Entretien avec M. Ivan Prostakov,
Chef de la Représentation commerciale de Russie en France
La Lettre Diplomatique : Le Président Vladimir Poutine a réaffirmé lors de sa déclaration annuelle à la Douma en avril 2007, que l’un des objectifs principaux de la Russie était de parvenir à un rythme de croissance soutenu de 6%, lui permettant de doubler son PIB, actuellement au dixième rang mondial, d’ici 2010. Comment les divers responsables économiques et les entrepreneurs russes comptent-ils coopérer pour atteindre un tel objectif qui dépend à la fois de facteurs externes et internes ?
Ivan Prostakov : Notre vision de l’objectif que vous évoquez consiste à faire passer l’économie russe, actuellement orientée vers l’exportation de matières premières, à un stade de développement centré sur l’innovation. Cette transformation permettrait d’une part, d’accélérer l’accroissement de son potentiel de compétitivité grâce à des avantages comparatifs accrus dans les secteurs de la recherche, de l’éducation et des technologies de pointe, et d’autre part, de stimuler de nouvelles sources de croissance économique.
C’est en rassemblant les efforts des différents groupes sociaux et en couplant enjeux politiques et économiques, que nous atteindrons cet objectif. Ce programme d’action existe déjà. Il figure dans la « Conception du développement socio-économique à long terme de la Fédération de Russie ». Celle-ci dresse dans un premier temps une série de caractéristiques qualitatives et quantitatives conformes aux grands paramètres du développement des puissances mondiales, autrement dit :
– la diversification de l’économie au sein de laquelle les branches d’industrie à haut potentiel technologique jouent le premier rôle et dont la part dans le produit intérieur brut (PIB) représente au moins 17 à 20% (en Russie, elle était de 10,5% en 2006) ;
– le développement des activités d’innovation des holdings, par la mise en valeur de nouveaux débouchés, le renouvellement de la diversité de l’offre de produits, et la mise en œuvre de nouvelles technologies et de méthodes de gestion performantes des chefs d’entreprises. D’une manière générale, la part des entreprises vouées à l’innovation technologique dans l’industrie doit être augmentée pour représenter 40 à 50% (9,3% en 2005) du secteur, tandis que la part des produits d’innovation dans l’industrie doit atteindre 25 à 35% (2,5% en 2005) ;
– la mise en place d’un système innovateur et efficace à l’échelle nationale, la stimulation de la recherche et des études dans les sciences fondamentales ainsi que dans les sciences appliquées. Le financement public consacré à la recherche scientifique doit être porté dans ce but à 3,5-4% du PIB (1% en 2006) ;
– la création d’un cadre favorisant un travail efficient de la main d’œuvre hautement qualifiée dans la perspective de valoriser la qualité du potentiel humain et de créer une structure sociale performante, œuvrant pour un même objectif final. Le salaire mensuel moyen devra pour cela dépasser 2 000 dollars (394 dollars en 2006), alors que les dépenses consacrées à l’éducation devront représenter au moins 5 à 6% du PIB (3,9% en 2006) et celles de la santé publique entre 5 et 6% (3,9% en 2006) ;
– l’accroissement de l’efficacité dans l’exploitation des ressources primaires, en priorité, celle du travail et des ressources énergétiques. Il est ainsi prévu de doubler la productivité du travail et d’augmenter au moins de 40% l’efficacité énergétique ;
– l’élaboration d’un système efficace de spécification et de protection des droits de propriété privée, incluant la propriété intellectuelle, ainsi que la création d’un marché ramifié de capitaux à risque.
L.L.D. : L’Etat russe consolide sa présence dans divers secteurs stratégiques, notamment en créant de puissantes holdings étatiques, ce qui est notamment le cas pour le secteur de la construction aéronautique (la Russie compte détenir 10% du marché mondial en 2020), des centrales atomiques, des télécommunications et des nanotechnologies ainsi que des armements. Alors que de nouvelles formes de partenariat public-privé sont mises en place, quelles sont les conséquences attendues de toutes ces mesures dans les secteurs sus-mentionnés ?
