Entretien avec Mme Claudine Ledoux, Député des Ardennes, Maire de Charleville-Mézières, membre du Groupe d’amitié France-Ethiopie à l’Assemblée nationale
La Lettre Diplomatique : Madame la Députée, dans quelles conditions une relation de coopération décentralisée a-t-elle été mise en place entre la ville éthiopienne d’Harar et Charleville-Mézières ?
Claudine Ledoux : C’est tout simple, comme vous le savez, Arthur Rimbaud est un enfant de Charleville-Mézières, mais il a aussi vécu une dizaine d'années à Harar où il se livrait à des activités de négoce.
Outre le souvenir de ce trait d’union prestigieux, les valeurs d’altérité (« Ici est Ailleurs » écrivait le poète) sont résolument modernes tant pour le « vivre ensemble » dans nos villes que pour la qualité des relations nord-sud.
Mes prédécesseurs avaient initié ce rapprochement mais sans passer aux réalisations concrètes.
En 2004, à l’occasion du 150ème anniversaire d’Arthur Rimbaud, j’ai perçu que c’était une opportunité à ne pas manquer et j'ai invité une délégation harari à Charleville-Mézières.
Ensemble, nous avons souhaité aller plus loin et nous avons conclu un protocole d’accord. Celui-ci a abouti en
2006 à la signature d’une convention de coopération décentralisée basée sur l’échange et la réciprocité, avec l’objectif d’une gestion autonome de leurs projets par les Harari.
L.L.D. : En quoi consiste cette coopération ?
C.L. : Plusieurs pistes d’actions nous ont apparu comme essentielles en fonction des valeurs évoquées ci-dessus, en privilégiant :
– Les jeunes, tout d’abord, ce qui nous semble une priorité absolue. A cette fin, l’éducation au développement et les échanges de jeunes au travers d’une thématique « Avoir 17 ans à Harar et à Charleville» est une véritable réussite (voir encadré ci-dessous).
– Les femmes harari en se concentrant sur trois aspects :
– un appui au développement économique, car les femmes gagnent en indépendance par la maîtrise d’activités génératrices de revenus. De plus, dans le cadre de ces groupes, elles connaissent une vie sociale active. Nous avons ainsi facilité l’acquisition de matériel divers comme une presse à huile ou l’équipement d’un atelier pour le travail du cuir.
– la formation civique des femmes afin qu’elles exercent pleinement leurs droits au respect, à l’autonomie et à la protection de leur intégrité physique et morale, qui leur ont été conférés par la législation éthiopienne. Nous contribuons au programme « Women's development inititatives project » par l’apport de matériel pédagogique.
– l'amélioration des conditions d’accueil des femmes hospitalisées : les femmes victimes de mutilations sexuelles sont souvent rejetées de leur famille et de leur groupe social. L’hôpital doit alors leur apporter, outre les soins, un réconfort matériel et psychologique. Dans cet esprit, nous améliorons les conditions d’accueil et nous envisageons de nous impliquer au niveau d’une politique de santé publique.
– La culture, au travers des « Maisons Rimbaud » de Charleville-Mézières et Harar qui deviennent un véritable trait d’union physique. Nous contribuons à établir une documentation, des animations et expositions communes dans les deux villes. Ainsi notre conservateur a réalisé une exposition du photographe Thierry Chantegret, composée de 20 clichés pris à Harar et de 20 clichés de Charleville-Mézières pour une présentation dans les Maisons Rimbaud, lors du millénium d’Harar, en juillet 2007. Des résidences d’artistes ont lieu dans les deux villes. A noter aussi le projet des plaques interactives du parcours Rimbaud qui nous rapprochera encore (voir encadré page de droite).
– L’eau, qui constitue un problème, est cruciale. D’abord au niveau de l’approvisionnement car les sources actuelles tarissent. Un programme financé par la Banque mondiale est en cours de réalisation pour approvisionner la ville. Il va de soi que ce programme n’est pas à la portée de notre effort de coopération. Nous nous concentrerons sur le réseau urbain. Il est en effet dommageable que le peu d’eau disponible se perde dans le sol par une méconnaissance des fuites. A cette fin, un travail d’ingénierie se met en place et nous sommes en contact avec l’Agence de l’Eau pour étoffer cette action (dans le cadre de la Loi Oudin). Une aide à la gouvernance municipale sur ce dossier nous semble particulièrement nécessaire.
L.L.D. : Comment avez-vous élaboré ce programme de coopération ?
C.L. : Je tiens à souligner tout d’abord le rôle facilitateur et déterminant des ambassades dans l’élaboration et le suivi du dialogue avec les autorités harari.
