Lundi 22 Avril 2019  
 

N°124 - Quatrième trimestre 2018

La lettre diplometque
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     Ethiopie
 

Du café au pétrole : l’Ethiopie accélère son développement économique

Bâtie à 2 500 mètres d’altitude, Addis Abeba est située au cœur d’immenses hauts plateaux couvrant près des deux tiers du pays et abritant les terres les plus fertiles qui donnent à l’Ethiopie son principal atout économique.

Un potentiel agricole de premier plan
Ses ressources agricoles lui apportent en effet près de 50% de son PIB, générant les deux tiers de ses exportations et 85% des emplois. A la faveur de plusieurs saisons successives de pluies généreuses, la croissance économique s’est vue propulsée à une moyenne de 10% par an depuis la dernière sécheresse en 2003. Fer de lance de ses ventes à l’étranger, le café, l’une des boissons les plus bues au monde, devrait fournir des recettes de plus de 425 millions de dollars pour l’année 2006-2007, selon les estimations du ministère du commerce. Soit près d’un tiers des recettes de ses échanges extérieurs. La terre de Kaffa, région située au sud-ouest d’Addis-Abeba, en serait d’ailleurs le berceau d’origine et lui aurait donné son nom. L’envolée des prix (+16% en janvier) est une aubaine pour les quelques 15 millions de fermiers éthiopiens qui dépendent de cette culture. Elle est stimulée tant par la hausse de la demande internationale que par la recherche de produits de haute qualité dans les pays développés. En 2007, la France a importé 21,5 millions d’euros de café d’Ethiopie, où les récoltes ont dépassé les 300 000 tonnes de grains, la plaçant au premier rang des producteurs africains et au quatrième rang mondial. Un gros tiers de cette production concerne trois variétés considérées parmi les plus fines du monde (Harar, Yegarcheffe et Sidamo). L’Ethiopie a déjà accordé des licences pour leur commercialisation à 70 distributeurs, dont le plus important Starbucks qui a finalement reconnu en 2007 son droit de propriété sur les trois marques.
Au-delà du café, l’Ethiopie possède une agriculture très diversifiée, avec plus de 140 sortes de récoltes, dont les principales sont le teff (26%) céréale dépourvue de gluten utilisée pour la confection d’une galette éthiopienne, le maïs (16%), l’orge, le sorgho et le blé (près de 12% chacune). Elle compte également sur des cultures non moins importantes sur le plan commercial, d’oléagineux (tournesol, colza…) et de légumineuses (petits pois…).  De plus, avec quelque 90 millions de tête de bétail, le cheptel éthiopien est classé, en volume, au premier rang d’Afrique et au 9ème rang mondial.
La diversification et la commercialisation d’autres produits d’exportation est l’une des clés de l’avenir de l’économie éthiopienne comme l’illustre le boom de l’horticulture. A la faveur de dispositions d’incitation à l’investissement s’articulant autour d’exemptions fiscales, d’attribution de terrains à bas prix et de prêts à faibles taux, la floriculture est ainsi devenue en peu de temps une filière prometteuse. Les conditions exceptionnelles favorables à la culture de fleurs dont la rose coupée, en particulier, ont attiré plus d’une centaine d’entreprises étrangères dont la société française Meilland qui s’est associé en 2007 à la ferme Oda Flower. Elle dispose désormais d’une surface en production de 7 hectares, régie par un bail de 60 ans renouvelables, à 12 km du village de Sebata dans la province de Shoa au centre du pays, où Meilland fait tester ses variétés de roses. Meilland s’est implanté en Ethiopie en apportant 30% de l’investissement, le reste du projet ayant été financé par la Banque de développement éthiopienne. « Pour notre part, souligne Jean Dyens, Directeur technique et commercial de Meilland international, nous n’avons rencontré aucune difficulté particulière lors de la création de ce projet. Nous avons reçu un bon accueil des autorités éthiopiennes. » Il souligne également que les infrastructures pour le transport des roses coupées jusqu’à l’aéroport sont tout à fait convenables. En revanche, la société française est confrontée à la contre-façon de certains de ses produits. Un problème face auquel le gouvernement n’est pas resté insensible, cherchant à mettre en place un cadre juridique et légal pour faire respecter les droits de propriété intellectuelle. De plus, souligne Jean Dyens, lui-même devenu associé, au sein d’un ferme éthiopienne « nous contribuons à sédentariser en milieu rural une population essentiellement féminine qui sinon aurait immigré dans les grandes villes ».  D’ailleurs, pour lui « ce secteur possède un potentiel de développement important, compte tenu de la forte demande européenne de produits de qualité et en particulier de la demande en Russie ». Car l’essentiel des importations de roses sur ces marchés provient actuellement de l’Equateur et de la Colombie. A conditions de production similaires, l’atout de l’Ethiopie réside dans la proximité de ces marchés. L’objectif du gouvernement est de faire passer en trois ans la surface de serres consacrée à cette culture de 850 hectares actuellement à 3 000 hectares. Cette filière pourrait devenir le premier poste d’exportation du pays d’ici cinq ans selon le ministre du Commerce Girma Birru, s’il on en juge les recettes d’exportations qu’elle a permis de dégager, soit plus de 125 millions de dollars en 2007.

