Une immense joie remplie d’espoir et de fierté animait Mikhaïl Pogossian ce 26 septembre 2007 tandis qu’en qualité de président de la firme aéronautique Sukhoi, il présentait pour la première fois, lors d’une cérémonie historique et en présence du Vice-Premier ministre russe Sergueï Ivanov, le prototype du Superjet 100, son nouvel avion régional dans l’usine d’assemblage KnAAPO de Komsomolsk-sur-Amour en Sibérie.
L’ambitieux projet porté par Sukhoi, surtout connu pour ses avions militaires, s’appuie sur le développement d’une famille d’avions de transport régional déclinée en deux modèles de 75 et 95 passagers accompagnée d’une version à long rayon d’action pour chacun d’eux. Le premier affiche une distance franchissable qui se situe entre 2900 et 4550 km pour la version LR, avec 75 passagers dans une configuration mono ou bi-classe. Le second peut transporter 95 passagers sur une distance comprise entre 2950 et 4420 km (version LR) dans un aménagement similaire au premier. Le Superjet 100 doit son avance technologique à sa conception ultra-moderne sur la base de blocs modulaires qui faciliteront grandement les cadences de sa production. L’ensemble fait appel à une sélection d’équipements communs aux différentes versions très poussée (environ 95% des éléments). Identique sur les deux modèles, le budget de formation des équipages s’en trouve considérablement réduit pour une compagnie aérienne utilisant une même famille d’avions. Tout en conservant la structure initiale existante, l’extension ultérieure à une version pouvant accueillir jusqu’à 110 sièges n’est pas exclue.
Avec pour objectifs majeurs : la baisse significative du poids (réalisée principalement grâce à l’usage des matériaux composites), la réduction des coûts opérationnels et de maintenance ainsi qu’une réduction de 10% de la consommation de carburant par rapport à la concurrence, Sukhoi a dû avoir recours aux technologies les plus novatrices. Elles ont été puisées aussi bien dans ses propres compétences et celles de l’industrie aéronautique russe qu’auprès de partenaires étrangers de référence ayant rejoint le projet.
Le Superjet 100 s’appuie en effet sur une stratégie de coopération menée avec une série de partenaires russes et étrangers participant à son élaboration technique et industrielle. Au plan local, ce sont les bureaux d’études d’Iliouchine et de Yakovlev qui ont été étroitement associés à sa conception. Power Jet, joint venture entre la firme russe NPO Saturn et le motoriste français Snecma (groupe Safran) assure pour sa part le développement et la mise au point du moteur à réaction SaM 146. Thales, la firme multi-domestique française fournit de son côté la suite avionique et les simulateurs de vol. Liebherr Aerospace s’occupe des systèmes de conditionnement et de prélèvement d’air. Messier Dowty (groupe Safran) a la charge des systèmes d’atterrissage. Saint-Gobain Sully réalise les glaces de cockpit et les hublots cabine tandis qu’Intertechnique (groupe Zodiac) fournit les systèmes de gestion de carburant et les dispositifs d’évacuation d’urgence. De son côté, Boeing a été retenu en tant que consultant pour la modernisation des équipements des sites de production et potentiellement pour la conception future d’autres versions. Une centaine d’autres équipementiers européens et américains figurent au nombre des fournisseurs du Superjet 100.
C’est en France, au cours du salon de l’aéronautique et de l’espace du Bourget de juin 2007 qu’Alenia, filiale du groupe italien Finmeccanica, annonçait la signature d’un accord de prise de participation de 25% plus une action supplémentaire dans le capital de la société Sukhoi Civil Aircraft pour un montant de 250 millions de dollars. Celui-ci prévoyait également la mise en œuvre d’une société commune à Sukhoi (49%) et Alenia (51%) destinée à promouvoir commercialement et assurer le soutien client du Superjet 100. Inaugurée depuis sous le nom de Superjet International, elle s’est installée dans les locaux d’Alenia Aeronavali prés de Venise qui deviendra le centre de livraison de l’appareil. Superjet International concrétise la volonté de créer une véritable synergie marketing attribuant à la partie russe la responsabilité des marchés émergents : Chine, Inde et Moyen-Orient. Les Italiens se chargeant pour leur part de promouvoir le jet régional russe sur les marchés européen, africain, américain ainsi qu’au Japon.
