Johor deviendra-t-il le futur Hong Kong malais ? Le projet d’Iskandar aspire à faire de l’agglomération de Johor, au sud de péninsule, une plateforme logistique, financière et technologique capable de rivaliser avec sa sœur aînée chinoise. Avec ce mega-projet, le Premier ministre Abdullah Badawi veut doter l’économie malaisienne d’un nouvel atout pour atteindre son ambition affirmée de faire de la Malaisie une nation développée à l’horizon 2020.
Lancé en novembre 2006, le projet Iskandar a commencé à prendre corps le 23 février dernier avec la première réunion de l’Autorité du Développement régional d’Iskandar (IRDA) que président conjointement le Premier ministre malaisien et le Ministre en chef de l’Etat Johor, Abdul Ghani Othman. M. Abdullah Badawi a inauguré le même jour, le lancement des travaux de ce qui constituera l’épine dorsale d’Iskandar : la ville de Nusajaya, entre Gelang Pata et Johor Bahru, réunira la nouvelle capitale administrative de l’Etat de Johor, des centres médicaux et universitaires, le port de Puteri, une zone touristique internationale, des lotissements ainsi qu’un parc industriel et logistique. L’IRD (Iskandar Regional Development) peut également s’appuyer sur des infrastructures modernes à vocation internationale comme l’aéroport de Senaï et le Tanjung Pelapas, l’un des plus importants port de la Fédération pour le transbordement de marchandises.
Situé dans l’arrière-pays de Singapour, Johor Bahru est parfois comparée à Shenzhen. Son agglomération génère 60% de la croissance de l’Etat de Johor, qui réalise lui-même une croissance plus forte que la moyenne nationale (7 à 8% en moyenne sur les trente dernières années). Iskandar doit transformer d’ici vingt ans le sud de Johor, grand comme trois fois la superficie de Singapour, en un nouveau pôle de croissance de la Fédération et une mégapole d’envergure internationale, dotée d’une zone de libre-échange. L’objectif est à l’hauteur des investissements requis. Bénéficiant d’une partie des ressources budgétaires fixées par le IXème Plan quinquennal (2006-2010) pour les dépenses d’infrastructures, le gouvernement malaisien devrait injecter 1,22 milliards de dollars dans le projet, auquels s’ajoutent 970 millions de l’Agence fédérale d’investissement, la Khazanah Nasional. Les initiateurs du projet comptent séduire les investisseurs privés, dont on attend une participation à hauteur de 2,85 milliards de dollars dans la première phase du plan. Quant aux retombées économiques, le Premier ministre Abdullah Badawi s’est montré optimiste lors de la séance inaugurale de l’IRDA. « Notre plan consiste a attirer 105 milliards de dollars d’ici vingt ans, dont 13,6 milliards dans les cinq prochaines années ». Il devrait également permettre la création de 800 000 emplois. Pour M. Andrew Sheng, membre du Comité de conseil de l’IRDA et ancien Président de la Commission de sécurité de Hong Kong, « Johor sera l’un des points clé du triangle de croissance » que forme la Malaisie, l’Indonésie et Singapour. Mais il faudra desserrer les freins à l’entrepreunariat, notamment pour faire face à la concurrence étrangère, en ce qui concerne la rapidité des procédures administratives, la facilité d’accès au marché, l’attrait des talents étrangers de la finance, de l’industrie et de la recherche. Pour y parvenir, M. Sheng insiste aussi sur la nécessité d’une étroite collaboration internationale.1
Devenu en vingt-cinq ans le troisième pays le plus riche de la région, avec un PIB par habitant de 9 600 dollars en 2005, derrière Singapour et Bruneï, le tigre malaisien a bâti son essor économique sur la création d’une puissante industrie exportatrice et l’attraction des investissements étrangers. Bien plus qu’un projet régional, Iskandar devra permettre à la Malaisie de maintenir sa compétitivité dans l’âpre concurrence que se livrent les pays d’Asie du Sud-Est face à la montée en puissance des économies indiennes et chinoises.