I.P. : La part du secteur public dans l’économie russe se situe autour de 30% et personne ne préconise nullement de l’accroître. Au contraire, il existe un plan gouvernemental de privatisation pour la période 2006-2008 qui prévoit le passage dans le secteur privé de plus de 1 000 entreprises dont la majorité sont de grande taille, ainsi que d’infrastructures portuaires maritimes et d’aéroports. En revanche, l’Etat aspire toujours à contrôler les secteurs stratégiques de l’économie, tels que l’énergie (nucléaire surtout), l’aviation, l’espace et la défense. D’ailleurs, la Russie ne fait pas exception dans le monde. La création de holdings publics dans les domaines aéronautique et naval, ne doit pas donner lieu à des spéculations sur l’étatisation de l’économie. Elle reflète plutôt les intentions logiques de l’Etat qui ne souhaite pas perdre des avantages compétitifs dans une série de secteurs clés, en vue de renforcer notre positionnement dans l’économie mondiale. Nous cherchons à présent à concentrer le potentiel des différentes entreprises, publiques ou à forte participation publique, sous les mêmes organismes de direction afin de rassembler les efforts nécessaires pour leur permettre de se développer. Mais cette tendance ne concerne pas les télécommunications, secteur qui s’est positionné comme l’un des plus concurrentiel sur le marchés russe depuis la deuxième moitié des années 1990 et dans lequel les entreprises publiques sont peu nombreuses parmi une centaine d’opérateurs.
L.L.D. : La Russie a cherché à préserver les grands équilibres, tout en dégageant un potentiel élevé de croissance. Qu’en est-il des paramètres-clefs et de leur évolution lorsqu’on voit qu’un excédent budgétaire de 8% du PIB est couramment dégagé, que l’inflation reste contenue à 8-9% et que de solides excédents commerciaux continuent de caractériser l’économie russe ?
I.P. : Les dernières données statistiques attestent de manière convaincante de la stabilité du développement économique en Russie. Au premier semestre 2007, la croissance du PIB a atteint presque 8% par rapport à la même période en 2006, les investissements se sont accrus de 22%, les revenus réels de la population de 11%. La progression du taux d’inflation a été moins significative par rapport à 2006, ce qui nous fait espérer que vers la fin 2007 il ne dépasserait pas 8-9%. La lutte contre l’inflation reste bien entendu un des buts prioritaires de notre gouvernement et de la Banque centrale de Russie. En ce qui concerne notre commerce extérieur, la croissance des exportations s’est élevée à 11,6% contre 31% entre janvier et juin 2006, et celle des importations à 38,5% au premier semestre 2007 contre 26,6% au cours de la même période en 2006. Cette évolution de notre commerce extérieur s’inscrit dans le contexte d’une légère baisse des prix du pétrole, du renforcement du cours de rouble et d’un accroissement de la demande de consommation et d’investissement en Russie. En même temps, le solde de la balance commerciale reste positif et les réserves de change ne cessent de s’accumuler, atteignant la barre d’environ 406 milliards de dollars au 1er juillet 2007.
L.L.D. : Le rouble s’étant par ailleurs apprécié vis-à-vis du dollar, jusqu’où pourrait-il, selon vous, s’élever sans dommage ?
I.P. : Il n’y pas de réponse à cette question. Si une pareille réponse existait, son détenteur pourrait même devenir milliardaire ! Actuellement, le renforcement du cours du rouble est considéré comme l’un des instruments de notre politique anti-inflationniste et l’un des moyens d’attirer des investissements étrangers. Ce n’est pas le fruit du hasard si, en août dernier, la banque Crédit suisse a donné comme recommandations à ses clients de placer leurs capitaux en réal brésilien et en rouble russe, dans un contexte d’instabilité des marchés financiers. Cela prouve indirectement qu’il n’y aura pas d’autre alternative à la tendance actuelle du rouble dans un avenir proche. Le revers de la médaille dans ces circonstances se traduit par la baisse de la compétitivité des exportateurs russes, qui est toutefois compensée par d’autres mesures de notre politique économique. Dès que le gouvernement russe décidera qu’il faut actionner tous les leviers possibles pour soutenir les exportateurs, sous réserve que le problème de l’inflation soit résolu, la Banque centrale pourrait arrêter de soutenir le cours du rouble. Celui-ci commencerait alors à baisser. Par contre, d’autres facteurs extérieurs capables de changer la tendance actuelle, ne sont pas exclus.