Sukhoi espère pouvoir vendre entre 800 et 1200 exemplaires du Superjet 100 toutes versions confondues sur les 5000 exemplaires que les besoins du marché des avions de 70 à 100 places laisseraient apparaître à l’horizon 2025 selon son estimation. Avec un carnet de commandes totalisant plus de 70 appareils lors de sa première présentation, probablement une centaine vers la fin 2007, le premier vol du Superjet 100 est attendu à la même période après une certification de ses moteurs et la fin des essais statiques. Le seuil de rentabilité du programme se situerait autour de 300 commandes au minimum (certains avancent le nombre de 500 exemplaires) pour un prix catalogue de l’ordre de 28,3 millions de dollars.
La compagnie aérienne russe Aeroflot, s’attend à recevoir les premières livraisons de sa commande de 30 unités avant la fin 2008, tandis que la première commande d’un client européen pour une dizaine d’appareils a été enregistrée en juin 2007 au salon du Bourget pour le compte de la compagnie italienne Itali Airlines.
Il y a fort à parier au demeurant qu’à travers Sukhoi Civil Aircraft et les différents partenariats engendrés par le programme Superjet 100, la percée de l’industrie aéronautique russe sur le marché des jets régionaux, jusque là principalement tenu par les industriels brésiliens (Embraer) et Canadiens (Bombardier) soit suivi de nouveaux projets dépassant le stricte cadre des appareils moyens courrier. On évoque déjà des projets de développement de nouveaux modèles de 130, 150 et même 200 places conformes aux ambitions affichées des autorités russes d’occuper à brève échéance la troisième place dans le classement des constructeurs d’avions civils après les Etats-Unis et l’Europe.
Mais pour atteindre ces objectifs, il faudra que l’industrie aéronautique russe poursuive son effort de modernisation et intègre complètement les standards de productions employés par ses concurrents européens et américains. A l’instar des moyens mis en œuvre pour le lancement et la conduite du programme Superjet 100, le renouveau de tout le secteur aéronautique civil russe dépend en grande partie du changement des mentalités qui l’avaient conduit à une situation chaotique après la chutte de l’ex URSS et dont il commence seulement à se relever. Une situation nouvelle qui n’a été permise que grâce aux partenariats et à l’apport de fonds qui les ont accompagné. La rationalisation des méthodes de conception et de gestion de programme devront par ailleurs se généraliser pour rendre performante une industrie aux réels potentiels.
C’est la réorganisation de l’ensemble de l’appareil industriel du secteur qui est concernée dont la tâche s’effectue sous l’impulsion directe du Président Vladimir Poutine. La formation en février 2006 du Consortium aéronautique OAK regroupant les principales entités de la construction aéronautique civile et militaire de la Fédération de Russie au nombre desquelles Sukhoi, MiG, Tupolev, Yakovlev et Irkut en constitue la principale et visible mesure. Nul doute que le groupe OAK, déjà acteur de poids sur la scène intérieure russe, jouera demain un rôle déterminant sur la scène internationale. Soutenu au plus haut niveau des responsables de l’Etat, le président Poutine lui-même, ne manque pas, à l’occasion de chacune de ses tournées à l’étranger, d’en assurer directement la promotion. Non sans un certain succès si l’on en juge par les récents résultats obtenus en matière de vente d’avions militaires auprès des grands pays émergents comme la Chine, l’Inde, l’Indonésie, la Malaisie et quelques autres. Une situation qui devrait très vite profiter à l’industrie aéronautique civile de la Fédération de Russie dés lors qu’elle aura entièrement restauré l’image de fiabilité qui lui fait encore défaut. Après la dislocation de l’Ex-URSS et la quasi interruption de la production des principales usines de construction aéronautique, il devint de plus en plus difficile de trouver des pièces détachées pour assurer la maintien en conditions opérationnelles des appareils en service. Ce qui entraîna l’apparition d’un véritable marché parallèle de pièces aux origines parfois douteuses et provenant le plus souvent de « cannibalisation » d’appareils déjà vétustes. Les accidents d’avion à répétition qui s’ensuivirent furent malheureusement la conséquence immédiate et douloureuse d’une situation qu’il convient de reléguer au passé par l’adoption de nouvelles règles, normes et procédures susceptibles de conduire au retour de la confiance des usagers comme des compagnies.
Une amélioration significative tiendra donc essentiellement à la rapidité avec laquelle les restructurations industrielles seront poursuivies. Celles-ci devraient d’ailleurs entraîner sans tarder l’émergence de programmes faisant apparaître au catalogue des avionneurs russes, une gamme variée de nouveaux modèles, aptes à répondre aux exigences du marché tant en terme de fiabilité que de compétitivité.
