Après avoir accueilli le Sommet UE-Amérique latine et Caraïbes en mai, Lima s’apprête à recevoir, en novembre prochain, les dirigeants des vingt-et-un pays membres du forum de coopération Asie-Pacifique (APEC). Autant dire que le Pérou se trouve sous les projecteurs de la scène diplomatique internationale. Une exposition sans précédent dont le Président Alan Garcia entend bien tirer profit pour soutenir sa politique de développement économique.
Portée par l’envolée des cours des matières premières, l’économie péruvienne connaît une véritable renaissance. La croissance du PIB a atteint en 2007 le plus haut niveau de ces douze dernières années, à hauteur de 8,9%. Il est passé de 56 milliards de dollars en 2002 à 93 milliards en 2006 et à 109 milliards en 2007, selon les dernières estimations. Un rythme comparable à celui que connaissent les pays émergents et qui place le Pérou en tête des économies les plus dynamiques d’Amérique latine.
« L’or bleu », nouvel atout du Pérou
Riche en minerais de toute sorte, le sous-sol péruvien n’était pas soupçonné il y a quelques années encore, pour détenir des réserves d’hydrocarbures significatives. Pourtant, la mise à jour en début d’année d’un important gisement de gaz naturel dans la région de Cuzco, au sud du pays, vient confirmer la montée en puissance de ce nouvel acteur énergétique du Cône Sud. Selon la compagnie espagnole Repsol qui conduira le consortium chargé de son exploitation, le gisement de Kinteroni « pourrait avoir des réserves d'un volume de 56 milliards de m3 ». Peu auparavant, Pluspetrol qui possède une part majoritaire dans le consortium d’exploitation du gisement Camisea, proche de celui de Kintoreni, relevait les réserves prouvées des blocs 88 et 56, de 10,9 à 13,4 trillions de pieds cubes (TPC)1.
De telles découvertes réévaluent d’autant les réserves de gaz du Pérou. Selon le Ministre péruvien de l’Energie et des Mines, Juan Valdivia, elles s’élèveraient désormais à 30 trillions TPC, soit un niveau équivalent à celles du Mexique.2 Ce potentiel énergétique est devenu un véritable atout pour le Pérou à l’heure où le monde s’alarme d’un « troisième choc pétrolier ». En 2006, sa production de gaz était en hausse de 17% par rapport à 2005, atteignant 62,6 milliards de pieds cubes. Or, seulement 10% des ressources péruviennes sont actuellement exploitées.
Depuis l’achèvement du projet Camisea en 2004, exécuté par le consortium TGP (Transportadora de Gas del Peru), Lima est alimentée par une extension du gazoduc reliant le port de Pisco à l’usine de traitement de gaz de Las Malvinas. C’est Tractebel, une filiale de Suez, qui a remporté une concession de 30 ans pour la construction et l’exploitation d’un réseau de distribution de gaz dans la capitale. Depuis lors, Suez Energy International détient 8% de participation dans le consortium TGP, devenant un acteur majeur du secteur énergétique péruvien dans lequel il s’est imposé, avec EnerSur, comme le deuxième producteur privé d’électricité du pays.
Si le développement du projet Camisea a enclenché une conversion de l’économie péruvienne à l’utilisation du gaz naturel comme principale source d’énergie, de nouveaux gisements de pétrole ont récemment été révélés, renforçant la diversification de la production énergétique du pays. En avril dernier, la société péruvienne à capitaux argentins Petro-Tech Peruana SA annonçait ainsi la découverte d’un gisement de plus de 1 100 milliards de barils de brut au large de la côte nord des provinces de Piura et de Lambayeque, dans l’Océan Pacifique. La société franco-britannique, Perenco, a d’ailleurs assis sa position dans le secteur pétrolier péruvien en acquérant en début d’année la société Barrett Resources LLC, possédant un contrat de licence dans le bassin Maranon (block 67) qui abrite un potentiel de réserves de plus de 300 millions de barils. Une acquisition d’envergure pour Perenco, puisque l’achèvement du projet d’expansion de ce champ pétrolier, requérant des investissements estimés à plus de 1,5 milliard de dollars, permettrait de porter la production jusqu'à 100 000 barils de pétrole par jour lors de sa mise en production en 2011.
L’essor d’une industrie pétrochimique au Pérou pourrait également se révéler prometteuse pour l’ensemble de l’économie péruvienne. Le projet de l’entreprise américaine CF Industries, actuellement en cours d’étude, bénéficierait ainsi au secteur agro-industriel avec la création d’une usine de production d’urée et d’ammoniaque, dont le Pérou importe 300 000 tonnes par an, qui lui permettrait de satisfaire ses besoins et même d’en devenir exportateur. De leur côté, Petroperu et Petrobras envisagent la construction d’une unité de production de polyéthylène, polymère employé pour la réalisation de nombreux types d’infrastructures.
