Dotée de gigantesques ressources énergétiques, la Fédération russe détient les premières réserves mondiales de gaz (soit un tiers environ) et les septièmes réserves prouvées de pétrole (6%). En 2006, elle a produit plus de 600 milliards de mètres cube de gaz naturel ce qui en fait de loin le premier producteur mondial, tandis qu’elle figure au troisième rang pour le pétrole, derrière l’Arabie saoudite et les Etats-Unis, avec 9,4 millions de barils par jour.
Si l’on tient compte également de ses imposantes ressources de charbon et d’uranium, qui représentent respectivement 20% et 14% des réserves mondiales, la Russie se pose comme le premier exportateur mondial d’énergie.
Un redressement économique dopé aux hydrocarbures
En l’espace d’une décennie, la manne financière générée par l’industrie des hydrocarbures a nourri la relance d’une économie au bord de la faillite. Avec la hausse des prix du pétrole, celle-ci acquière rapidement un rôle prépondérant mais au détriment de la diversification des exportations. Les ventes d’hydrocarbures et de métaux pèsent ainsi pour plus de 80% des exportations russes. Avec une taxe à hauteur de 24 dollars sur chaque baril exporté, elles rapportent plus de 40% des revenus fiscaux de l’Etat en 2005. Une telle rente permet à la Douma de présenter chaque année de larges excédents budgétaires, malgré la hausse des dépenses allouées à l’effort de défense ou aux programmes sociaux. Les surplus ont ainsi atteint 22,2 milliards de dollars en 2006, tandis que le Fonds de stabilisation dépasse désormais les 100 milliards de dollars.
En quelques années, Moscou s’acquitte d’une grande partie de sa dette extérieure qui passe de 90% à 28% du PIB. La Russie reconstitue également sa réserve de devises qui représentent désormais les troisièmes réserves du monde, derrière celles de la Chine et du Japon. Des devises qui alimentent la demande intérieure, véritable moteur de l’économie russe et qui dépend donc étroitement des exportations de pétrole et de gaz.
Pourtant la constitution de l’actuel complexe industriel énergétique n’allait pas de soi après l’effondrement de l’Union soviétique. Si la production de gaz est restée plutôt stable grâce au maintien d’un quasi monopole, la production de pétrole décline sous l’effet d’une vague de désinvestissement provoquée par la libéralisation économique accélérée des années 1990. Après le pic atteint en 1988 avec 12,5 millions de barils par jour, la production tombe à 6 millions de barils par jour en 1998.
Dix ans plus tard, la Russie est redevenue une puissance énergétique mondiale. La dévalorisation du rouble résultant de la crise financière de 1998 a eu pour effet de faire baisser les coûts d’exploitation des gisements. Parallèlement, la hausse des cours du brut s’accélère, passant de 11,80 dollars le baril à 33 dollars en 2000. Cette tendance qui n’a depuis cessé de se renforcer, offre dans un premier temps à la Russie une conjoncture favorable pour augmenter sa production sans avoir à recourir aux capitaux étrangers. La production augmente ainsi de 9% par an jusqu’en 2006 qui marque un net ralentissement du rythme d’extraction.
Le gouvernement russe initie en outre une reprise en main du secteur énergétique invitant les oligarques à réinvestire localement pour enrayer la fuite des capitaux. Surtout, il procède à une renationalisation des entreprises clé du secteur. L’épisode du groupe pétrolier Ioukos, dont le groupe Rosneft contrôlé par l’Etat a repris la majorité des actifs, fut sans doute le plus fracassant de cette nouvelle orientation. Entreprise de plus petite taille, Rossneft est également entré dans le giron public à l’été 2007.
Mais c’est avec Gazprom que l’Etat va façonner l’instrument de sa politique énergétique. Plus grande société russe avec 400 000 employés, le géant gazier est le premier producteur de gaz au monde, représentant à lui seul 25% des réserves mondiales de gaz. En juin 2005, l’Etat russe fait passer sa part dans le capital de Gazprom de 38,4% à 51%. Il consolide peu après sa position dominante dans la production gazière avec l’acquisition de Sibneft par Gazprom. De plus, la promulgation de la nouvelle loi « sur les exportations de gaz naturel » le 19 juillet 2006, place de fait l’exportation du gaz russe sous le monopole du géant gazier. Au total, sur ce secteur jugé hautement stratégique, l’Etat contrôle aujourd’hui 30% de la production pétrolière et 87% de la production de gaz.
