Lundi 22 Avril 2019  
 

N°124 - Quatrième trimestre 2018

La lettre diplometque
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L’esprit de l’Entente cordiale en 2004

Par M. Jean-Léonce Dupont, Sénateur, Président du Groupe sénatorial France-Royaume-Uni

Pour les relations franco-britanniques, le printemps 2004 sera celui des célébrations, des  commémorations : centenaire de l’Entente cordiale début avril, dixième anniversaire de l’ouverture du tunnel sous la Manche le 6 mai, soixantième  anniversaire du débarquement un mois plus tard.
De ces trois évènements, on peut penser que le dernier sera empreint d’une particulière émotion – restera-t-il beaucoup de vétérans dans dix ans ? On peut gager que les dix bougies du tunnel sous la Manche seront fêtées par le monde de l’économie et du tourisme ; il est plus difficile de dire aujourd’hui comment sera perçu le centenaire de l’Entente cordiale…
Il devrait certes, pour reprendre le mot de Tony Blair, être « célébré en fanfare ». Selon le calendrier officiel, la Reine Elisabeth II et le prince Philip effectueront une visite d’Etat du 5 au 7 avril (la reine reviendra en juin pour le soixantième anniversaire du débarquement), et le Président Chirac effectuera, en retour, à l’automne, une visite au Royaume-Uni. Des manifestations de dimension et de nature très différentes sont par ailleurs prévues dans les sphères économique, sociale, sportive ou culturelle.
Cependant, le conflit irakien a mis à rude épreuve les rapports entre nos deux pays : pour la première fois depuis cent ans, ils ne se sont pas trouvés côte à côte dans une grave crise internationale. Il est permis dans ce contexte – plus apaisé il est vrai aujourd’hui – de s’interroger sur la portée que pourra avoir le centenaire de l’Entente cordiale, évènement qui fournit l’occasion de s’intéresser, de manière plus générale, à l’état actuel des relations franco-britanniques.
En cent ans, le contexte dans lesquelles celles-ci s’inscrivent a radicalement changé. Tout d’abord, la France et le Royaume-Uni ne sont plus en état de prétendre au titre de première puissance mondiale, alors que cet élément comptait encore il y a un siècle. L’Entente cordiale a réglé un contentieux colonial, au Maroc et en Egypte notamment, qui empoisonnait les relations entre nos deux pays, mais elle visait aussi à répondre à une inquiétude partagée quant à la montée de la puissance allemande, sur le plan industriel et maritime.
Ensuite, la construction européenne, conçue pour éviter les divisions du Vieux Continent et leurs lendemains fratricides, a totalement modifié la donne. Les ententes, les alliances, les coalitions au sein de l’ensemble européen, qui étaient autrefois de pratique courante, sont aujourd’hui contraires à sa philosophie. Scellées entre certains, elles peuvent signifier aussi la défiance envers d’autres, et peuvent ainsi porter en elles la fracture. Dans une famille, peut-il y avoir des « couples » ? On parle du « couple franco-allemand », avec l’ombre portée des pères fondateurs, De Gaulle et Adenauer, qui oblige ; peut-on parler d’un « couple franco-britannique » ?
Le Royaume-Uni n’est sans doute pas de ceux qui se lient le plus facilement – une singularité qu’il tient de son insularité ? Et il a d’autant plus de mal à le faire au sein de l’Europe qu’il est parfois vis-à-vis de celle-ci dans une inconfortable position de « in and out ». A cela s’ajoute sa « relation spéciale » avec les Etats-Unis, qui réduit  sa marge de manœuvre.
Nos deux pays n’ont pas la même réaction face à l’hégémonie américaine. La crise irakienne vient d’en offrir le meilleur exemple ; par ailleurs, l’attachement du Royaume-Uni à l’Alliance Atlantique est plus fort que le nôtre. Saluons à cette occasion la récente adhésion de la Grande-Bretagne au projet de QG européen autonome dans le cadre de l’Europe de la défense. C’est un pas très important.