L.L.D. : Les ressources du Fonds de stabilisation gonflent constamment et ont dépassé les 10% du PIB. Les conditions de leur utilisation ne sont-elles pas appelées à être modifiées alors que le taux d’investissement semble, bien qu’en forte hausse, se cantonner à des niveaux relativement moyens autour de 20% du PIB, et que des taux de 25% ou plus s’observent dans nombre de pays émergents. Comment envisagez-vous d’augmenter les investissements productifs ?
I.P. : En effet, la Russie cède en taux d’investissement dans la structure de son PIB (18%) à maints pays émergents. La Lettonie, la République tchèque, la Corée de Sud, le Kazakhstan consacrent 25 à 30% de leur PIB aux investissements. Ce taux dépasse 40% en Chine. La cause principale de ce retard s’explique par l’absence d’une sorte de « mécanisme d’investissement » tant privé que public. D’un côté, la multitude de banques privées russes ne possédant pas de ressources financières importantes, se sont orientées vers des transactions à court et moyen termes. Il suffit de constater qu’au 1er janvier 2007, 1 166 banques ont été enregistrées dont 676 avec un capital propre dépassant 5 millions d’euros. D’un autre côté, il n’existait pas jusqu’à ces derniers temps en Russie, d’instituts publics d’investissement qui, dans beaucoup de pays, sont chargés de la gestion du développement économique durant les périodes de réformes économiques et de sortie des situations de crise, en ciblant des branches d’industrie jugées prioritaires à long terme. Depuis 2006, des changements importants ont été opérés dans notre pays grâce à la conception de nouveaux projets relatifs au Fonds d’investissements qui fait partie du Fonds de stabilisation auquel vous faites référence. Il est ainsi prévu que la participation de l’Etat atteigne initialement 4 à 5% dans les investissements en Russie par le biais du Fonds d’investissements. D’un point de vue financier, cette participation ne semble pas aussi conséquente et l’Etat ne cherche d’ailleurs pas à devenir un investisseur général dans l’économie russe. Les pouvoirs publics déterminent en effet des tendances prioritaires, donnent des garanties à long terme et cherchent à attirer des investisseurs privés comme partenaires. Notre mécanisme d’investissement fonctionne d’après ce schéma.
L.L.D. : Pouvez-vous nous rappeler quels sont les grands programmes d’investissements publics et d’infrastructures prévus par le gouvernement et jugés prioritaires ?
I.P. : A l’heure actuelle, 12 grands projets d’investissement sont identifiés. Ils seront réalisés avec la participation du Fonds d’investissements. Il s’agit, en général, de projets d’envergure de deux sortes. Le premier groupe concerne des projets relatifs au développement industriel des régions et à la mise en valeur de nouveaux gisements. Le second porte sur la création d’infrastructures, notamment dans le domaine des transports. Le montant total de tous ces projets se chiffre à plus de 2 000 milliards de roubles (soit environ 60 milliards d’euros), dont l’Etat détient globalement 15% – mais dont la part ne dépasse pas 60% de participation dans chaque projet. Certains de ces projets sont déjà à l’étape d’appels d’offres ouverts à la participation des compagnies étrangères. A titre d’exemple, le groupe Bouygues participe actuellement à l’appel d’offres sur la construction de « Diamètre grande vitesse d’Ouest » de Saint-Pétersbourg, tandis que Vinci a l’intention de prendre part à la construction de l’autoroute à péage reliant Moscou à Saint-Pétersbourg. Ces deux projets seront partiellement financés par le Fonds d’investissement russe.
L.L.D. : Diverses mesures ont été prises, comme la possibilité d’introduire des mesures protectionnistes, d’élever les tarifs extérieurs pour les bois non élaborés ou, à l’inverse, la suppression de taxes sur certains produits de haute technologie importés, non disponibles sur le marché intérieur. Quelle est dans ce domaine l’objectif de la politique commerciale russe ?
I.P. : Votre question donne déjà une ébauche de réponse selon la conception « standard » de la politique commerciale de n’importe quel Etat. Nous cherchons en effet à accentuer nos efforts en vue de stimuler et défendre les producteurs nationaux dans les secteurs où ils sont compétitifs face aux entreprises étrangères. Notre stratégie consiste à ouvrir dans un premier temps des marchés où la concurrence ne nous effraie pas. Nous créons dans ce but des conditions avantageuses destinées à nos partenaires étrangers. En 2006, d’importants avantages douaniers ont ainsi été octroyées aux importateurs de matériel technologique pour l’industrie aéronautique, dont la Russie n’était pas productrice. Cette mesure doit ainsi nous aider à développer notre secteur aéronautique national.
