L’entente Sénat / Bundesrat au cœur de l’amitié franco-allemande
Par M. Daniel HOEFFEL,Vice-Président du Sénat, Président du Groupe d’Amitié France-Allemagne du Sénat
Le Groupe d’Amitié France-Allemagne du Sénat exprime une réalité : Bundesrat et Sénat doivent être des éléments porteurs, aux côtés du Bundestag et de l’Assemblée nationale, de la coopération entre nos deux pays. Nos deux assemblées n’ont pas la même composition, le Bundesrat étant issu des gouvernements régionaux, des Länder, le Sénat étant élu au suffrage universel indirect par les délégués des trois niveaux de collectivités territoriales, communes, départements et régions. Mais nous puisons, les uns et les autres, nos racines dans les collectivités territoriales et nous devons contribuer à toujours mieux impliquer celles-ci dans la coopération quotidienne.
L’entente entre nos pouvoirs exécutifs, qui a su résister pendant les quarante années écoulées à toutes les alternances électorales, doit être relayée par les assemblées parlementaires et par les collectivités locales.
Comment ne pas nous féliciter, à cet égard, de l’essor qu’ont connu les jumelages – environ deux mille – entre communes françaises et allemandes, qui touchent très directement la population, en particulier les jeunes, ainsi que les associations culturelles, sportives et sociales ? C’est à ce niveau que nos concitoyens sont concrètement associés à l’éclosion d’un climat permettant de mieux se connaître, de mieux se comprendre et de mieux participer. C’est à travers les communes jumelées que nos peuples se sentent concernés, intéressés et associés. C’est dans les communes que se développe une coopération décentralisée et concrète dans les domaines les plus variés, comme l’urbanisme et la formation.
Notre groupe d’amitié a aussi la volonté d’exprimer certaines préoccupations. Je crois profondément à l’importance capitale de la coopération culturelle et linguistique pour ancrer fortement et durablement l’union franco-allemande dans la conscience de nos peuples. La coopération culturelle a probablement été négligée et sous-estimée. Les centres culturels en Allemagne et les instituts Goethe en France ont été progressivement démantelés. Ne nous étonnons pas que, en conséquence, l’enseignement de la langue allemande en France et l’enseignement de la langue française en Allemagne aient régressé de 50 % en vingt ans. Si nous renonçons progressivement à considérer l’apprentissage de la langue du voisin comme prioritaire, ne soyons pas surpris devant l’hégémonie progressive de l’anglais sur le continent européen, au détriment du français et de l’allemand.
Disant cela, je n’oublie pas que, dans certaines régions, de part et d’autre, des initiatives sont prises pour enrayer cette évolution. Je pense aux décisions courageuses prises par M. le Président TEUFEL en Bade-Wurtemberg ou aux initiatives des collectivités alsaciennes qui œuvrent avec l’Etat dans le sens du bilinguisme franco-allemand. Il appartient naturellement aux régions frontalières de donner le ton, d’expérimenter ce qui peut être généralisé par la suite, d’explorer les voies d’une coopération appelée à s’élargir.
La coopération entre régions frontalières permet d’aller au-delà de ce qui peut être tenté dans l’immédiat sur un plan plus général. Elle doit donc être stimulée, élargie et approfondie. Elle constitue un laboratoire précieux qui permet de faire avancer la cause de la coopération franco-allemande en général.
C’est un juste retour des choses que de voir ces zones frontalières passer d’une époque de confrontation et de méfiance à celle de la coopération et de l’amitié.
Comment ne pas souhaiter aussi que certaines restrictions apportées à la diffusion des chaînes de télévision sur le câble dans les régions frontalières puissent être revues, que la chaîne Arte se recentre sur la coopération franco-allemande et sur une meilleure connaissance réciproque de nos cultures ? Et comment ne pas rappeler que les lycées franco-allemands sont plus que jamais indispensables et que nous avons besoin de l’action de l’Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ), dont le travail mérite d’être salué ?
Il convient de redonner un souffle à l’Office franco-allemand pour la jeunesse en le recentrant par exemple sur l’apprentissage de la langue du voisin… Cet organisme est financé à parité par nos deux pays sur la base d’une stricte égalité, mais les gouvernements successifs n’ont pas maintenu le budget de l’OFAJ, qui a perdu près des deux tiers de son contenu durant les quarante années de son existence !
L’Allemagne désire aujourd’hui relancer l’action de l’OFAJ et a proposé une augmentation substantielle de son budget, pour lui permettre de retrouver des crédits à la hauteur des missions qui sont les siennes. Le groupe d’amitié du Sénat soutient pleinement cette initiative redonnant à l’OFAJ les moyens nécessaires à son action indispensable.
Parmi les avancées possibles, pourquoi ne pas imaginer d’entrecroiser les administrations et de rendre plus visible le couple franco-allemand. Par la suite, cela pourrait être étendu à l’ensemble de l’Union européenne (comme cela s’est passé pour Schengen). On pourrait également procéder d’une manière plus systématique et avec plus d’ampleur à des échanges de fonctionnaires.
Evoquer plus particulièrement l’aspect culturel et administratif de nos relations ne signifie nullement que nous sous-estimons la coopération économique, technologique, scientifique, universitaire, de défense, diplomatique, entre la France et l’Allemagne, coopération grâce à laquelle nous avons, ensemble, fait avancer l’Union européenne.
Cependant, si nous voulons que l’Europe ait un sens, qu’elle ait une âme, qu’elle se forge des valeurs communes, nos deux pays, nos deux peuples, doivent et peuvent y contribuer, en mettant en commun l’héritage que nous ont laissé nos poètes, nos écrivains, nos musiciens, nos universitaires, pour qui, souvent, il n’y avait, dans un passé plus lointain, ni frontières, ni barrières. C’est dans le patrimoine commun qu’ils nous ont légué que nous devons puiser la substance qui doit nous permettre d’imprégner l’Europe de notre esprit.
Sénat et Bundesrat peuvent et doivent ensemble s’atteler à cette tâche et faire en sorte que le Traité de l’Elysée, loin d’être une réminiscence historique, reste un acte prémonitoire, toujours d’actualité. En nous exprimant ainsi, nous ne pensons pas qu’à notre relation bilatérale et à notre amitié : nous agissons, j’en suis convaincu, dans l’intérêt de l’Union européenne qui, grâce à nos initiatives communes, avancera dans le respect de l’esprit de ses fondateurs.