Sécuriser les réseaux de transports des hydrocarbures
La majeure partie de la production d’hydrocarbures en Russie est aujourd’hui extraite principalement dans deux grands bassins de gisement : la Sibérie occidentale, notamment la région de Tioumen, et la zone Volga-Oural, dans la région de Samara et de la République autonome du Tatarstan. Deux tiers de la production de pétrole brut et de produits pétroliers sont exportés, dont 85% hors des pays de la CEI, tandis que ses exportations de gaz représentent un tiers de sa production.
Avec la dislocation de l’Union soviétique, Moscou va chercher à réduire les risques pouvant remettre en cause son rôle central dans le transit des hydrocarbures et dans l’approvisionnement des marchés européens. En s’assurant, d’une part, le contrôle du réseau de transport des hydrocarbures en Asie centrale. L’émergence d’anciennes républiques soviétiques comme Etats producteurs de pétrole (Kazakhstan, Azerbaïdjan) ou de gaz (Turkménistan) constitue en effet un défi pour la Russie, la zone Caspienne pouvant concurrencer ses capacités énergétiques, d’autant plus qu’elle cherche à diversifier ses débouchés comme l’illustre l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC). Mais, pour ces anciennes républiques soviétiques, le territoire russe reste encore incontournable pour l’évacuation de leurs hydrocarbures.
La Russie engage d’autre part une stratégie de contournement des zones problématiques. A partir de 1999, Transneft entreprend des travaux pour éviter le territoire tchétchène en proie à l’instabilité. Sur son flanc occidental, elle tente de diminuer le rôle pivot de la Biélorussie et de l’Ukraine, devenues indépendantes, par lesquels passent les deux principales voies d’acheminement du gaz vers l’Europe, les gazoducs Yamal et l’Eurosibérien. De par sa position géographique, l’Ukraine occupe de ce point de vue une position hautement stratégique, 80% des exportations de gaz et 40% des exportations de pétrole russes vers l'Union européenne passant par son territoire. Au nord, le pétrole russe n’est plus acheminé depuis 2006 vers le terminal letton de Ventspils, mais vers le nouveau terminal baltique de Primorsk. Le Gazoduc nord-européen (GNE), en cours de construction, illustre de la même façon cette stratégie qui vise à contourner l’Europe centrale et plus particulièrement les pays baltes.
Au cours de l’hiver 2005-2006, le différend russo-ukrainien a mis en évidence la dépendance énergétique de l’Europe à l’égard de la Russie. Tous les pays européens n’y sont certes pas sensibles dans les mêmes proportions. Si les pays d’Europe centrale et orientale puisent la majeur partie de leur approvisionnement énergétique dans les oléoducs russes, la part de l’approvisionnement en énergie russe des pays d’Europe de l’Ouest est plus contrastée : elle représente ainsi 37% pour l’Allemagne et l’Italie, et 24% pour la France.
La Russie n’en reste pas moins le premier fournisseur de gaz naturel de l’UE-27 (avec 40% des importations, soit 19% de sa consommation totale de gaz) et le deuxième fournisseur de pétrole (avec 20% des importations et 16% de la consommation totale). Et cette dépendance est appelée à se renforcer, à mesure que les gisements européens, notamment gaziers, se tarissent. De son côté, pour consolider sa position dans l’UE, Gazprom a adopté une politique d’acquisition d’actifs dans les réseaux de distribution du gaz, profitant de la libéralisation du marché gazier européen.
Des capacités de production incertaines à long terme ?
Adoptée en 2003 par le gouvernement russe, la « stratégie énergétique de la Russie à l’horizon 2020 » fixe le schéma directeur du maintien de la superpuissance énergétique russe à long terme. S’appuyant sur une perspective de croissance du PIB de 5% par an, elle table sur une production de gaz de 635 à 665 milliards de mètres cubes en 2010 et de 680 à 730 milliards de mètres cubes en 2020.