L.L.D. : Pensez-vous plus particulièrement qu’après 14 ans de négociations, l’entrée de la Russie à l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) pourra être finalisée d’ici la fin de l’année ? Quelles modifications auront été nécessaires pour parvenir à ce but en matière d’introduction de nouvelles législations ?
I.P. : Etablir des pronostics sur l’adhésion de la Russie à l’OMC est un exercice difficile. Aussi, je préfère m’abstenir de commenter ce sujet. En fait, la situation est devenue paradoxale. Au fur et à mesure que le processus de pourparlers se développe, nos partenaires formulent de nouvelles conditions et soulèvent de nouveaux problèmes. A titre d’exemple, l’entrée de l’Ukraine à l’OMC est prévue pour cet automne, nous contraignant à engager la préparation d’un nouveau protocole bilatéral avec ce membre potentiel. En principe nous sommes prêts à y adhérer et les protocoles bilatéraux les plus essentiels ont déjà été signés. Notre législation est parfaitement conforme aux exigences de l’OMC. Il ne nous reste qu’à régler certaines questions d’ordre bilatéral avec un certain nombre de pays, notamment, la Géorgie, les Etats-Unis et, probablement, l’Ukraine…
L.L.D. : A quel rythme se développe le commerce extérieur russe et quels sont vos principaux partenaires ? Alors que la zone euro représente à elle seule 35% du total de vos échanges extérieurs, sur quelles bases envisagez-vous de développer votre partenariat avec les pays de cette zone ? La Russie compte-t-elle diversifier davantage ses réserves en euros ? Quelle est globalement la part actuelle constituée par l’euro dans vos avoirs ?
I.P. : Je vous ai déjà indiqué les dernières données statistiques de notre commerce extérieur. Elles attestent du dynamisme du développement de nos relations économiques extérieures. Durant la période 2000-2006, le chiffre d’affaires du commerce extérieur de la Russie a triplé et a atteint 468,4 milliards de dollars. Au cours de ces années, la croissance des importations excédait celle des exportations bien que le solde du commerce extérieur russe ait respecté une tendance positive (en 2005, il s’est chiffré à 118 milliards de dollars, en 2006 à 141 milliards de dollars). Depuis huit à dix ans, la liste de nos principaux partenaires commerciaux et leur classement est resté relativement stable. L’Allemagne, les Pays-Bas, l’Italie, la Chine, l’Ukraine, la Biélorussie, la Turquie, les Etats-Unis, la Pologne, la Grande Bretagne, la Finlande et la France retiennent traditionnellement presque deux tiers du chiffre d’affaires russe. Si on parle de « partenaires globaux » sans faire de distinction entre les pays de la zone euro, l’Union européenne est considéré comme notre partenaire commercial primordial et devrait conserver ce rôle à l’avenir. Le nouvel Accord sur le partenariat et la coopération devrait jeter les fondements de nos relations dans les sphères politique, économique, culturelle et juridique. Bien que sa ratification traîne en longueur, nos échanges ne ralentissent pas. Au contraire, le commerce, le partenariat d’investissement, les consultations politiques, l’échange culturel ne perdent pas leur intensité. Ces dernier temps, les médias européens attisent les problèmes existant entre la Russie et l’UE dans le domaine énergétique, en ignorant le processus permanent de conciliation mutuelle de nos stratégies énergétiques. Ce n’est qu’un exemple attestant de la volonté manifestée par la Russie et l’UE pour trouver des compromis et aboutir à un partenariat réel sur le long terme malgré les divergences d’approches et même des désaccords inévitables. En ce qui concerne la structure des réserves monétaires, elle ne peut pas être prise en compte en tant qu’« indicateur » des relations de partenariat. Elle dépend en effet étroitement de la politique, conservatrice, de la Banque centrale et de la situation des marchés financiers. Néanmoins, la Banque centrale de Russie conserve actuellement un peu plus de 51% de ses réserves en dollars américains, presque 39% en euros et le reste en livres (sterling), en francs suisses et en yens japonais. En 2005, près de 60% des fonds ont été stockés en dollars américains et 33% en euros.