Vers l’autosuffisance alimentaire
En dépit de ces richesses, l’agriculture éthiopienne demeure vulnérable. Une saison de sécheresse est souvent synonyme de menaces de famine dans les régions les plus dépourvues et peut faire plonger le PIB du pays. Même dans des régions comme le Sud, parmi les plus productives, des poches de malnutrition et des « famines vertes » peuvent éclore. Au spectre d’une mauvaise récolte s’ajoute la pression générée par la hausse des cours mondiaux des produits alimentaires qui a propulsé en 2008 l’inflation générale en Ethiopie à près de 30% en glissement annuel.
Ces fragilités persistent en dépit des progrès accomplis en matière de lutte contre la pauvreté. En visite à  Addis-Abeba en mars 2007, le directeur adjoint du FMI, M. Takatoshi Kato, pouvait en effet souligner les progrès de l’économie éthiopienne dont « la forte croissance s’est traduite par une hausse annuelle du revenu réel par habitant de 7% au cours des trois dernières années la plus forte de l’histoire du pays ». Les efforts du gouvernement pour réduire la pauvreté sont désormais concentrés sur le « plan pour le développement accéléré et durable pour en finir avec la pauvreté » (PASDEP). Avec l’aide des bailleurs de fonds, un programme national de sécurité alimentaire a été mis en place pour aider cinq millions de personnes en proie à une insécurité alimentaire chronique. La Banque mondiale finance un « filet de sécurité pour un niveau de production minimal » (PSNP) destiné à 10 millions d’Ethiopiens, fournissant une aide alimentaire et financière en les associant à la construction d’infrastructures (175 millions de dollars). La seconde phase de ce programme, dont le cofinancement a été élargi à d’autres acteurs bilatéraux et multilatéraux, porte sur une enveloppe de 985 millions de dollars.
La sécurité alimentaire et, plus largement, le défi du développement économique de l’Ethiopie est indissociable d’une extension du tissu de liaisons routières à travers le pays. Beaucoup de villages restent trop isolés des grands axes de communication et donc difficiles d’accès pour un approvisionnement d’urgence en cas de disette. Le secteur agricole éthiopien est encore insuffisamment adapté aux conditions climatiques et à la pression démographique (2,7% par an). Les faibles rendements, le morcellement des exploitations ou encore la faible production de semences figurent ainsi parmi les causes du déficit céréalier qui atteint en moyenne 600 000 tonnes par an. L’Ethiopie doit également développer ses moyens de production et de fourniture d’engrais, dont elle importe la totalité de ses besoins soit près de 400 000 millions de tonnes par an. La région d’Oromia, par exemple, faisait récemment l’objet d’une pénurie d’engrais et de pesticides qui a gravement affecté les activités agricoles. Le chemin de l’autosuffisance passe en outre par l’introduction et la diffusion de nouvelles techniques de gestion des ressources en eau, pour permettre notamment de poursuivre les cultures durant les période de sécheresse.

Le Nil bleu : source de toutes les espérances de développement
Chaque année, la saison des pluies engendre une crue miraculeuse du Nil qui abreuve toutes les régions riveraines du fleuve sacré. Pourtant ce potentiel drainé en Ethiopie par son affluent, le Nil Bleu, demeure largement inexploité. La capacité hydroélectrique installée du pays lui permet d’alimenter son secteur manufacturier. Mais elle ne représente à peine que 1 000 mégawatts (MW), alors qu’elle pourrait atteindre 40 000 MW, plaçant ainsi virtuellement l’Ethiopie au second rang sur le continent africain, derrière la République démocratique du Congo. Sa production hydroélectrique est pourtant appelée à croître fortement avec l’achèvement de nombreux projets dans les prochains mois et années. En 2009, vont ainsi entrer en service les barrages de Tekeze (300 MW), de Anabeles (460 MW) et de Gigel Gibe II (420 MW), qui permettront de doubler ses capacités de production. La mise en route du barrage de Halale Werabesa (367 MW) est quant à elle prévue pour 2011. Le plus vaste projet de la région, la centrale Gilge Gibe III (1870 MW) dont le coût est estimé à 1,8 milliard de dollars, compte sur la participation de la Banque européenne d’investissement. C’est une firme italienne Salini Costruttori qui a remporté le contrat d’ingénierie auprès de l’Ethiopian Electric Power Company. Ces projets n’ont pas seulement pour objet de satisfaire la demande intérieure et ainsi de réduire la facture pétrolière, mais aussi d’exporter l’électricité dans la région (Djibouti, Kenya, Soudan et Yémen).
Parallèlement, l’Ethiopie a d’ailleurs intensifié la mise en valeur de ses ressources énergétiques. Avec l’exploitation des champs pétroliers dans le Sud Soudan et la hausse des prix des hydrocarbures, les multinationales étrangères s’intéressent de plus en plus au sous-sol éthiopien. En janvier dernier, la compagnie pétrolière britannique White Nile Limited a signé un accord d’exploration et de partage de production avec le ministère des Mines et de l’Energie pour prospecter et exploiter les ressources pétrolières dans l’Omo Valley, au sud-ouest du pays. Au total, cinq compagnies étrangères mènent aujourd’hui des activités d’exploration, principalement dans cinq bassins sédimentaires. La percée la plus prometteuse a pour l’instant été réalisée par le groupe pétrolier malaisien Petronas qui a conclu un accord de partage de production à l’été 2007 pour le développement du gisement gazier de Caleb (région de l’Ogaden) où il envisage d’investir jusqu’à 1,9 milliard de dollars, notamment dans la perspective de construire une raffinerie. Les réserves de ce gisement sont estimées à 113 milliards de m3. Dans ce secteur en plein développement, le groupe français Total, présent en Ethiopie depuis 40 ans, a choisi de renforcer sa position dans la distribution de produits pétroliers. En acquérant en 2005 le réseau de Exxon/Mobil et avec la vente par Shell des stations du groupe kenyan Kobil en 2007, le groupe Total s’est posé en leader sur ce secteur avec 40% de part de marché.

