Par Thierry Coville, Chercheur associé au CNRS, Département Monde iranien.
La situation favorable que connaît l’économie iranienne depuis 1999 s’est prolongée ces derniers temps du fait du maintien à un haut niveau des prix du pétrole. La croissance a atteint 6,5% en 2002 et devrait rester élevée cette année du fait, notamment, d’une politique budgétaire très active, avec une hausse prévue des dépenses d’investissement de 130% pour cette année ! La balance commerciale a affiché un solde positif de 4,4 milliards de dollars en 2002 et devrait rester largement excédentaire en 2002 (1) compte tenu de la bonne tenue des exportations d’hydrocarbures. Il convient également de souligner la vigueur des exportations non pétrolières qui ont progressé de 35% en 2002. Les exportations de produits manufacturés tiennent toutefois une place encore trop limitée dans les exportations dont les principaux postes restent les tapis, les pistaches et les produits pétrochimiques. Il est intéressant de constater que les exportations vers l’Afghanistan sont en plein essor, ce pays passant de 2001 à 2002 du 29ème au 10ème rang des clients de l’Iran pour les exportations hors pétrole. Ceci confirme l’idée que l’Iran dispose de nombreux atouts pour développer ses ventes dans la région (positionnement géographique central, liens historiques avec de nombreux pays limitrophes, notamment en Asie centrale, présence de villes régionales importantes comme Mashad, Tabriz, infrastructures de transport relativement développées, etc.) et bénéficierait très largement d’une diminution des tensions politiques et d’une ouverture économique dans cette partie du monde (2). Autre élément positif, la dette extérieure reste tout à fait sous contrôle à 9,2 milliards de dollars en 2002, soit près de 33% des exportations. Cependant, la bonne période que vient de connaître l’économie iranienne n’a pas suffi à faire disparaître un certain nombre de problèmes. Ainsi, l’inflation s’est accélérée passant de 10,9% sur un an au troisième trimestre 2001 à 17,5 % au quatrième trimestre 2002. Ceci s’explique en fait par une forte création monétaire qui sert à financer un accroissement des déficits publics, la progression de l’endettement de l’Etat étant passée de 0,5% du PIB en 2001 à 3,3% en 2003 (3). En fait, le gouvernement essaie au maximum de soutenir l’activité pour limiter le chômage qui reste le talon d’Achille de l’économie iranienne avec un taux de 14% et une population active qui progresse de près de 600 000 personnes par an. Phénomène aggravant, le chômage affecte particulièrement les jeunes, touchant près de 30% de la catégorie des 15-29 ans. Toutefois, cette politique gouvernementale de soutien de l’activité et de l’emploi ne semble arriver qu’à contenir le chômage sans véritablement le diminuer. En outre, cette politique se "paie" par un déficit budgétaire élevé et une inflation qui attise les tensions sociales. Enfin, ce financement "monétaire" des déficits publics rend la politique monétaire inefficace, en matière de lutte contre l’inflation, ce qui oblige les autorités à pratiquer une politique du Rial "fort" (4) pour limiter l’inflation, ce qui pèse lourdement sur la compétitivité de l’industrie iranienne.
En fait, lutter contre le chômage impliquerait une véritable libéralisation de l’économie iranienne pour que le secteur privé joue un rôle plus important en matière de création d’emplois. D’ailleurs, le gouvernement iranien n’est pas resté inactif dans ce domaine et l’Iran est sûrement l’une des économies pétrolières qui a mené les réformes les plus importantes ces dernières années : unification du système de change, réforme fiscale, libéralisation du commerce extérieur, nouvelle loi sur l’investissement étranger(5). Cependant, le gouvernement n’a pas, pour l’instant, osé s’engager profondément dans la voie de la libéralisation en mettant en œuvre un véritable programme de privatisation, le secteur public contrôlant toujours près de 80% de l’économie. Les autorités ont d’ailleurs annoncé qu’elles avaient pour objectif la privatisation du système bancaire (la principale banque, la banque Melli, n’étant pas concernée) et de 75% des industries publiques. Toutefois, les autorités craignent les répercussions immédiates de tels plans sur le chômage dans un contexte de tensions sociales non négligeables.