L.L.D. : En recevant les grands capitaines d’industrie, le 6 février 2007, le Président Poutine a insisté sur le fait que la part des matières premières restait trop importante à l’export (passant de 80% en 2000 à 85% en 2005). Comment ces tendances pourront-elles êtres inversées ? Le chiffre d’affaires du secteur software en particulier a progressé de 60% en 2006 et les exportations ont été portées de 730 millions dollars à 1,5 milliards. Quelle marge de croissance existe-t-il et quel soutien les pouvoirs publics peuvent-ils apporter dans ce domaine ? Y a-t-il des possibilités de coopération avec des entreprises européennes et françaises ?
I.P. : Indépendamment du développement intensif de nos relations économiques extérieures, la Russie occupe selon les données de l’OMC, une position stable au classement des exportateurs mondiaux, au 13ème et parfois seulement au 14ème rang, même en tenant compte des volumes considérables des fournitures de combustibles et de matières premières russes. Cette situation résulte de plusieurs facteurs. Premièrement, à notre grand désarroi, les produits d’un certain nombre de branches industrielles ne sont pas compétitifs du point de vue du rapport qualité/prix. Il s’agit tout d’abord des machines-outils et de l’équipement industriel. Il est d’ailleurs peu probable que la situation change dans un avenir proche. Deuxièmement, une catégorie de produits compétitifs (par exemple, des produits ou matières premières agricoles, des produits industriels à faible valeur ajoutée) se heurtent à des restrictions non tarifaires et à une forte concurrence sur les marchés extérieurs. Troisièmement, il existe des produits russes de haute technologie ayant une valeur ajoutée élevée, dont les caractéristiques sont uniques dans leur genre, mais dont la promotion n’est pas encore assurée sur les marchés extérieurs. Ces obstacles résultent du cloisonnement de l’ancienne économie soviétique auquel s’ajoute également de nouveaux facteurs : le cours élevé du rouble et la hausse de la consommation intérieure rendent les exportations pour un grand nombre d’entreprises russes moins avantageuses et plus compliquées par rapport à l’activité sur le marché intérieur.
La Russie souhaite aujourd’hui jouer un nouveau rôle dans la division internationale du travail. Cette volonté est guidée d’une part, par notre volonté d’adhérer à l’OMC et, d’autre part, par les dernières mesures introduites dans la politique économique de l’Etat. Parmi ces mesures destinées à stimuler les exportations de produits manufacturés, le soutien financier de l’Etat acquière une signification particulière. L’octroi des crédits, la présentation de garanties pour des transactions et le remboursement du taux d’intérêt sur les crédits à l’exportation, constituent ainsi autant d’instruments mis en œuvre grâce à l’adoption en 2003 d’un programme gouvernemental approprié visant au soutien des exportations des entreprises russes. Dans ce même but, l’Etat a commencé à favoriser les activités dans le domaine des expositions et des foires. En dehors de l’organisation de plusieurs dizaines de participations russes aux foires et salons internationaux dans différents secteurs d’activité, des expositions russes ont été organisées au cours des quatre dernières années à l’échelle nationale dans 11 pays et notamment au Canada, en Italie, en Chine, en Ukraine, au Kazakhstan… Enfin, la création au printemps 2007 de la Banque du développement et de l’activité économique extérieure d’Etat (Vnecheconombank) est destinée à assurer la croissance de la compétitivité de l’économie russe, poursuivre sa diversification et stimuler les investissements. La Banque financera les projets économiques à l’étranger ainsi que les activités d’assurance et de consulting pour la réalisation de projets en Fédération de Russie et à l’étranger, y compris à participation étrangère, orientés vers le développement des infrastructures, des innovations, des Zones économiques spéciales, la protection de l’environnement, le soutien des exportations de marchandises, des services et des travaux russes. Les branches prioritaires pour l’exportation ont déjà été déterminées. Il s’agit notamment de l’énergie nucléaire, l’aéronautique, le naval, la production du matériel spatial, les logiciels, les nanotechnologies. Bien entendu, pour certains de ces secteurs nous pourrions associer nos partenaires européens, y compris en provenance de France. Le secteur aéronautique et les projets communs avec EADS en sont les illustrations les plus caractéristiques. Des entreprises russes agissent déjà comme fournisseurs des composants de l’A320. A l’avenir, un pareil partenariat devrait se développer dans le cadre de nouveaux projets, comme celui de l’A350. Des négociations sont déjà entamées à ce sujet. Nous espérons que cette expérience nous sera utile dans d’autres domaines.