Un pays en chantier
Dans un pays où le secteur industriel ne représente encore que 12% du PIB, dominé par les activités manufacturières, le soutien à l’émergence d’une industrie de transformation apparaît comme un autre volet incontournable du développement économique. Le gouvernement a notamment annoncé le lancement d’un plan ambitieux pour développer l’industrie du sucre estimant à 1,3 milliard de dollars le coût d’amélioration de ses trois usines sucrières (Fincha, dont l’étude de faisabilité du projet d’extension avait été confiée à la société française Sofreco, Wonji et Metahara). L’Ethiopie a également conclu en janvier un accord avec l’établissement indien Exim Bank, portant sur un crédit de 640 millions de dollars pour le financement de la construction d’une nouvelle usine à Tendaho. Si le début des travaux de construction ont été repoussés, la finalisation de ce projet vise à multiplier par cinq la production sucrière du pays en la portant à 15 millions de quintaux. Ce plan s’inscrit également dans le cadre d’une stratégie de développement des biocarburants approuvée en conseil des ministres en septembre 2007. Celle-ci table d’une part sur une production de 128,1 millions de litres d’éthanol par an avec les quatre sucrières tournant à plein régime. Elle évalue d’autre part la surface des terres nécessaires à la production d’huile végétale à 23,3 millions d’hectares, dont la plus large portion dans la région d’Oromia. Pour concevoir le biodiesel, la production d’huile végétale serait privilégiée notamment à partir de jatropha, qualifié d’« or vert » après le colza et le soja.
Avec le renforcement des capacités énergétiques de l’Ethiopie, priorité est donnée au développement des infrastructures de transport indispensables au désenclavement des régions comme à l’acheminement tant des marchandises que de l’aide alimentaire quand c’est nécessaire. Tout en maintenant une politique budgétaire prudente, le ministre des Finances Sufian Ahmed a ainsi présenté en juin dernier un projet de budget pour 2008/2009 en augmentation de 21%, dont le volet le plus important est alloué à la poursuite de la construction routière. Le potentiel reste d’ailleurs énorme puisque l’objectif affiché est de faire passer le réseau routier d’environ 40 000 km a plus de 100 000 km d’ici 2010.
L’essor du secteur industriel se reflète également au travers de la progression croissante des importations de biens d’équipement (un peu plus du tiers des importations en 2006-2007) et notamment pour le secteur du BTP. Le secteur de la construction en général est portée par une dynamique forte, en hausse de 10,9% en 2006/2007, intensifiée par les préparatifs des célébrations du Millenium dans la capitale. De plus, la montée en puissance du rayonnement diplomatique d’Addis-Abeba favorise le lancement de grands projets notamment dans le secteur hôtelier. Le groupe français Accor a ainsi acquis une place de premier plan avec l’ouverture d’un Novotel de 100 chambres et d’un Ibis de 140 chambres. Siège de l’Union africaine, les 110 ambassades qu’abrite la capitale éthiopienne lui valent de plus en plus le surnom de « Bruxelles africaine ». Ce renouveau draine d’ailleurs une large part des investisseurs étrangers, au premier rang desquels les compagnies chinoises et indiennes. Si l’Etat demeure très impliqué dans le tissu économique, le gouvernement a prévu d’accélérer le processus de privatisation des grands monopoles publics. Selon l’Autorité de supervision de la privatisation et de l’entreprise publique, (PPESA), une quinzaine d’entreprises ont été privatisées en 2007. Or, cette ouverture devrait s’intensifier avec le lancement en mars dernier à Genève du processus de négociations pour l’adhésion à l’Organisation mondiale du Commerce (OMC). C.H.

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