« Le processus d’intégration européenne de l’Arménie est désormais bien engagé »
Entretien avec S.E.M. Christian Ter Stépanian, Ambassadeur, Représentant Permanent de l’Arménie auprès du Conseil de l’Europe
La Lettre Diplomatique : Monsieur l’Ambassadeur, l’Arménie est membre du Conseil de l’Europe depuis le 25 janvier 2001. Comment son adhésion à cette institution européenne s’est elle déroulée ?
S.E.M. Christian Ter Stépanian : Il faut dire, en premier lieu, que, depuis l’accession de l’Arménie à son indépendance en 1991, les autorités arméniennes ont toutes fait le choix de l’ancrage de l’Arménie en Europe. La demande d’adhésion au Conseil de l’Europe a été soutenue par l’ensemble des forces politiques arméniennes, traduisant ainsi le consensus existant pour édifier une société fondée sur les valeurs de la société européenne.
En ce qui concerne le processus d’adhésion, il a traversé plusieurs phases. La première aura certainement été la plus déterminante ; elle aura été marquée par le débat qui a animé le Conseil de l’Europe en 1993 et 1994 sur la détermination des limites de l’Europe ; un débat, d’une étonnante actualité, qui a statué sur l’appartenance des pays du Caucase du Sud à l’Europe et leur a ouvert les perspectives de l’adhésion au Conseil de l’Europe.
Une fois établie la vocation à devenir membre de cette organisation, il fallut passer les différentes étapes de la procédure. L’Arménie fut le premier pays du Caucase du Sud à obtenir le statut d’invité spécial à l’Assemblée parlementaire en 1996, donnant ainsi aux parlementaires arméniens la possibilité de participer aux travaux de l’Assemblée. Après le dépôt officiel de sa demande d’adhésion en mars 1996, la candidature arménienne suivit le cours naturel des procédures d’adhésion ; celle-ci est devenue effective en janvier 2001 après que l’Arménie, comme tout nouvel Etat membre, se soit engagée à remplir des obligations en matière de démocratie, d’Etat de droit et de droits de l’homme. Dans ce contexte, notons que l’existence du conflit du Haut-Karabakh incita le Conseil de l’Europe à soutenir le principe de l’adhésion simultanée de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan à l’Organisation.
L.L.D. : Organisation représentant par excellence la « Grande Europe », le Conseil de l’Europe a été créé en 1949 pour promouvoir les valeurs démocratiques, l’Etat de droit et les droits de l’homme. Comment décririez-vous les avancées réalisées par votre pays dans ces domaines, tant sur le plan politique et juridique que sur celui des mentalités ? Quel a été l’apport de ce point de vue de votre appartenance au Conseil de l’Europe ?
S.E.M.C.T.S. : Nous mesurons aujourd’hui le chemin que l’Arménie a parcouru depuis son adhésion : de l’abolition de la peine de mort au renforcement des mécanismes de protection des droits de l’homme, en passant par les progrès réalisés dans le fonctionnement des institutions démocratiques et la mise de la législation arménienne aux normes européennes.
L’adhésion aux conventions européennes les plus importantes parmi lesquelles la Convention européenne des droits de l’Homme, la Charte sociale européenne, la Convention pour la prévention contre la torture, la Charte européenne pour l’autonomie locale, pour ne citer qu’elles, et les mécanismes de suivi dont la plupart sont dotées, aura concouru à cette harmonisation avec les standards européens. Désormais, les citoyens arméniens peuvent, en dernier recours, faire appel à la Cour européenne des droits de l’homme pour faire prévaloir leurs droits.
Il va de soi que rien n’aurait été possible sans la volonté politique d’engager la société arménienne sur la voie des réformes ; disons également que cela a pu se réaliser grâce à la coopération que nous avons établie avec le Conseil de l’Europe.
A l’évidence, l’enracinement de ces réformes, la mise en œuvre des nouvelles législations ainsi que le changement des mentalités font partie d’un processus qui s’inscrit dans le temps.