L.L.D. : L’OCDE a invité, le 16 mai 2007, la Fédération de Russie à la rejoindre. Quels types de négociations ont-elles été ouvertes dans ce but et quand pensez-vous qu’elles puissent aboutir ? Du niveau britannique (7,2%) ou français (6,8%), envisage-t-on d’ores et déjà le taux de cotisation que devrait acquitter la Russie en tant que membre de cette importante organisation internationale ?
I.P. : Les négociations avec l’OCDE viennent d’être engagées. Cet automne nous avons l’intention d’élaborer « la feuille de route » de ce processus en définissant les questions clés de « l’examen à subir ». Il m’est impossible de préciser lequel des deux examens d’entrée, à l’OCDE ou à l’OMC, est le plus compliqué, en raison des différents critères d’approches. En revanche, tous les membres de l’OCDE sont adhérents de l’OMC. Ce critère n’est pas formel, mais le fait que l’OCDE ait invité la Russie à entamer les négociations avant qu’elle fût membre de l’OMC, confirme l’idée que cette question est considérée comme résolue par l’OCDE. Cette organisation place en effet au nombre de ses critères prioritaires le dévouement d’un pays aux principes de l’économie de marché et aux tendances démocratiques du système socio-politique. Il n’y a pas de délais « standards » de négociations, mais selon la pratique ce processus s’étend, au plus, sur deux ou trois ans. En ce qui concerne le taux de cotisation, ce sujet n’a pas encore été débattu, mais je ne pense pas qu’il représente un obstacle. Chaque instance internationale possède ses propres méthodes de calcul des cotisations qui ne font pas l’objet de négociations. La cotisation de la Russie sera ainsi conforme aux normes de l’OCDE.
L.L.D. : Le stock d’investissements étrangers en Russie atteint 150 milliards de dollars en 2007. Lors du récent Forum de Saint-Pétersbourg, des contrats d’un montant de 13,5 milliards de dollars ont été enregistrés. Alors que le chiffre de 60 milliards de dollars d’investissement sont évoqués rien que pour le 1er semestre 2007, un tel rythme est-il appelé à se maintenir dans les prochaines années ? L’absorption de capitaux d’une telle ampleur n’est-elle pas de nature à créer, à terme, des tensions sur les coûts ?
I.P. : En effet, selon les sources officielles, les flux d’investissements étrangers en Russie au premier semestre 2007 s’est chiffré à 60,3 milliards de dollars (2,6 fois de plus par rapport à la même période en 2006) et le stock d’investissements accumulés a atteint 178,5 milliards de dollars, soit une hausse de 40% en 2006. Ces indices mettent en évidence l’attrait de la Russie pour les investisseurs et confirment le rythme stable de sa croissance économique. Un pareil essor des investissements entraînera, sans doute, le renforcement du cours du rouble et des tensions inflationnistes. Mais il ne faut pas attiser cette menace. Tout d’abord, les investissements directs étrangers parvenus cette année en Russie ne représentent que 27,5 milliards de dollars sur 60 milliards de dollars de volume total. D’autre part, le gouvernement russe mise aussi sur les investissements des compagnies russes qui ont déjà annoncé leur participation à des projets d’investissement jusqu’en 2015, pour un montant dépassant 400 milliards de dollars. Enfin, il est très important de tenir compte du mécanisme que nous sommes en train de créer pour réguler le processus d’investissement. Le Fonds d’investissements, la banque Vnecheconombank et la Société russe de venture-capital sont les instances qui seront à même de distribuer correctement des flux financiers selon les secteurs et les régions fédérales russes.
L.L.D. : La France est actuellement le 8ème fournisseur de la Russie, le second parmi les membre de l’UE, loin derrière l’Allemagne en terme de part de marché. Quelles, sont de votre point de vue, les marges d’accroissement de ces échanges et dans quels secteurs en particulier ? Plus précisément, dans quels secteurs les investissements français pourraient-ils se diversifier ?
