Lundi 22 Avril 2019  
 

N°124 - Quatrième trimestre 2018

La lettre diplometque
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Les mutations de la Bundeswehr face aux changements stratégiques

Comme celle de nombreux pays européens, la politique de défense et de sécurité de l'Allemagne a dû s'adapter aux nouvelles réalités stratégiques de l'après 11 septembre et ce, dans un contexte économique et financier fort tendu. Evolution particulièrement difficile à assumer pour un pays dont la situation stratégique est au centre de l'ancienne ligne de front Est-Ouest et où les souvenirs du passé ont longtemps pesé sur les décisions gouvernementales en ce domaine. Pourtant dès 1999, le ministre de la Défense du nouveau gouvernement  social-démocrate et vert, Rudolf Scharping, avait opté pour une refonte radicale de la Bundeswehr afin d'adapter celle-ci aux défis du XXIème siècle. Comme de nombreux analystes et experts, le Ministre avait pleinement pris conscience de ce que la Bundeswehr, formatée essentiellement pour la guerre froide, risquait de perdre le contact technologique et donc son interopérabilité avec ses principaux partenaires, évolution qui ne pouvait que s'accentuer du fait de la formidable progression du budget de la défense américain. Ni la taille, ni la composition, ni l'équipement des forces de réaction rapide ne répondaient aux exigences internationales. Enfin le budget de la défense accusait un retard d'investissement de 15 milliards de DM et risquait de chuter à 1,5% du PIB alors qu'un taux de 2% était généralement considéré comme nécessaire pour rester dans la course. Aussi Rudolf Sharping a-t-il fait adopter par le conseil des ministres du
14 juin 2000 un plan de réformes, qui reste, malgré des modifications introduites par la suite, la base de l'action gouvernementale en matière de défense à l'horizon 2010. Afin de faire entrer l'armée allemande dans l'ère de la prévention et de la gestion de crises, il était entendu qu'il convenait de réduire les effectifs globaux de 338 000 à 277 000, dont 200 000 professionnels et 77 000 appelés du contingent. L'effectif total de l'armée en temps de paix devait se situer aux environs de 360 000 personnes dont 80 à 90 000 employés civils, avec une capacité de montée en puissance d'environ 250 000 soldats ; l'effectif militaire devant atteindre 500 000 personnes en temps de guerre. En temps de paix, l'effectif serait de 255 000 soldats auxquels il conviendrait d'ajouter 22 000 postes militaires pour la formation et 5000 places de formation pour le service actif. Surtout, l'effectif permanent de 255 000 soldats devrait être organisé pour répondre à une opération faisant intervenir 55 000 hommes pour une période pouvant atteindre un an – ou deux opérations de dimension moyenne avec chacune 10 000 soldats pendant plusieurs années. De même, le nombre d'appelés serait réduit de 40%, passant de 135 000 à 80 000, la durée du service militaire réduite à dix-neuf mois et son accomplissement rendu plus souple. Ce passage d'une force de paix à une force d'intervention, capable de remplir une gamme élargie de missions, depuis des opérations mécanisées aux opérations de maintien de la paix et les opérations particulières dans un cadre "combiné", se reflète dans la nouvelle structure de l'armée en voie  de formation. Ces objectifs ont été récemment précisés par M. Peter Struck, Ministre allemand de la Défense qui confirmait à Berlin au début du mois d’octobre 2003, son intention de faire passer le nombre de soldats à 250 000 à l’horizon 2010, avec une réduction du nombre des employés civils, devant passer de 128 000 aujourd’hui à 75 000 en 2010. Pour répondre à un objectif d'interopérabilité des forces et accroître fondamentalement leur capacité d'intervention hors d'Allemagne, les divisions classiques comprenant 18 000 hommes ont été remplacées par cinq divisions modulaires, composée chacune de deux brigades, soit 10 000 hommes. Parmi les éléments les plus novateurs, il convient de signaler la Division des opérations spéciales (DSO) qui comprend le Commandement des forces spéciales (KSK) qui sont intervenues en Afghanistan dans le cadre de l'ISAF et deux brigades aéroportées, soit 7400 hommes, la Division aérienne mobile (DLO) composée d'une brigade aérienne mécanisée -trois régiments- soit 9800 hommes, et le Commandement des troupes de l'armée  qui devrait disposer d' un soutien propre sur le champ de bataille et d'unités logistiques (22 500 hommes). Un nouveau commandement interarmées est créé à Potsdam-Geltow, donnant pour la première fois à la Bundeswehr la capacité de planifier, de préparer et de conduire des opérations terrestres, navales ou aériennes de façon autonome. Ce cœur de la future structure de commandement rendra l'organisation de la Bundeswehr compatible avec les structures de commandement multinational et intégré à l'Alliance. Il fournira en même temps à l'Union européenne un quartier général pour la réalisation des missions dites de “Petersberg“. La mise en œuvre de cette réforme de la Bundeswehr que tous s'accordaient à juger nécessaire et urgente dépendait en fait des disponibilités financières qui seraient dégagées dans un contexte budgétaire difficile : il devenait en effet de plus en plus difficile de maintenir le niveau de budget de 24,57 milliards d'euros atteint en 1999. En effet en juin 2001 le gouvernement décidait de réduire celui-ci de 4% et de le geler ensuite jusqu'à 2006. En pratique, ces recommandations ont été peu ou prou suivies puisque les dotations budgétaires sont restées pra-
