Par S.E.M. Jacques Sagot, Ambassadeur, Délégué permanent du Costa Rica auprès de l’UNESCO
La réputation politique du Costa Rica est bien assise. La communauté mondiale sait qu’il a depuis longtemps choisi d’abolir l’armée et toute forme de service militaire. Elle connaît aussi sa tradition démocratique exemplaire et sa pratique d’un suffrage qu’on peut qualifier de transparent. Ses produits agricoles – notamment le café – jouissent d’une réputation quasi légendaire et ses structures techno-scientifiques se sont développées rapidement ces dernières années. Or, il y a un aspect de sa culture qui n’est pas encore reconnu autant qu’il le devrait : une foisonnante vie artistique qui lui confère une place prédominante dans toute l’Amérique latine.
Le Théâtre national a été construit en 1897 et inauguré avec le Faust de Gounod. Ce choix n’est pas dû au hasard. L’architecture du bâtiment s’inspire de celle du Palais Garnier à une échelle plus modeste, cela va sans dire. Quand le grand dramaturge espagnol Jacinto Benavente a visité San José, la capitale, il l’a décrite comme un amas de maisons agglomérées autour d’un splendide théâtre baroque. Il en fut ainsi jusqu’aux années 1950. Ensuite, la culture commence à se développer lentement mais régulièrement. Elle fut au début l’œuvre d’amateurs talentueux, de cercles intellectuels qui travaillaient indépendamment, sans l’appui de l’Etat. En 1955, le Théâtre Arlequin, la première compagnie théâtrale professionelle se produit avec grand succès. Le virus du théâtre déclenche alors un processus irrésistible.
En 1970, le ministère de la Culture est fondé sous l’administration du Président José Figueres Ferrer, un socio-démocrate qui s’est caractérisé par son esprit visionnaire et la priorité qu’il a su donner aux arts sur le développement strictement infrastructurel du pays, seul souci des gouvernements précédents. Pour donner une idée de sa philosophie d’homme politique, mentionnons que c’est lui qui une vingtaine d’années auparavant avait décrété l’abolition des forces armées. Sous l’auspice du ministère de la Culture sont nés les Compagnie et Atelier Nationaux de Danse, la Compagnie nationale de Théâtre, le nouvel Orchestre symphonique national et, avec lui, le Programme musical pour la Jeunesse, une nouvelle école qui a produit les orchestres symphoniques Juvénile et Enfantin, et aussi le Chœur symphonique national. Sous l’impulsion d’un homme exceptionnel, le Vice-Ministre et plus tard Ministre de la Culture Guido Sáenz, la physionomie artistique du pays a changée pour toujours. Pas un paramètre culturel qui n’ait été modifié par cet esprit lucide et audacieux. L’ancien orchestre, composé essentiellement d’amateurs et manquant totalement de discipline, a été démantelé. On a fait appel à des musiciens étrangers pour former un nouvel orchestre. Ceux qui ont aussitôt qualifié cette décision d’antipatriotique n’ont pas compris que la fonction de ces jeunes et brillants professeurs n’était autre que de former une génération de nouveaux musiciens nationaux, des centaines de jeunes artistes qui, à leur tour, formeraient les futures générations de musiciens. La restructuration de l’orchestre, conjuguée à la relative stabilité économique du pays, a permis la venue fréquente de solistes de tout premier rang, source d’inspiration pour les jeunes musiciens.
Le Costa Rica organise aujourd’hui plusieurs festivals qui attirent des artistes de renommée mondiale. Le Festival musical credomatic, le Festival de Guitare, le Festival de jeunes pianistes, le Festival de jeunes chorégraphes, la Biennale Lachner et Sáenz, consacrée aux arts plastiques, le Festival international des Arts (FIA), des festivals théâtraux… ; bref, une vie culturelle riche qui se projette déjà au-delà de nos frontières. Des artistes tels que Iride Martínez et Guadalupe González, deux sopranos de premier ordre, se produisent à côté de figures telles que Plácido Domingo et José Carreras, entre autres. Le chef d’orchestre Giancarlo Guerrero, titulaire de l’Orchestre de Minnesota, collabore avec des solistes de la taille d’Alfred Brendel et Vladimir Ashkenazy. L’Orchestre symphonique national a fait plusieurs tournées en Espagne, aux États Unis et en République tchèque.
Le Costa Rica peut aussi s’enorgueillir d’une tradition littéraire variée et significative du point de vue historique. Bien avant Joyce, l’écrivaine Yolanda Oreamuno (« La ruta de su evasión ») cultivait déjà le monologue intérieur dans le contexte du roman, tandis que Eunice Odio et Ana Istarú produisent une poésie lyrique qui célèbre la spécificité de l’expérience érotique féminine.
Quatre universités d’Etat, notamment l’Université de Costa Rica, et un grand nombre d’universités privées démontrent l’effervescence intellectuelle d’un pays qui s’adonne à la pensée et à la recherche de solutions aux problèmes les plus urgents de la culture mondiale.