Lundi 22 Avril 2019  
 

N°124 - Quatrième trimestre 2018

La lettre diplometque
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Défense de l’Europe et coopération Franco-britannique

Sans une étroite coopération franco-britannique, il ne saurait y avoir de défense européenne crédible. Chacun, de part et d'autre de la Manche, en est désormais persuadé. Le Président Chirac n'a-t-il pas déclaré lors du récent sommet franco-britannique de Londres, le 24 novembre 2003, qu’il s'agirait d'une  "Europe amputée". Depuis leur sommet de Saint-Malo, en décembre 1998, les deux pays ont décidé d'avancer dans cette direction, ce qui n'a pas été facile, tant Londres et Paris exprimaient des points de vue divergents quant à la manière de concevoir cette défense et principalement son articulation avec l’OTAN. Pour la Grande-Bretagne, cette dernière restait la pierre de touche de la défense européenne et tout effort européen devait obligatoirement s'y insérer afin d'éviter toute duplication, inutile et coûteuse. La France qui s'était rapprochée de l'organisation atlantique depuis 1995 défendait pour sa part l'émergence d'une capacité autonome de défense afin de donner une substance réelle à la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD).
Les discussions poursuivies à la Convention européenne sur l'élaboration d'une Constitution, comme les intenses réflexions et consultations qui ont accompagné le conflit irakien ont permis d'accélérer les choses en cette matière particulièrement délicate, mettant en cause de puissants intérêts ou des perceptions différentes en matière de sécurité et de défense entre pays européens et entre alliés atlantiques. Le 29 avril 2003, les chefs d'Etat et de gouvernement français, allemand, belge et luxembourgeois, réunis à Bruxelles, ont demandé des "capacités militaires renforcées pour l'Europe". Parmi leurs propositions, la plus novatrice portait sur la mise en place, dès l'été 2004, à Tervuren, dans la banlieue de Bruxelles, d'un "noyau de capacité collective de planification" qui ne serait autre qu'un quartier général européen, indépendant de celui de l'OTAN, le Shape siégeant à Mons. Pour ses initiateurs, cet embryon d'état-major européen devait être ouvert à tous les pays membres acceptant de contribuer et de participer à des opérations militaires sans recours aux capacités de l'OTAN. Dans le même temps, les quatre pays soutenaient, dans le cadre de la future Constitution européenne, l'institution de "coopérations renforcées" en matière de défense, qui permettraient à un petit groupe de pays dénommés "pionniers" par le Président français, de lancer des initiatives en matière de défense, sans obliger les autres pays membres de l'Union à y participer. Sans remettre en cause les récents progrès européens en ce domaine (Opération Artémis menée au Congo –RDC- de la mi-mai au début septembre à Bunia dans la province de l'Ituri, opération menée par l'Union sans le support opérationnel de l'OTAN), Londres refusait toujours que l'Europe se dotât d'outils militaires concurrents de ceux de l'OTAN. "Compte-tenu du coût et du risque de duplication d'une structure permanente, la Grande-Bretagne n'approuvera pas l'idée d'un quartier général séparé de l'OTAN pour diriger les opérations autonomes de l'Union", indiquait le Livre blanc sur la défense adopté au printemps. Londres proposait au contraire de ne créer qu'une "cellule de planification européenne" intégrée au Shape, cellule aux contours imprécis dont il convenait de savoir s'il s'agissait d'une solution exclusive de celle de la France, de l'Allemagne, de la Belgique et du Luxembourg, auquel cas elle serait pour eux inacceptable, ou s'il s'agissait d'un complément à leur projet ce qui la rendait négociable. Au cours des mois suivants, le dossier évolua plutôt en direction d'une défense européenne propre, Londres, afin de ne pas bloquer les travaux de la Conférence intergouvernementale (CIG), se rapprocha des vues française et allemande. Lors