Je dirai que, six ans après l’adhésion, nous avons posé les fondements démocratiques des transformations futures de la société arménienne ; la base législative de l’Etat de droit et les mécanismes de protection des droits de l’homme existent dans le pays. Il s’agit donc là d’un bilan fort appréciable.
Mais, notre appartenance au Conseil de l’Europe aura également permis à l’Arménie de prendre toute sa place dans la coopération européenne intergouvernementale et d’y apporter sa contribution ; à titre d’exemples, l’Arménie aura ainsi accueilli en octobre 2006 la Conférence des Ministres européens de la Justice ; elle organisera en 2010 le Forum pour l’Avenir de la Démocratie. Elle aura aussi donné la possibilité aux fonctionnaires, parlementaires, élus et acteurs de la société civile de participer aux débats sur les grands problèmes de la société européenne et d’examiner avec les représentants des 46 autres Etats membres les réponses à ces défis.
Tout cela pour mieux souligner l’importance du rôle joué par le Conseil de l’Europe dans le processus d’intégration européenne de l’Arménie.
L.L.D. : Le Conseil de l’Europe fait également figure de forum d’échanges et de discussions. Quelles opportunités marquantes avez-vous rencontré pour accroître le dialogue avec les autres pays membres du Conseil et notamment l’Azerbaïdjan ?
S.E.M.C.T.S. : Forum d’échanges et de discussions, certainement, mais le Conseil de l’Europe constitue également le cadre de la coopération intergouvernementale à l’échelle de la Grande Europe.
Il offre aussi l’opportunité de nouer des coopérations à dimension régionale ; de tels programmes de coopération incluant l’Arménie et l’Azerbaïdjan existent dans les domaines aussi divers que la coopération culturelle et l’éducation. L’Arménie s’est toujours montrée ouverte au développement d’une telle coopération régionale ; nous estimons que ce sont là des cadres de dialogue et d’échanges utiles susceptibles de favoriser la compréhension mutuelle et un climat de confiance. Les initiatives prises par le Conseil de l’Europe ont donc le mérite d’exister même si dans la réalité, l’opposition de l’Azerbaïdjan à toute forme de coopération avec l’Arménie montre les limites de l’impact de ces activités.
L.L.D : Au regard de sa participation active aux travaux du Conseil de l’Europe, comment qualifieriez-vous les perspectives d’adhésion de l’Arménie à l’Union européenne ?
S.E.M.C.T.S. : Il est sûr que l’Arménie, en concentrant ses efforts en vue d’aligner sa législation sur les normes européennes et de réaliser les réformes en matière de démocratie, d’Etat de droit et de droits de l’homme, tend à satisfaire les critères politiques de Copenhague posés comme l’une des conditions à l’adhésion à l’Union européenne. Du reste, la politique européenne de voisinage, ce nouvel instrument mis en place par l’Union européenne pour développer les relations avec ses pays voisins, à laquelle participe l’Arménie, repose sur des plans d’action qui, dans le cas des pays européens comme l’Arménie, font le plus souvent référence aux standards du Conseil de l’Europe.
Je crois, en outre, que l’appartenance de l’Arménie à l’Europe ne se discute pas et qu’elle a tout à fait vocation à devenir membre de l’Union européenne.
Mais, les perspectives d’adhésion à l’Union européenne ne sauraient être seulement déterminées par la participation au Conseil de l’Europe et l’adoption d’un modèle de société démocratique. Elles dépendent aussi d’une toute autre série de facteurs liés, tout à la fois, à la capacité de l’Etat candidat à remplir d’autres critères importants, notamment économique, au développement propre de l’Union européenne et à la conjoncture régionale et internationale. Pour répondre à votre question, j’affirmerai volontiers que le processus d’intégration européenne de l’Arménie est désormais bien engagé et qu’il ira de l’avant.