Par M. Didier Vidal,
Directeur de La Lettre Diplomatique
Au moment où la Russie s’engage dans un cycle électoral déterminant
pour son avenir, nous nous sommes efforcés, à travers ce numéro spécial
de « La Lettre Diplomatique », de dresser un bilan aussi large et
diversifié que possible, sans fard ni complaisance, de cette grande
puissance du XXIème siècle.
Que l’on songe seulement au chemin parcouru depuis l’effondrement de
l’URSS en 1991 et à la crise financière de l’été 1998 au cours de
laquelle la Fédération de Russie s’est trouvée en cessation de
paiement. Depuis, surtout à compter de 2002, au moment où les cours des
hydrocarbures ont pris leur envol, la croissance économique russe a
atteint un taux moyen de 6,5%, ce qui lui permet d’ intégrer le club
des dix plus grandes économies mondiales. Forte de cet acquis, la
Russie se donne désormais pour ambition de figurer parmi les sept
premières d’ici 2020. Seul l’avenir déterminera si un tel objectif est
réalisable dans la conjoncture économique mondiale actuelle. Il semble
assuré au demeurant que les autorités russes, détentrices des
troisièmes réserves financières de la planète après celles de la Chine
et du Japon, ont bien l’intention d’en disposer. Il s’agira alors pour
elles de poursuivre la modernisation aussi complète que possible de
leurs infrastructures, d’investir plus massivement qu’auparavant dans
la recherche, l’innovation et les nouvelles technologies, comme
d’assurer un meilleur bien être à l’ensemble de la population. Après de
nombreuses années de privations, cette dernière aspire d’ailleurs à son
tour et bien légitimement à la consommation de masse à laquelle elle
accède avec satisfaction. Nul doute que cinquante ans après avoir
ouvert la course à l’espace en lançant le premier Spoutnik, la Russie a
de grandes chances de retrouver cet esprit pionnier.
Ce retour de la Russie, comme l’une des économies mondiales majeures, les divers auteurs
et contributeurs de cette édition de « La Lettre Diplomatique »
l’examinent sous différentes facettes parfois avec des vues différentes
et complémentaires. Ils contribuent ainsi à enrichir le débat qui porte
sur le caractère soutenable à long terme d’une forte croissance en
Russie et du défi que représente la redistribution harmonieuse des
richesses qu’elle engendre.
Une telle Russie, que l’on pourrait qualifier de Russie nouvelle,
stable, mieux assurée de son avenir, aura naturellement à coeur de
faire entendre sa voix sur la scène internationale, désireuse de
défendre ses intérêts nationaux particulièrement au vue de son poids,
de son histoire et des traditions qui sont les siennes. Le président
Vladimir Poutine, qui a présidé aux destinées de son pays durant cette
période faste, a eu maintes fois l’occasion d’exprimer sa conception de
la place de la Russie dans le monde et du rôle qu’elle entend y jouer.
On peut aisément en déduire que si la Russie ne prétend plus au rôle de
superpuissance, elle s’oppose en revanche à un monde unipolaire. Au
sein du monde multipolaire qu’elle appelle de ses voeux, Moscou entend
jouer un rôle éminent et ne dissimule pas son souhait d’en devenir
aussi un réel pôle de puissance. Sa voix n’est pourtant pas toujours à
l’unisson de celles émanant du concert des nations occidentales, que ce
soit à propos du Kosovo, de la question nucléaire iranienne, de l’offre
américaine d’installation d’éléments de son bouclier anti-missiles sur
le territoire européen ou de la Birmanie…, sur tous ces points, les
analyses, comme les diagnostics des chancelleries et des experts
divergent sur les fondements et les motivations des positions russes.
L’enjeu étant de taille, il nous faut, à l’instar de la première visite
effectuée par le président français Nicolas Sarkozy à Moscou les 9 et
10 octobre 2007, nous montrer attentifs aux objections sans renoncer à
nos convictions. Certes, la rencontre entre les deux présidents
français et russe a donné lieu à des entretiens francs et ouverts sur
l’ensemble des sujets de préoccupation des deux pays. Ils ont permis
aux deux partenaires de mieux comprendre leurs positions réciproques et
les ont incité à continuer à en débattre dans les enceintes
appropriées. Pour se prémunir de la tentation d’analyser les événements
actuels à la lumière de ceux du passé et de recourir à des expressions
devenues surannées, il convient surtout de prendre en compte les
données permanentes et à long terme des relations internationales. Et
même s’il subsiste indéniablement encore des divergences, parfois
relativement significatives sur la perception que peuvent avoir les uns
et les autres de l’Etat de droit, de la protection des droits de
l’homme ou des types de démocratie possibles et de leur perfectibilité,
le monde n’est ni retourné à la guerre froide, ni à l’affrontement
idéologique d’antan. La scène internationale est devenue à la fois plus
souple, plus mobile, plus diversifiée, ses multiples échiquiers
s’imbriquent, ses nombreux théâtres régionaux influent les uns sur les
autres comme jamais dans le passé.
La globalisation, comme les grands défis de l’heure : « choc des
civilisations », lutte contre le terrorisme international, lutte contre
la prolifération des armes de destruction massive, action contre le
changement climatique, éradication des grandes pandémies, sécurité
énergétique, problèmes financiers internationaux, toutes ces grandes
questions, requièrent le dialogue, la compréhension et la coopération
de tous. La Russie, Etat multinational, pivot de l’Eurasie doit prendre
toute sa place dans cet effort concerté de mise en place d’un nouvel
ordre mondial comme d’édification d’une « Europe de l’Atlantique à
l’Oural » qu’appelait jadis de ses vœux le général de Gaulle.
La France et la Russie ont souvent été réunis par une fraternité
d’armes, notamment lors de la Seconde guerre mondiale. Ce que le
président Sarkozy a eu l’occasion d’évoquer en inaugurant le 10 octobre
2007, en compagnie du président Poutine, le monument dédié aux soldats
de l’escadrille légendaire Normandie Niémen. De par sa stature
politique et diplomatique, sa culture et sa langue, les idéaux et
valeurs universels qu’elle promeut ainsi que le haut niveau
scientifique et technologique qui la caractérisent, la France sera
immanquablement l’un des partenaires de choix en Europe avec laquelle
la Russie, aura de plus en plus le désir d’œuvrer. Il nous appartient
de saisir les opportunités qui se présentent pour hisser l’amitié
franco-russe au rang le plus élevé.
Qu’il me soit permis, au nom de la rédaction de « La Lettre
Diplomatique » de remercier tous les auteurs et contributeurs de cette
édition ainsi que S.E.M. Alexandre Avdeev, Ambassadeur de la Fédération
de Russie en France et ses collaborateurs pour le soutien qu’ils ont
bien voulu apporter à sa réalisation et les multiples contacts qu’ils
ont très aimablement favorisés.
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