Outre cette tendance, le contexte de redressement économique sans précédent que connaît la Russie devrait hâter un peu plus encore l’intérêt déjà manifeste des grands constructeurs d’avions tel que Boeing ou Airbus qui devraient naturellement chercher à accroître leur présence en Russie par le biais de coopérations et de partenariats renforcés.
EADS, la maison mère d’Airbus en a encore fait la démonstration pendant le dernier salon aéronautique de Moscou en août 2007. Les caractéristiques des futures versions cargos de la famille A320 (A320F et A321F) développées par le biais d’Airbus Freighter Conversion, société conjointe à laquelle participe Irkut (groupe OAK) et EADS EFW, principaux actionnaires avec Airbus, étaient présentées au cours de cette incontournable manifestation. La conversion des appareils sera effectuée aussi bien dans les installations de la société AFC à Dresde en Allemagne, à partir de 2010, que dans celles de Russie, prévues pour être opérationnelles avec un léger décalage en 2011, à Lukhovitsy, prés de Moscou. Le marché de niche que représente la transformation d’appareils monocouloir uniquement pour ce type d’avion serait estimé, selon Airbus, à près de 400 exemplaires d’ici à 2025. EADS et Airbus complètent à travers cette initiative une stratégie d’implantation gagnant/gagnant qui avait déjà conduit l’avionneur européen à créer un bureau d’études ((ECAR) avec le groupe Kaskol qui emploie près de 150 ingénieurs russes à Moscou depuis 2003.
Il y a donc tout lieu de se féliciter de la ténacité des acteurs de la filière aéronautique européens et français qui ont fait le choix de croire au Superjet 100 de Sukhoi et de solidement s’ancrer dans son programme. Une attitude qu’il y aurait matière à cultiver avec un partenaire russe qui n’aura de cesse à l’avenir de faire aboutir les projets les plus ambitieux. Qui sait si la relance d’un avion supersonique qui avait tant défrayé la chronique en son temps sur fond de véritable guerre idéologique et économique que se livraient les deux blocs par Concorde et Tupolev 144 interposés, ne sera pas le prochain défi d’une extraordinaire coopération épanouie entre russes et européens ? Hasard ou pas, Sukhoi participe aussi au projet HISAC (High Speed Aircraft) conduit par Dassault Aviation. L’entreprise française a été désignée par la Commission européenne pour coordonner ce programme de Recherche et Développement lancé en mai 2005 et destiné à étudier la faisabilité d’un supersonique de petite taille. Réunissant aujourd’hui pas moins de 37 partenaires industriels et universitaires issus d’une dizaine de pays européens, le but du projet HISAC est de parvenir à un résultat sans compromis sur le respect des normes environnementales futures liées au bruit et à la pollution. Cette perspective, au-delà du symbole, laisse augurer de belles opportunités dans un pays, la Russie, historiquement très attaché au monde de l’aéronautique et de l’espace dont il est aussi un pionnier. F.B.
Thales s’active en Russie
Présent en Russie depuis plus de trente ans, Thales s’est véritablement taillé une image de constance et de sérieux sur le marché russe. Le premier contrat signé par l’ancêtre de la société concernait à l’époque des simulateurs de vol pour les avions Ilyouchine (1976). En 2006, Thales signait à nouveau un contrat de fourniture de simulateurs pour le Sukhoi Superjet 100 (ex-RRJ). De même, était signé en 1977 un contrat portant sur la fourniture d’une avionique moderne destinée à équiper des avions de type Tupolev. Un contrat similaire a été remporté par Thales en 2006 pour l’équipement de la cabine de pilotage du Sukhoi Superjet 100, principal programme de jet régional développé par l’industrie aéronautique civile Russe. Dans le cadre d’un contrat en partenariat, Thales est désigné comme l’intégrateur et le fournisseur de l’avionique (écrans d’affichage, systèmes de communication, instruments de navigation et surveillance) qui repose sur une architecture très proche de celle conçue pour l’Airbus A380. Hormis la fourniture d’équipements électroniques divers pour avions et hélicoptères (Antonov, Sukhoi, Ilyouchine, Tupolev, MIL etc..), Thales s’active également en Russie en tant que fournisseur de systèmes de gestion et de contrôle du trafic aérien. Secteur dans lequel existe un fort potentiel de modernisations un peu partout dans le pays. Plus de 80 aéroports internationaux pourraient être concernés alors que les autorités russes de l’aviation civile ont déclarer vouloir mettre, dans les plus brefs délais, ses infrastructures aux normes internationales !
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