I.P.: Dans une perspective à long terme, la croissance de nos échanges commerciaux doit s’appuyer sur la diversification des exportations russes à destination de la France. Dans tous les cas, les mesures que je viens d’évoquer, sont orientées justement vers ce cap. Ces deux ou trois dernières années, la France a intensifié ses exportations vers la Russie. Les statistiques le confirment. Si les fournitures françaises à destination de notre pays augmentaient auparavant tous les ans de près de 30% – ce qui n’est déjà pas mal -, elles se sont hissées à 40% d’augmentation en 2006. Cette tendance se poursuit en 2007. Nous espérons que dans ce contexte des entreprises françaises, surtout des PME, s’intéresseront d’avantages aux atouts des régions russes. C’est justement dans les régions que des entreprises françaises peuvent trouver des opportunités que leurs concurrents provenant d’autres pays n’ont pas encore saisi ; c’est là qu’elles peuvent aussi accroître leurs performances à l’export, trouver des projets d’investissement attractifs et rencontrer des fournisseurs russes alternatifs pour une production en France. De plus, si l’on considère la répartition par branches d’industrie, il me semble que les entreprises françaises n’ont pas atteint tout leur potentiel dans les projets d’infrastructure russes. Les communications ferroviaires, les autoroutes, les complexes portuaires et les aéroports, les télécommunications… constituent autant de secteurs où les Français jouissent d’avantages compétitifs incontestables et d’un savoir-faire qui seront convoités en Russie dans un avenir très proche.
L.L.D. : Les investissements russes en France ont également entamé leur progression passant de 0,5 à 1,7 milliards d’euros entre 2001 et 2004. Certains, comme l’achat de 5,03% du capital d’EADS, ont été entourés d’une large publicité, d’autres sont restés plus discrets. Quels secteurs spécifiques intéressent les investisseurs russes en France ? Quelles sont leurs perspectives de développement ?
I.P : Pour vous parler franchement, je n’oserais pas me prononcer sur de pareils chiffres ! Après avoir analysé des sources différentes, je me permets de confirmer que les investissements directs russes en France représentent, à l’heure actuelle, quelques dizaines de millions d’euros. Ce montant n’est pas encore suffisamment significatif pour être identifié par les statistiques officielles russe et française. A titre de comparaison, les Pays-Bas sont plus attractifs pour les investisseurs russes. Au 1er juillet 2007, près de 7 milliards de dollars y ont été investis en provenance de Russie. L’Allemagne avec ses 600 milliards de dollars d’investissements russes accumulés, clôt la liste des dix premiers pays les plus attractifs pour la Russie.
En tout état de cause, les flux d’investissements russes à l’étranger sont déjà identifiés comme un phénomène économique significatif, que les experts financiers et les entrepreneurs examinent attentivement. Au cours du premier semestre 2007, les sociétés russes ont investi à l’étranger presque 37 milliards de dollars. Je tiens à souligner qu’il ne s’agit pas de fuite des capitaux dans des zones off-shores, mais d’acquisition d’actifs importants dans les pays de la CEI, de l’Europe et dans les Etats-Unis. L’énergie, la sidérurgie et la métallurgie non-ferreuse, l’industrie chimique et les télécommunications suscitent le plus vif intérêt chez les investisseurs russes. Les sociétés russes implantées en France ne sont pas nombreuses et la plupart n’existent que sous forme de représentations. Selon toute probabilité, le patronat russe méconnaît le potentiel d’investissement en France et ses informations sur le marchés français sont plutôt de caractère négatif, soulignant les difficultés administratives, la législation du travail compliquée, le poids de la fiscalité.
Par contre, de nouveaux et intéressants projets russes, frisant parfois même l’insolence, sont apparus en France ces trois ou quatre dernières années. Gazexport (succursale de Gazprom) a ainsi conclu des contrats directs de fourniture de gaz russe pour les consommateurs français ; une des plus grandes sociétés de construction russe « Mirax Group » bâtit des immeubles d’habitation en Ile-de-France ; le producteur russe de Brandy « KiN » a fait une acquisition de vignobles dans la région de Cognac, tandis que la société d’investissements « Nikoïl » a acheté une des usines de porcelaine de Limoges. L’Agence française des investissements internationaux (AFII) est par ailleurs en train de préparer tout un programme de prospection du marché français à destination des entreprises russes, ce qui est conforme à leur esprit d’internationalisation et au caractère de nos échanges bilatéraux. J’espère enfin que des investissements futurs en provenance de la Russie vers la France ouvriront une nouvelle étape dans la coopération économique et commerciale entre nos deux pays.
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