Avec l’approbation d’un prêt de 400 millions de dollars par la Banque interaméricaine de développement (BID) et d’un autre d’un montant de 300 millions de dollars par l’International Finance Corporation (Banque mondiale), la deuxième phase du projet Camisea est amorcée. Elle consiste principalement en la construction d’un second gazoduc, confiée au groupe argentin Techint, pour relier le gisement amazonien à une usine de liquéfaction de gaz, dont la conception à Pampa Melchorita (170 km au sud de Lima) a été attribuée à l’entreprise américaine CBI. La mise en service de cette usine pourrait fortement contribuer à alléger la facture pétrolière du Pérou, la balance commerciale des hydrocarbures accusant un déficit estimé de 1,8 millions de dollars en 2008. Mais elle ouvre également un immense marché au Pérou qui aspire à devenir exportateur net d’énergie d’ici une décennie.
Une ouverture commerciale tous azimuts
A partir du printemps 2010, les premiers cargos devraient commencer à livrer le Mexique avec le gaz naturel produit à l’usine de Pampa Melchorita. Pour permettre l’affrètement des cargos, Peru LNG a confié à la filiale franco-italienne du groupe ENI, Saïpem, en collaboration avec les entreprises Construtora Norberto Odebrecht et le Jan de Nul NV, la conception d’une nouvelle infrastructure composée d’une palée d’approche de 1 350 mètres, de rampes de chargement, d’un chenal d’accès et d’un brise-lame offshore de 800 mètres.
En fait, du nord au sud, le littoral péruvien se couvre de chantiers. Au port de Callao, un nouveau terminal à conteneurs devrait être inauguré en 2010. Situé à l’entrée de Lima, le plus important port du Pérou (70% du trafic maritime) pourra alors traiter 1,3 millions de conteneurs par an, soit le double de sa capacité actuelle. L’agence péruvienne de promotion des investissements, Proinversion, a également annoncé qu’elle octroierait en novembre prochain une concession de 30 ans pour l’exploitation des ports de Paita et de Pisco, incluant la construction de nouveaux terminaux. Pisco pourrait en particulier devenir un carrefour majeur des activités agricoles du sud du pays.
Le gouvernement péruvien cherche avant tout à doter le pays des infrastructures nécessaires pour satisfaire la forte progression de ses exportations, appelées à s’intensifier dans le sillage de la politique commerciale du Président Garcia. A lui seul, l’accord de libre-échange péruvio-américain approuvé par le Congrès américain en décembre 2007, devrait susciter une hausse du trafic de conteneurs à Callao de plus de 20% par an. Le Pérou a également conclu des accords de libre-échange avec le Canada, Singapour et la Thaïlande, tandis que des négociations avancent rapidement avec la Chine, le Japon et la Corée du Sud, mais aussi avec le Mexique et qu’un accord sera tôt ou tard signé avec l’UE.
Le renforcement des capacités portuaires du Pérou va également de pair avec un autre projet d’envergure inauguré le 8 septembre 2005. A terme, la route Interocéanique reliera la côte atlantique brésilienne aux ports péruviens de Ilo, Matarani et Marcona, en passant par la Bolivie. Soit au total 2 600 km de route et un investissement global de plus de 1,3 milliards de dollars. La construction du dernier tronçon reliant Juliaca (au nord de Puno) au port de Ilo a été lancé par le Président Alan Garcia en octobre dernier et doit être achevée en 2010. Ouvrant à la Bolivie un accès au deux océans, l’Interocéanique bénéficie surtout au Pérou et au Brésil qui pourraient multiplier par trois leurs échanges commerciaux.
Entre 2002 et 2006, les exportations ont triplées, s’élevant à près de 27 milliards de dollars en 2007, dont 17 milliards pour le seul secteur minier. Pour soutenir cette expansion, le gouvernement veut continuer à stimuler l’investissement étranger dans tous les secteurs de l’économie. En 2007, ils ont culminé à 4,48 milliards de dollars. En 2007, 960 millions de dollars ont été investis dans l’industrie pétro-gazière, en hausse de près de 40% par rapport à 2006. Pour ce secteur, le gouvernement a d’ores et déjà accordé plus de 80 contrats d’exploration, couvrant une surface de 540 000 km2, équivalente à celle de la France. Figurant en tête des pays producteur d’argent, de cuivre, de zinc ou d’or, les projets miniers se multiplient sous l’effet de la hausse des prix des métaux. Tandis que les concessions d’exploration octroyées à la fin 2007 couvraient 12 millions d’hectares, plus de 250 seraient recensés au ministère de l’Energie et des mines. Le plus important concerne la mine de cuivre de Toromocho, située à 140 km à l’est de la capitale. Chinalco a récemment annoncé son intention d’investir jusqu’à 2,16 milliards de dollars pour l’exploiter. Il permettrait d’accroître de 25% ses exportations de cuivre et de créer quelque 5 000 emplois. Pour la seule exploitation des ressources en cuivre, les engagements d’investissements s’élèvent jusqu’à présent à 13 milliards de dollars et devraient permettrent de doubler la production d’ici 2012.
