Lundi 22 Avril 2019  
 

N°124 - Quatrième trimestre 2018

La lettre diplometque
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     Djibouti
 

Djibouti : En quête d’un avenir tourné vers le monde

Situé à l’extrême pointe de la Corne de l’Afrique, face au détroit de Bab El-Mandeb, porte de la Mer Rouge, Djibouti a bâti sa stratégie de développement sur son avantageuse position géographique, à la croisée des routes maritimes les plus importantes du commerce de matières premières. Délaissée au lendemain de la guerre froide, sa valeur géostratégique est revenue sur le devant de la scène régionale et internationale depuis les attentats du 11 septembre 2001. Pour la coalition anti-terroriste internationale, Djibouti est en effet devenue un précieux poste d’observation pour les trafics en tout genre qui s’écoulent d’une rive à l’autre du Golfe d’Aden, mais aussi pour les mouvements des réseaux terroristes liés à Al Qaïda, encore en activité selon les autorités américaines dans la Corne de l’Afrique et au sud de la péninsule arabique.

Au carrefour de quatre mondes

La stratégie de développement du Président Ismaël Omar Guelleh, élu en avril 1999, s’efforce d’exploiter au mieux cet avantage géographique, au carrefour de l’Afrique orientale, de la Méditerranée (reliée à la Mer Rouge par le canal de Suez), du Moyen-Orient et de l’Asie du Sud. Misant sur le développement des activités du port de Djibouti, véritable poumon économique du pays (80% du PIB), celle-ci vise à faire de Djibouti la plate-forme du commerce régional et, plus encore, des échanges entre l’Afrique orientale et l’Asie. L’éclatement du conflit entre l’Ethiopie et l’Erythrée en 1998, lui avait déjà insufflé un nouveau dynamisme : n’ayant plus de débouché sur le port érythréen d’Assab, Addis-Abeba a dérouté son commerce extérieur sur Djibouti, soit près de 3,5 millions de tonnes de marchandises, représentant 50% de son trafic portuaire contre 20% de son propre import-export et 30% du trafic de transbordement1.  Cet ambitieux projet qui suppose encore la réhabilitation et l’accroissement des infrastructures de communication, laisse néanmoins entrevoir les retombés économiques d’un hinterland de plus de 80 millions d’habitants (64 millions pour la seule Ethiopie). De ce point de vue, Djibouti s’est d’ailleurs fait un des plus fervents promoteurs de la zone de libre-échange qui se construit dans le cadre du COMESA, mais aussi de la stabilisation de cette région accablée par les guerres récurrentes, de par sa participation active comme médiateur de la paix.
Face à la forte concurrence directe des ports d’Assab, de Berbera, de Nairobi et d’Aden, les autorités djiboutiennes se sont donc activement afférées à renforcer les capacités portuaires du pays. Le programme de privatisation du port de Djibouti, engagé dès 1999, s’est concrétisé en mai 2000, au profit de la Dubaï Authority Port. Alors que les premières opérations se sont concentrées dans l’informatisation et la formation, les fruits de la privatisation ont commencé à se faire sentir dès la fin 2001. Après trois années consécutives de baisse et malgré une relative stagnation du trafic total, le port a alors enregistré, une hausse du trafic conteneurisé (22,8%) et de transbordement (22,6%)2.  Le gouvernement djiboutien a en outre confié à la même Dubaï Authority Port, pour un contrat d’un montant de 30 millions de dollars, la construction d’un second port à Doraleh qui a débuté le 10 juin 2003.

Une économie en manque de partenaires privés
Ces deux exemples de privatisation illustrent le rôle crucial que doit occuper le secteur privé dans le décollage économique de Djibouti dans un contexte où l’investissement public reste limité. Après une conjoncture économique plutôt atone en 2002 avec 1,6% de croissance, l’année 2003 semble être abordée avec plus d’optimisme par le Premier ministre djiboutien, M. Dileita Mohamed Dileita, qui a estimé que le taux de croissance pour 2003 atteindrait 3,1%, résultat pour l’essentiel des bonnes performances du port (hausse de 58% du trafic de marchandises) et de l’aéroport de Djibouti, dont la gestion a aussi été confiée à la Dubaï Authority Port3.  Si le plan d’assainissement établi sous l’égide du FMI s’est révélé payant avec une baisse du déficit budgétaire s’établissant à 1,4% du PIB, le programme de privatisation semble toutefois marquer une pause, l’ouverture à des capitaux privés de l’entreprise publique d’électricité, (EDD), de celle du service d’eau de la ville de Djibouti et des deux compagnies nationales de télécommunications étant encore en suspend. En outre, bien que Djibouti offre un des cadres économiques les plus libéraux du continent africain, l’investisseur privé se trouve confronté à l’octroi de crédits limités sur le court terme, mais aussi aux problèmes de corruption. Aussi, les flux d’investissements étrangers connaissent encore une progression trop lente, passant de 6,4% à 6,8% du PIB entre 2001 et 2002, au regard des opportunités mais aussi des nécessités du territoire djiboutien.
Disposant de peu de ressources naturelles, le pays est contraint d’importer produits agricoles et énergétiques (notamment de pétrole, via Total). Ses énormes ressources en sel, exploitées depuis toujours par les caravaniers affars, mais aussi ses ressources en eau et en produits halieutiques constituent pourtant des sources de revenus et d’emplois encore peu mises en valeur, sans compter son potentiel touristique. Fortement dépendant de l’Arabie saoudite pour sa production d’électricité, le territoire djiboutien dispose pourtant d’un atout à mettre au profit de sa production énergétique. La zone du Lac Assal-Goubet, situé au cœur du point de rencontre de trois rifts mondiaux où l'écorce terrestre n'excède pas 5 km d'épaisseur (contre plusieurs dizaines normalement), n’est pas seulement une curiosité pour les géologues, mais recèle en effet une formidable source d’exploitation d’énergie géothermique. La compagnie américaine Geothermal Developpement Associates (GDA) a ainsi réalisé dès 2000 une étude de faisabilité pour l’installation d’une centrale géothermique de 30MW dans la région d’Assal, à 100 km de la capitale. Evalué à 85 millions de dollars, ce projet, qui attend encore des soutiens financiers, pourrait permettre de satisfaire les besoins en électricité du pays.