En effet, les services de l’Ambassade de France, par leur fine connaissance des problématiques locales, leur capacité d’interface et aussi leur présence sur place, sont particulièrement précieux.
Je voudrais à cette occasion rendre hommage à S.E.M. Stéphane Gompertz, Ambassadeur de France en Ethiopie, pour son implication personnelle dans notre dossier et sa présence à Charleville ou Harar pour tous les temps forts institutionnels.
Il en est de même pour les deux ambassadeurs successifs d’Ethiopie en France, Mme Sahle Work Zewde et Mme Tadeleck Haile Mikael à qui j’exprime aussi tous mes remerciements et mon amitié.
Nous avons aussi bénéficié de l’expérience de la Ville de Blanc Mesnil datant de plus de dix ans avec la Ville de Debré Berhan. Enfin, il faut noter la mobilisation de la diaspora éthiopienne en France et tout particulièrement celle de M. Kifflé Sélassié.
L.L.D. : Quels sont vos projets en ce début de nouveau millénaire ?
C.L. : Notre coopération est rythmée par les rencontres avec les autorités harari et c’était à mon tour de me rendre en Ethiopie. J’ai effectué ce déplacement à la fin juin avec un triple objectif : bien évidemment renforcer nos liens d’amitié, apprécier sur le terrain les résultats obtenus et la façon de les améliorer et bien sûr travailler avec nos homologues sur les thèmes à venir.
Dans cet esprit, j’étais accompagnée par une équipe de médecins de l'hôpital de Charleville-Mézières pour apprécier les besoins en matériel, en formation ou en organisation.
Un ingénieur dans le domaine de l’eau participait également à cette visite. De plus, une journaliste nous a également accompagné afin de contribuer à une information la plus large et la plus vivante des carolomacériens pour que vraiment « ailleurs soit ici ».
De plus, outre les jeunes lycéens, je souhaite que les actions pour la jeunesse concernent aussi des jeunes en insertion et je nouerai à cette fin les contacts nécessaires.
L’école d’Harar
En octobre 2006, 10 élèves et 4 accompagnateurs du lycée Bazin de Charleville-Mézières ont été accueillis à Harar. Ils ont ainsi pu découvrir la ville, nouer des liens avec les élèves du Magahagnalem Vocational and Technical School. Ils ont réalisé des centaines de clichés photographiques pour mettre en place une exposition, et des heures de prises de vue afin de produire deux documentaires. Leurs homologues ont ensuite été accueillis à Charleville-Mézières en mai 2007. Ils se sont ainsi familiarisés avec le mode de vie français (accueil en famille), ils ont découvert les divers enseignements et appréhendé la nature ardennaise (tourisme équitable). Ils ont assisté également à l'avant-première du documentaire réalisé par leurs correspondants carolomacériens : un moment émouvant et riche en symboles. Ce film a d’ailleurs été présenté au Centre Pompidou, à Paris. « C'est un travail remarquable qui mériterait d’être diffusé le plus largement possible dans des salles de cinéma et même à la télévision » notait « L’Union-l’Ardennais » du 1er février 2008 ». Les liens entre les deux établissements scolaires s’'inscrivent dans la durée et la pérennité, entérinées le 22 janvier 2007, par l'homologation officielle de leur appariement.
La Maison Rimbaud à Harar
La Maison Rimbaud sise à Harar se dote progressivement en fonds documentaires sur Rimbaud, Charleville-Mézières, et l'histoire de Harar. Elle offre tant aux visiteurs qu'aux universitaires, chercheurs et érudits, une documentation écrite, sur support multimédia et par liaison Internet, la possibilité d'interroger l'Histoire et de se projeter dans l'avenir. Le musée Rimbaud de Charleville-Mézières qui possède 300 clichés originaux anciens montrant l'Abyssinie du poète procède à une « restitution documentaire » vers l'Ethiopie de ces clichés et, dans un premier temps, des 30 clichés qui concernent plus particulièrement l'Ethiopie et Harar.
De plus, la Maison Rimbaud reçoit des expositions d'artistes français et éthiopiens et propose à la vente des articles de l'artisanat d'art éthiopien. Enfin, le « Parcours Rimbaud » assurera une liaison dynamique Internet entre Charleville-Mézières et Harar. Union des nouvelles technologies et de la poésie, ce parcours met en relation les lieux marqués par la présence du poète grâce à des plaques interactives. Complémentaire de la Maison Rimbaud, le parcours Rimbaud sera dès lors parachevé : fabrication et livraison des plaques, ingénierie technologique, juridique et culturelle aboutissant à l'ouverture de la liaison permanente entre les deux villes avec une webcam.
|