je ne vous en parlerai que lorsqu’elle sera menée à bien.

 

L.L.D. : Avez-vous d’autres projets ?

 

D.G. : Je serai aux Emirats dans quelques jours pour assister à une remarquable conférence d’étudiants du monde entier, invités à échanger leur expérience en matière de haute technologie. Organisée par le docteur Kamali, cette conférence s’appelle « Education without borders » – Education sans frontière… Tout un symbole ! En mars prochain j’inaugurerai un salon du tourisme à Abu Dhabi, salon où ma région, la Normandie, sera d’ailleurs bien représentée. Avant l’été, je vais avoir le plaisir de recevoir au Sénat le lauréat d’un concours des étudiants de multimédia, Saleh Al Marzaouqi, étudiant au HCT.

 

L.L.D. : En conclusion, monsieur le Sénateur, comment percevez-vous la coopération entre la France et les Emirats arabes unis ?

 

D.G. : Impossible de vous répondre en un mot, mais je crois que nous devons être attentifs et innovants. Nous devons aussi faire des efforts en direction de nos amis émiriens, et notamment envers les jeunes, et ouvrir de façon plus volontaire nos portes aux étudiants étrangers en leur donnant des moyens et l’accueil qu’il se doit. Nous ne pourrons jamais rivaliser avec la puissance financière des universités américaines, c’est un fait, mais j’ai bien envie de réunir les hauts responsables qui se partagent ce secteur, de mettre sous une même bannière leurs services écartelés et d’élaborer un vrai plan d’action en direction des étudiants et étudiantes émiriens. Nous pourrons à l’avenir poursuivre cet entretien car dans tous ces domaines, il nous faut montrer notre détermination.           

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