Certains ne s’appuient que sur la nature de leurs rapports respectifs avec les Etats-Unis pour qualifier les relations entre la France et le Royaume-Uni. La question a, certes, son importance. Mais, outre que les divergences en la matière ne concernent pas uniquement nos deux pays, elles font oublier les liens privilégiés et les points essentiels de convergence qui sont aussi la réalité concrète des relations franco-britanniques.
Coopération active dans bien des domaines, relations économiques denses et contacts politiques rythmés par des sommets bilatéraux, telle est cette réalité, la réalité du « couple franco-britannique ». Le dossier de la défense européenne a été ouvert sur une initiative conjointe de nos deux pays (sommet de Saint-Malo en 1998 ), leur coopération en Afrique relancée, leur lutte contre l’immigration clandestine transmanche intensifiée. Au sein de l’Europe, la Grande-Bretagne joue, comme la France, dans la « cour des grands ». Par ailleurs, le fait qu’elles siègent toutes les deux comme membres permanents au Conseil de sécurité de l’ONU accentue leur proximité. Enfin, n’oublions pas que  les contacts entre nos deux peuples sont extrêmement fréquents. Quelque neuf millions de touristes britanniques viennent en France chaque année, de très nombreux français travaillent dans la région londonienne, et la plupart de nos villes et même de nos villages sont jumelés. En bref, nos pays sont proches et ont besoin l’un de l’autre.
A l’heure du centenaire de l’Entente cordiale, quelle doit être l’ambition pour les relations franco-britanniques ?
Il ne faut tout d’abord nourrir aucun complexe vis-à-vis du passé : l’histoire des  relations entre Français et Britanniques est jalonnée de hauts et de bas, et à la veille du traité de l’Entente cordiale, ces relations étaient tendues, y compris au sein des opinions publiques. Nos rapports avec le Royaume-Uni sont meilleurs aujourd’hui qu’à l’époque. Et chacun sait que l’adjectif « cordial » (qui vient du cœur) fait l’objet d’une utilisation abusive en diplomatie : dans les alliances entre pays, la raison et l’intérêt bien compris ont toujours prévalu sur le cœur. L’ Entente cordiale fut négociée pendant de longues années, et on doit sans doute à la francophilie d’Edouard VII et à la détermination de Delcassé que les négociations conduites par l’Ambassadeur de France, Paul Cambon, et le Secrétaire d’Etat au Foreign Office, Lord Lansdowne,  aient abouti.
Le mot « entente » renvoie au « fait de s’accorder ». Mais il a un sens premier, certes un peu vieilli, qui est celui de « connaissance approfondie ». C’est une dimension à laquelle le groupe sénatorial France-Royaume-Uni que j’ai l’honneur de présider participe. Composé d’une trentaine de membres, notre groupe qui, comme les autres groupes similaires du Sénat, poursuit l’objectif de contribuer à renforcer, par le biais de la coopération interparlementaire, le rôle culturel, économique et politique de la France à l’étranger, est aussi un relais d’information et d’amitié. Il est partie prenante dans l’édifice institutionnel qui œuvre au développement de relations de coopération amicales entre la France et le Royaume-Uni, à leur « bonne entente ». Travailler à une meilleure compréhension entre voisins est un des buts de notre groupe qui convie régulièrement l’Ambassadeur de Grande- Bretagne pour évoquer les dossiers du moment, et qui, au-delà de l’actualité immédiate, s’intéresse à certains sujets particuliers, comme le système de la dévolution, qu’il doit aller étudier sur place en 2004 et qui ne peut laisser indifférent une assemblée comme le Sénat  particulièrement concernée par le dossier de la décentralisation.
A l’issue du 26ème sommet franco-britannique, à Londres fin novembre 2003, Jacques Chirac et Tony Blair ont affirmé leur intention de faire de 2004 « l’année de la confiance cordiale ». Donner du contenu au langage diplomatique, dépasser le simple « wishfull thinking » et raffermir le « couple franco-britannique »,  ce faisant, ancrer davantage le Royaume-Uni dans l’Europe, tel est le vœu que l’on peut former à l’heure des préparatifs du centenaire de l’Entente cordiale.

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