tiquement constantes : 24,37 milliards en 2002 et en 2003 à 10 millions d'euros près, en raison des augmentations dues à la lutte anti-terroriste. Certes, après le 11 septembre, une augmentation avait été programmée, mais elle restait pour l'essentiel absorbée par la lutte anti-terroriste. Ce qu'escomptaient les ministres de la Défense était de financer la réforme de la Bundeswehr par un redéploiement interne des dépenses en louant les équipements plutôt qu’en les achetant, en externalisant des services que le secteur privé peut fournir à meilleur marché, et en mettant en location ou en vente des actifs immobiliers non indispensables. Dans le même temps, contrairement à une évolution générale dans presque toutes les armées occidentales, l'Allemagne restait fidèle au système de la conscription, de fortes raisons historiques, sociales et économiques plaidant pour son maintien. Elle était jugée nécessaire pour maintenir le lien entre l'armée et la société, entre le citoyen et l'Etat. Elle donne à tous les citoyens une responsabilité dans la politique de défense d'un pays, simplifie les problèmes de recrutement auxquels sont confrontés toutes les armées de volontaires et assure l'accès à toutes les compétences au sein  de la société. Au surplus, les coûts d'une armée de métier étaient jugés supérieurs et, sans la conscription, l'Allemagne devrait faire face à un effondrement de son système de santé qui ne fonctionne que grâce aux objecteurs de conscience. Enfin, la conscription reste très populaire en Allemagne : 70% de la population y reste favorable, jugeant qu'une armée de citoyens  apparaît un rempart contre tout interventionnisme militaire. Ces arguments financiers ne répondaient pourtant qu'imparfaitement à la nécessité de revalorisation des rémunérations, d'accroissement de l'attrait du service militaire et à l'augmentation des soldes et des salaires devenus indispensables. Pour le moment en Allemagne, la taille des forces armées reste cependant liée à celle du service militaire obligatoire. Toute réduction drastique des effectifs qui rendrait la conscription obsolète nécessiterait en effet un amendement à la Loi fondamentale qui ne peut être obtenu que par une majorité des deux-tiers du Bundestag. Or, il existe dans tout le spectre des partis, un attachement très fort au maintien de la conscription. La décision d'ouvrir l'accès de la Bundeswehr aux femmes volontaires a illustré l'ampleur des bouleversements constitutionnels à prévoir en cas de changement dans l'organisation des forces armées, la Loi fondamentale stipulant que "les femmes ne peuvent en aucun cas être autorisées à accomplir un service armé". Ainsi, l'Allemagne cherche à combler ses retards en matière de transports et de renseignement stratégique, et dans ceux du commandement, du contrôle de la communication et de l'information, pour assurer la capacité de déploiement stratégique de la Bundeswehr hors des frontières nationales et son interopérabilité avec les partenaires euro-atlantiques. Dans le domaine du déploiement stratégique, la priorité est accordée à l'acquisition d'un futur avion de transport en l'occurrence l'Airbus A400M, qui sera le remplaçant tant de ses Transall vieillissants que des avions de construction américaine Hercules dont disposent certains pays européens, d'un transport maritime roll on roll off, d’un transport aérien tactique avec l'hélicoptère NH90 et du véhicule de transport terrestre GTK produit par l'industrie allemande. Celle-ci a d'ailleurs eu l'occasion de démontrer son excellence avec le char Leopard mondialement connu, l'automoteur PzH 2000 de 155 mm, le blindé héliportable Wiesel aux multiples versions et le pont -amphibie M-3. Sait-on aussi que les moteurs MTU/Rank équipent certains Chars Abrams et tous les chars Leclerc vendus aux Emirats Arabes Unis. Cependant, les difficultés qu'elle a éprouvée pour assurer le financement de l' Airbus A400M démontrent, ici, combien il est difficile d'allouer au secteur de la défense les crédits requis. En effet seule une dotation de 5,3 milliards d'euros avait été autorisée par le Bundestag, très attaché à ses prérogatives, au budget 2002, ne permettant d’acquérir que 40 unités de l’avion de transport A400M au lieu des 73 prévus dans le Memorandum of understanding (MoU) signé par Rudolf Scharping au Salon du Bourget en juin 2001. Finalement au terme de longues consultations un accord est intervenu pour un financement de quelque 8,5 milliards d'euros permettant à l'Allemagne d'acquérir 60 unités, accord entériné au niveau industriel le 27 mai 2003, également lors du Salon du Bourget. La Bundeswehr s'est depuis quelques années fortement déployée dans le monde, maintenant 10 000 hommes sur les divers théâtres extérieurs (Balkans, Afghanistan). Elle compte d'ailleurs poursuivre ses activités de coopération internationale en s'appuyant sur les accords de coopération militaire qu'elle a avec 53 pays et dispose en résidence, dans 60 ambassades, de 85 attachés militaires et de 83 sous-officiers qui sont en outre accrédités "non-résidents" dans 50 autres pays. L'horizon opérationnel de l'armée allemande s'est donc peu à peu élargi. Alors que la marine était précédemment focalisée sur la Baltique, la mer du Nord et l'Atlantique, le tiers de la flotte se déploie dorénavant en Méditerranée, bien au-delà de sa participation aux deux Stavnaformed (forces navales permanentes de l'OTAN où elle est constamment présente). Au moment où l'Allemagne et la France ont fêté le dixième anniversaire de l'Eurocorps, dont elles sont à l'origine, la brigade franco-allemande forte de 5000 hommes stationnés à Müllheim dans le Bade-Wurtemberg, reste pour le moment la seule formation disponible, les deux partenaires réaffirmant régulièrement la nécessité de doter l'Union européenne de véritables capacités militaires.  Pierre Beaumont 
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