de la rencontre tripartite de Berlin du 20 septembre2003, (Jacques Chirac, Gerhard Schröder, Tony Blair), le Premier ministre britannique accepta en effet l'idée de mettre en place au sein de l'Union des "coopérations structurées" en matière de défense telles qu'elles sont décrites dans le projet de Constitution élaboré par Valéry Giscard d'Estaing, ce qui ouvrait la voie à un quartier général européen indépendant de l'OTAN, projet qui suscitait une profonde hostilité des Américains. Un document de travail agréé au plus haut niveau convenait que “l'Union européenne doit être pourvue d'une capacité commune à planifier et à conduire des opérations sans avoir recours aux capacités et aux moyens de l'OTAN”. Cette avancée conceptuelle demandait cependant à être traduite dans les faits. Les Américains y voyaient une sérieuse menace contre l'OTAN et s'y opposaient avec fermeté. Ce n'était aussi un secret pour personne que les hauts fonctionnaires des Ministères des Affaires étrangères et de la Défense, et l'état-major britannique n'étaient guère favorables à cette proposition. Aussi convenait-il dans ce domaine d'agir avec prudence en ménageant les différentes susceptibilités. Lors du sommet franco-britannique du 24 novembre 2003, un progrès réel a été enregistré. Jacques Chirac a exclu que “l'Europe de la défense puisse être bâtie en excluant la Grande-Bretagne”. Il a replacé, au surplus, celle-ci dans le cadre atlantique : "notre conception de la défense européenne ne saurait en aucun cas être en contradiction avec l'OTAN". Pour le Président français, "l'OTAN est au cœur de notre système de défense et on ne peut attaquer son cœur". Lui répondant, le Premier ministre britannique a jugé "parfaitement sensé que nous soyons capables d'agir (au sein de l'UE) lorsque l'OTAN ne souhaite pas le faire". Ces dispositions auront l'occasion de se vérifier rapidement. Après avoir déployé une force de police en Bosnie, pris la relève de l'OTAN dans une petite opération militaire en Macédoine où ils ont eu recours aux moyens mis à la disposition par l'Alliance, et avoir conduit une intervention armée à Bunia, les Européens passeront à la vitesse supérieure en mobilisant plusieurs milliers d'hommes en Bosnie en 2004. Par la suite, en marge de la réunion des Ministres des Affaires étrangères de Naples dans le cadre de la CIG, le 28 novembre 2003, Français, Britanniques et Allemands se sont mis d'accord sur un texte parlant simplement de la création d'une "capacité de planification et de conduite des opérations" militaires européennes. Un compromis a donc émergé autour des lignes suivantes : la cellule de planification à Shape, de temporaire, devrait devenir permanente, pour les opérations de l'Union conduites avec les moyens de l'OTAN. En échange, puisqu'il n'est plus question de "quartier général" à Tervuren, l'état-major dont dispose l'Union, avec 130 officiers, situé avenue de Cortenberg à Bruxelles, sera étoffé et devrait revêtir une "capacité opérationnelle". La notion de quartier général se trouve ainsi brouillée car cette instance, outre qu'elle s'occupera des opérations militaires autonomes, sera chargée de la gestion civile des crises. L'éventail des opérations de protection civile apparaît fort large : secours en cas d'inondation en Europe de l'est par exemple, opérations de police, comme celle qui se déroule actuellement en Bosnie, jusqu'à des opérations purement militaires, à l'exemple de l'opération Artémis à Bunia. Ce compromis a été qualifié par les observateurs comme une percée importante pour la défense européenne et une affirmation d'indépendance nouvelle de la Grande-Bretagne par rapport au lien transatlantique, ce qui n'a pas manqué de donner lieu à d'intenses consultations au sein de l'OTAN. En tout cas, l'Europe de la défense est bel et bien en train d'émerger, un fait qu'il conviendra, s'il était confirmé, de qualifier d'historique. Pierre Beaumont
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