Entretien avec M. Arnaud Breuillac, Directeur Moyen-Orient – Exploration & Production du groupe Total
La Lettre Diplomatique : Monsieur le Directeur, soixante-dix ans après sa première implantation aux Émirats Arabes Unis, le groupe Total a signé en 2009 des accords pour le renouvellement pour 20 ans de sa participation au sein de GASCO, filiale de la compagnie nationale émirienne ADNOC. Comment décririez-vous le rôle et la place de Total dans l’industrie pétrolière émirienne ?
M. Arnaud Breuillac : La place de Total est importante car nous sommes présents dans un très grand nombre de sociétés pétrolières et gazières d’Abou Dhabi aux côtés de l’ADNOC ou de Mubadala depuis leur création (GASCO, ADCO, ADMA, ADGAS, Fertil, Dolphin…). De ce fait, nous avons été amenés à jouer un rôle essentiel, en offrant dès le début le meilleur de notre savoir, de nos compétences et de nos personnels et en accompagnant le développement de ces sociétés et de leurs ressources humaines. Pour certaines d’entre elles, nous parlons de plusieurs générations de Français et d’Abou-Dhabiens puisqu’ADCO a été créée en 1978. J’ajouterai qu’au-delà de ces sociétés auxquelles nous participons activement et qui font de nous la compagnie pétrolière internationale ayant la plus grande diversité de participations à Abu Dhabi, nous sommes aussi opérateurs du champ offshore d’Abu Al Bukhoosh, mais aussi, actionnaires auprès d’ADWEA de la centrale électrique et de désalinisation de Taweelah. Nous terminons également en ce moment la construction, aux côtés de Masdar, de la plus grande centrale électrique solaire à concentration jamais réalisée dans le monde. Comme vous le voyez, nous sommes non seulement très présents aux côtés d’Abou Dhabi dans les domaines traditionnels du pétrole et du gaz, mais nous l’accompagnons aussi dans des projets d’avenir qui répondent à ses propres besoins nationaux.
L.L.D. : Les Émirats Arabes Unis prévoient d’investir 60 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années en vue d’accroître leurs capacités de production pétrolière de 2,7 millions de barils à 3,5 millions par jour. Quelles sont les attentes du groupe Total à l’égard de la prochaine extension de concessions ? Dans ce contexte, comment percevez-vous la montée en puissance des compagnies pétrolières asiatiques ?
A.B. : Nous abordons cette phase de discussion sur le renouvellement des concessions d’ADCO avec confiance dans la mesure où nous pensons qu’ADNOC va chercher des partenaires capables de les aider à relever les nombreux défis qui se présentent pour les prochaines décades. Notre volonté de partager toutes nos capacités techniques, combinée à notre connaissance historique des champs d’ADCO renforcée par l’expérience d’une collaboration fructueuse et stable avec ADNOC au travers d’une longue période ayant connu de nombreux changements d’environnement, nous donnent un avantage essentiel dans cette compétition. Cette renégociation devrait aussi permettre de revoir un certain nombre de paramètres qui, de l’avis de tous, ne sont plus adaptés dans un monde où le prix du baril a dépassé les 100 dollars, et où les coûts des développements pétroliers et gaziers ont considérablement augmenté. Enfin, l’arrivée de compagnies asiatiques à Abou Dhabi ne fait que traduire l’importance de plus en plus grande de l’Extrême-Orient pour les pays du Moyen-Orient qui y exportent désormais une grande partie de leur production.
L.L.D. : Avec sa participation au projet Shams du groupe émirien Masdar, Total a diversifié ses activités aux Émirats Arabes Unis dans les énergies renouvelables. Quels ont été les facteurs déterminants de ce partenariat ? Quelle expertise le groupe Total apporte-t-il plus précisément dans ce projet ?
A.B. : Dans le domaine du solaire, Total a fait le choix d’être parmi les leaders mondiaux et il nous a paru tout naturel, compte tenu de notre position historique à Abou Dhabi, des besoins en électricité et de l’ensoleillement de ce pays, de participer à ce projet emblématique et d’y apporter notre savoir-faire dans le domaine du solaire, de la thermodynamique (l’électricité est produite par turbines) ainsi que notre maîtrise des grands projets industriels.
L.L.D. : Fort de votre expérience en Abou Dhabi où vous avez été en poste, quel regard portez-vous sur l’évolution de l’économie des Émirats Arabes Unis et des relations franco-émiriennes dans le domaine économique, mais aussi culturel et universitaire ?
A.B. : Je constate que l’économie s’est énormément développée depuis les années (lointaines désormais) où j’ai travaillé à Abou Dhabi, et ce qui est le plus frappant, c’est de voir que ce développement s’est réalisé dans de nombreux domaines, sans remettre en cause l’harmonie qui prévaut en Abou Dhabi. Cela constitue un succès qui peut sembler naturel, mais qui était loin d’être évident. Je salue donc la vision et la sagesse des dirigeants de l’Émirat qui ont accompagné cette formidable évolution. Dans ce contexte, les relations franco-émiriennes se sont considérablement renforcées et on peut noter que si celles-ci restent ancrées tout naturellement dans les sujets pétroliers et gaziers qui sont à la base de la richesse de l’émirat, elles ont su se développer dans de nombreux autres domaines : – militaire d’une part avec le partenariat d’assistance militaire signé en 2009 entre les deux pays et l’installation d’une base navale qui témoigne de la confiance mutuelle entre les deux États ; – culturel et universitaire, avec la construction du Louvre, et l’arrivée à Abou Dhabi de la Sorbonne ou de l’Insead. Tout ceci montre la profondeur, l’excellence et la diversité des relations franco-émiriennes et je suis certain qu’elles sauront se développer encore à l’avenir dans l’intérêt bien compris des deux pays. |