Cette stratégie suppose tout d’abord des investissements massifs dans l’exploration et la production. Depuis vingt ans, aucun nouveau gisement gazier n’a été mis en exploitation. Aujourd’hui encore, les infrastructures héritées de l’Union soviétique sont encore utilisées à 90%. Pour maintenir le niveau actuel de production d’hydrocarbures, 40 milliards de dollars par an seraient ainsi nécessaires d’ici 2015. De plus, malgré la forte hausse du prix des hydrocarbures, la production de gaz et de pétrole a tendance à stagner, ce qui conduit certains observateurs à s’interroger sur les capacités de la Russie à honorer ses engagements, d’autant que Gazprom envisage sérieusement de se tourner vers les marchés nord-américain et d’Asie-Pacifique. Arguments que les Russes réfutent à commencer par Alexeï Miller, le PDG de Gazprom, qui fait prévaloir l’intensité des travaux pour la mise en service du GNE. Celui-ci connectera en outre directement le réseau de transport gazier de Gazprom à celui de l’Europe.
En attendant les premières livraisons du GNE prévues pour 2010, les trois principaux gisements gaziers de Sibérie occidentale (Urengoy, Yamburg et Medevhze) sont en voie d’épuisement. Leur production devrait être compensée jusqu’en 2009-2010 avec l’exploitation des champs de Zapolarnoye, Pestovoye et Tarkosalinkoye. Mais au-delà de nouveaux champs devront être développés. Plusieurs options s’offrent à Gazprom dans la province de Yamal et avec le champs offshore de Chtokman dont la première phase de mise en exploitation a été confiée à l’été 2007 au groupe français Total. Son lancement nécessiterait une enveloppe globale estimée à 15 milliards de dollars pour une entrée en production à l’horizon 2013-2015. Malgré les nombreuses difficultés techniques qu’implique son exploitation, le gisement de Chtokman demeure l’un des plus prometteurs du monde, avec des réserves en gaz dépassant 3 700 milliards de mètres cube, soit 25% de la consommation européenne.
La recherche de l’efficacité énergétique
La stratégie russe fait également de l’efficacité énergétique une priorité. La Russie est en effet le troisième consommateur mondial d’énergie derrière les Etats-Unis et la Chine. Elle consomme 30% de sa production de pétrole et 60% de sa production de gaz. Pour continuer à répondre aux besoins énergétiques de l’Europe et développer ses exportations vers d’autres marchés, la Russie doit donc, outre un apport de capitaux, diminuer la consommation intérieure d’énergie et, plus particulièrement, la part de la consommation de gaz dans la production d’électricité.
Il s’agit d’une part de mettre fin au gaspillage d’énergie par les utilisateurs en augmentant progressivement le prix du gaz – décidée à hauteur de 15% par an en termes réels – et de l’électricité. D’autre part, le gouvernement russe souhaite revaloriser l’immense potentiel de ressources naturelles dont dispose la Russie. Là encore des investissements colossaux sont nécessaires. L’extension du parc nucléaire russe vise ainsi à faire passer la proportion d’énergie électrique produite à partir du nucléaire de 17 à 22% d’ici 2020, ce qui implique de construire cinq centrales par an, contre deux actuellement. En amont, l’exploitation des ressources d’uranium doit être accrue pour en redresser la production. Un programme d’investissement est d’ailleurs prévu à cet effet pour l’exploration et la production, en particulier dans les régions de Sibérie et de Yakoutie.
La Russie dispose par ailleurs de toutes les énergies renouvelables possibles, de la biomasse à l’énergie hydraulique ou marémotrice, encore largement sous-exploitées. L’hydroélectricité représente ainsi 17% du total de l’électricité fournie dans le pays, mais seulement 2% de la fourniture totale d’énergie primaire contre 50% pour le gaz. L’utilisation des énergies renouvelables pourrait être favorisée par la hausse des prix du gaz et la montée en puissance des investissements dans le secteur de l’électricité, dont le gouvernement souhaite l’ouverture à la concurrence. La principale entreprise russe d'électricité (RAO EES Rossia), qui est la plus grande compagnie d'électricité du monde, doit ainsi être scindée en différentes sociétés, dont certaines pourraient être privatisées.
La mobilisation de l’ensemble de ses ressources énergétiques, fossiles et renouvelables, est donc devenue une priorité non seulement économique mais aussi politique. En allégeant sa consommation intérieure de gaz dont elle veut augmenter sa capacité d’exportation, la Russie compte bien faire de l’énergie une carte maîtresse de son rôle sur la scène internationale. C.H.
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