Une diplomatie active
Cette stratégie de développement s’est doublée d’une forte activité diplomatique conduite par le Président Ismaël Omar Guelleh qui s’est attaché à relancer la coopération avec des partenaires traditionnels. L’important partenariat engagé avec les Emirats arabes unis en constitue à cet égard un bon exemple. La coopération avec la Chine, avec qui Djibouti entretient des relations diplomatiques depuis son indépendance, en illustre un autre. Deux ans après la visite du chef de l’Etat djiboutien à Pékin, celle-ci a accordé à Djibouti Télécom un prêt de 12 millions de dollars pour le développement et la modernisation de son réseau national de télécommunications, dont la société chinoise Zhongxig est le maître d’œuvre. Avec l’Inde, un partenariat inédit a en revanche été inauguré par la conclusion d’un accord de coopération dans les domaines de l’éducation, l’aviation civile, la promotion et la protection des investissements bilatéraux, comprenant également un programme d’échange culturel et l’octroi d’un crédit de 10 millions de dollars. Si l’on prend en compte l’intérêt croissant du Japon pour Djibouti, le renforcement des liens avec les pays asiatiques représente dès lors un important volet de la politique de développement élaborée par les autorités djiboutiennes.
Les relations qu’entretient Djibouti avec son plus important partenaire politique et commercial, la France, ont en outre été renforcées à l’occasion de la visite officielle du Président Ismaël Omar Guelleh à Paris en octobre 2002. Scellant des retrouvailles après quelques années de tension, elle a été l’occasion de relancer la coopération, mais au profit de la formation, et non de l’assistance technique de substitution, dans les domaines de l’éducation et de la santé. Au cours de cette visite, le Président Ismaël Omar Guelleh a pu en outre rencontrer des membres du MEDEF et du CIAN4, permettant d’explorer les voies possibles pour ranimer des échanges commerciaux qui ont marqué un certain recul en 2002, en raison d’un marché local peu dynamique. Même si leur montant est resté stable (50 millions d’euros) et dégage un excédent de même grandeur que celui réalisé avec le Soudan, leur affaiblissement s’explique par le non-renouvellement des performances réalisées par les ventes de biens d’équipement, suffisant à expliquer la baisse globale des exportations françaises (-12%). Après le contrat réalisé en 2001 par Alcatel pour la livraison de matériel de communication, ceux-ci ont donc chuté de 50%, malgré une forte progression des matériels hydrauliques. La France demeure toutefois son premier partenaire commercial et son plus important bailleur de fonds, et détient en pratique 22% de part de marché à Djibouti (si l’on tient compte de la destination quasi exclusive des exportations françaises sur le marché local)5.  
Les relations franco-djiboutiennes ont par ailleurs été réévaluées sur le plan de la coopération militaire et de la révision des accords de défense, datant de 1977 et en vertu desquels la France entretient à Djibouti 2 800 hommes, soit le plus fort contingent français à l’étranger et la seconde base de l’ancrage militaire de la France dans l’Océan indien.  La signature en août 2003 d’une convention portant sur le statut de la situation financière et fiscale des Forces françaises de Djibouti (FFDJ) a ainsi permis de compenser la baisse progressive de leurs effectifs. L’arrivée de quelque 1 500 soldats américains qui s’est accompagné d’une promesse d’aide de 24 millions de dollars a d’ailleurs relancé la polémique concernant les effets négatifs de la rente militaire. Son influence économique demeure en effet primordiale pour l’économie djiboutienne. L’état-major des FFDJ évalue celle-ci à 130 millions d’euros (en tenant compte également de l’activité générée par les familles de quelques 2 800 soldats), soit environ 25% du PIB et l’équivalent de 65% de son budget6,  ce à quoi il faut ajouter les importants programmes de coopération technique et de formation auxquels participent les militaires français. Les efforts marqués de Djibouti pour devenir une plaque tournante du commerce régional ainsi que pour nouer de nouvelles formes de coopération lui ouvre néanmoins les voies pour promouvoir un développement dépassant les seules ressources de la rente militaire.

1 – Le Figaro, Adrien Jaulmes, « Djibouti, poussière d’empire », 12/02/03.
2 – CNUCED, Réformes et place du secteur privé dans les ports africains, Rapport du Secrétariat de la CNUCED, UNCTAD/SDTE/TBL/5.
3 – Le Journal La Nation, « Ouverture de la session budgétaire », 24/11/03.
4 – CIAN : Conseil français des Investisseurs en Afrique
5 – Miche Drobniak, Mission économique d’Addis-Abeba, MINEFI-DREE/TRESOR, « Les échanges commerciaux France-Djibouti au 1er semestre 2002, 6/11/02.
6 – Afrique-express.com, n°257, 17/10/02.    
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