Ceci ne doit pas faire oublier l’essentiel : l’Iran est un pays à très fort potentiel(6) doté d’immenses ressources énergétiques (avec 9% des réserves mondiales de pétrole et la deuxième réserve mondiale de gaz) ou minérales, d’une population jeune (70% de la population a moins de 30 ans) et bien éduquée, d’une situation géographique privilégiée (au cœur des routes qui relient l’Europe et l’Asie, l’Asie centrale et les pays du Golfe, etc.). Dans ces conditions, il est heureux que les entreprises françaises aient réalisé une percée significative sur ce marché. En 2002, les exportations françaises ont ainsi progressé de 28% par rapport à 2001 et la France figurait, avec 6,2% de part de marché, au 3ème rang des fournisseurs de l’Iran(7), après l’Allemagne et les Emirats Arabes Unis. Les exportations françaises sont surtout constituées d’équipements automobiles (41% des exportations), mais aussi mécaniques, électriques et électroniques. La France a importé pour près de 761 millions d’euros d’Iran en 2002 (le pétrole représentant 90 % de ces importations). Cependant, il est clair que la position de la France pourrait être encore meilleure. Il faudrait pouvoir créer un flux d’échanges courants plus importants avec l’Iran et que les PME françaises participent de manière plus active à ce marché (8). Une intensification des relations économiques avec l’Iran passe notamment par le développement des exportations non pétrolières de l’Iran vers la France (la France n’était que le 32ème client de l’Iran pour les produits non pétroliers en 2002, l’Allemagne le deuxième). Ceci implique sûrement de multiplier les efforts d’accompagnement pour que les entreprises des deux pays (et notamment les PME) apprennent à mieux connaître les réalités de ces deux marchés. Par ailleurs, les entreprises françaises devraient sans doute plus penser à l’Iran en tant que marché d’accueil pour les investissements. Il y a maintenant un environnement beaucoup plus favorable pour l’investissement : une nouvelle loi, un accord bilatéral de protection et d’encouragement qui vient d’être signé entre l’Iran et la France, un environnement macro-économique favorable, une libéralisation progressive de l’économie. A cet environnement s’ajoute le potentiel de l’Iran dans ce domaine : un marché intérieur de près de 70 millions d’habitants, une main d’œuvre de qualité et peu coûteuse, des coûts énergétiques faibles, la possibilité d’utiliser l’Iran comme base d’exportation pour la région. Au total, on estime le stock d’investissement direct français à 20-25 millions de dollars. En outre, des entreprises françaises négocient actuellement des implantations. Cependant, ces efforts restent sans doute encore trop timides vis-à-vis d’un pays qui aspire à être la véritable puissance régionale dans cette partie du monde.
1 – Par convention, nous considérerons que l’année iranienne qui va du 21 mars de l’année n au 20 mars de l’année n+1 sera l’année n.
2- L’Iran enregistre déjà des flux importants de transit sur son territoire. Des biens d’une valeur de près de 3 milliards de dollars ont ainsi transité par l’Iran durant le deuxième trimestre 2003 (soit une progression de 14% sur un an).
3- C’est ce qui est prévu dans le projet de budget. On peut donc penser que cet objectif sera largement dépassé.
4 – Le dollar s’échangeait à 8345 rials (taux de référence de la banque centrale) en septembre 2003, soit une dépréciation de près de 4 % par rapport à son niveau de 1999.
5 – Les autorités viennent d’ailleurs d’annoncer que les étrangers pourraient bientôt investir directement dans la Bourse de Téhéran.
6- Pour plus de détails concernant le marché iranien, on peut se référer à T. Coville, Perspectives Iran, Nord Sud Export, 2001. On peut aussi consulter les notes de la Mission Economique – Ambassade de France en Iran (http://www.dree.org/iran/).
7 – Les exportations des EAU consistant surtout en des réexportations, la France est en fait le deuxième fournisseur de l’Iran derrière l’Allemagne.
8 – L’Iran reste encore très largement méconnu par de nombreuses entreprises françaises et pâtit encore d’une image très "déformée" par rapport à la réalité économique et sociale de ce pays.
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