Construire « un Pérou plus juste »
Pour un pays aussi dépendant des matières premières, les sommets qu’atteignent les cours sur le marché mondial, sont une véritable aubaine. Encore faut-il en profiter à bon escient. Et de fait, cette conjoncture favorable n’est pas le seul facteur d’optimisme pour l’économie péruvienne. Comme le souligne Javier Santiso, Directeur du Centre de développement de l’OCDE, le Pérou « effectue un virage économique remarquable ». Contre tout attente, puisque le Président Alan Garcia s’était montré en farouche opposant aux politiques libérales édictées par le FMI, lors de son premier mandat (1985-1990). Mais plus qu’un tournant libéral, c’est une conversion au « pragmatisme » que semble animer la conduite de sa politique économique depuis sa réélection en juin 20063. La maîtrise de l’inflation (3,9% en 2007), qui reste contenue malgré la forte croissance, apparaît comme le principal indice de cette nouvelle posture. Elle demeure à l’un des taux les plus bas d’Amérique latine. L’heure est également à la rigueur en matière de gestion des comptes publics. L’Etat a ainsi enregistré un surplus fiscal de 3% du PIB en 2007. La balance commerciale s’élevait en 2007 à plus de 8 milliards de dollars. Atteignant 26,1 milliards de dollars, les réserves officielles couvraient fin novembre 2007 plus de 13 mois d’importations de biens et services et la totalité de la dette externe publique.
L’accélération du rythme de croissance que connaît l’économie péruvienne ces dernières années peut donc s’appuyer sur la solidité de ses fondamentaux macro-économiques. Tandis que l’investissement privé a augmenté à hauteur de 20% en 2007, la consommation intérieure, favorisée par la hausse des salaires dans les secteurs exportateurs, participe également à ce cercle vertueux. Elle est particulièrement visible dans la capitale, où se développe les centres commerciaux et le marché immobilier. Seul ombre à ce tableau, elle ne se diffuse pas encore à l’ensemble de la population dont on estime que la moitié vit sous le seuil de pauvreté.
Avec le sous-emploi, ce sont les deux principaux défis qu’entend relever le Président Alan Garcia. Des défis de taille, car les disparités sociales et les écarts de développement entre les différentes régions du pays ne font qu’exacerber les contestations contre divers grands projets miniers ou énergétiques. Elles sont un formidable révélateur de l’impatience des populations locales qui n’en voient pas ou peu les retombées économiques, sur fond de préoccupations environnementales non moins cruciales. Depuis sa mise en service en 2004, le gazoduc du projet Camisea a connu cinq ruptures. Plus généralement, la renégociation des contrats avec les multinationales est devenu un sujet central lors de la campagne présidentielle. Fort du régime dit de « stabilité fiscale » mis en place sous l’ère Fujimori, le Pérou n’a touché aucune royalties de l’exploitation de ses ressources naturelles. Si le gouvernement a réussi à obtenir un compromis, en négociant une « contribution volontaire » de 3% des profits après prélèvements fiscaux, c’est bien la pauvreté et surtout sa persistance qui posent problème, en particulier dans les régions rurales du sud andin où elle peut atteindre 70% de la population.
En maintenant le cap du pragmatisme tout en concrétisant la volonté affichée de lutter contre la pauvreté, le Pérou s’est engagé sur la voie d’un décollage économique. Son dynamisme actuel le porte en tout cas à espérer et à se construire un horizon prometteur, comme en témoigne le projet audacieux du Président Alan Garcia de proposer la candidature du Pérou pour l’organisation des jeux olympiques en 2020. C.H.
Suez mise sur le marché énergétique péruvien
Deuxième producteur privé d’électricité sur le marché péruvien, Suez Energy Pérou exploite quatre centrales à travers le pays dont une centrale hydro-électrique et trois centrales thermiques représentant au total 850 mégawatts. En août 2007, le groupe français a inauguré la seconde unité de la centrale thermique ChilcaUno, la première a être alimentée par le gaz naturel extrait du gisement de Camisea. Depuis dix ans, la centrale ILO1 alimente en électricité les installations de la SPCC, le plus grand producteur de cuivre du Pérou. Suez Energy International possède également une participation de 8% dans le consortium Transportadora de Gas del Perú (TGP) qui exploite le gazoduc reliant les gisements gaziers de la région de Camisea jusqu'à la capitale Lima et le port de Pisco. Ci-contre, la centrale hydroélectrique de Yuncan d’une capacité de 130 Mégawatts gérée par Suez Energy Pérou.
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