Les autorités malaisiennes cherchent en effet à diversifier l’économie nationale, trop dépendante du secteur électronique qui alimente la moitié des exportations du pays. Celles-ci représentent 110% du PIB. Les excédents commerciaux continuent d’augmenter, atteignant 30 milliards de dollars en 2006. Mais, il devient de plus en plus difficile de rivaliser avec les faibles coûts de main d’œuvre que propose la Chine ou même le Vietnam. La mégapole que veut faire émerger le projet Iskandar s’inscrit ainsi dans une stratégie plus large visant à promouvoir de nouveaux secteurs de spécialisation dans les hautes technologies.
En plaçant le potentiel de la biodiversité au cœur du IXème plan économique présenté en janvier 2006, les autorités malaisiennes comptent bien valoriser leurs ressources naturelles à cette fin. Le groupe malaisien Pionner Bio Industries Corp Sdn Bhd a déjà fait savoir qu’il entend devenir la premier au monde à commercialiser le biocarburant issu de l’huile de palme, dont elle est le premier exportateur mondial. Mais, avec la mise en place de Bionexus, appelé à devenir un réseau de centres associant entreprises et instituts de recherche disséminés sur l’ensemble du territoire malaisien, le gouvernement veut placer la Fédération à la pointe des biotechnologies. S’inscrivant dans la lignée de l’ambitieux projet du « BioValley » du Dr Mahathir, cette stratégie s’appuie sur le vaste plan de développement présenté le 28 avril 2006 par le Premier ministre malaisien, créant la Malaysian Biotech Corporation (MBC), placée directement sous sa tutelle avec pour mission de développer ce secteur. La National Biotech Policy prévoit ainsi de porter les biotechnologies à 5% du PIB d’ici 2020 en privilégiant trois secteurs : l’agriculture, la santé et l’industrie. Elle prévoit de nombreuses incitations fiscales pour la création et le développement d’entreprises dans ce secteur.
Inscrit également au sein du IXème Plan, le secteur des nanotechnologies a également été érigé en priorité stratégique. Le Malaysia Nanotechnology Center (MNC) devrait être mis en place prochainement pour coordonner les efforts de recherche et développement dans ce domaine et favoriser les partenariats avec l’industrie. Six centres de recherche en nanotechnologie sont ainsi en cours de modernisation pour devenir les premiers centres d’excellence du MNC. Lors de l’inauguration du centre régional du Conseil international pour la Science (ICSU) à l’Académie des Sciences de Kuala Lumpur, le Vice-Premier ministre et Ministre de la Défense Najib Tun Razak soulignait le 19 septembre 2006, « le rôle central des nanotechnologies pour le développement économique de la Malaisie ».2
Avec ces initiatives, la Malaisie accélère le recentrage de son économie sur des secteurs d’innovation, requérant un haut niveau de compétence. Si l’on en juge par la réussite du Multimedia Super Corridor, véritable Silicon Valley malaisienne, qui a permis d’attirer plus de 1 250 entreprises (dont 68 multinationales) dix ans après son lancement, Bionexus tout comme le MNC sont promis à un brillant avenir. Des efforts restent certes à réaliser pour soutenir davantage la recherche universitaire et l’émergence d’une main d’œuvre hautement qualifiée et plus nombreuse. Mais les atouts de la Fédération et surtout sa détermination sont indéniables. Elle figure d’ailleurs en bonne place dans la liste des 25 pays cibles pour lesquels le Ministère délégué au Commerce extérieur français a défini un plan d’action commerciale. Avec une faible part de marché (1,4%), les entreprises exportatrices de l’Hexagone, ont subi le contrecoups de la crise financière de 1998 et le ralentissement de l’investissement industriel local. La présence française dans le pays ne favorise guère non plus les exportations. Représentant près de 4 milliards de dollars, elle n’en est pas moins significative et emploierait 22 000 salariés. En dépit du rôle de tremplin que pourrait jouer Singapour où les entreprises françaises sont bien implantées, les acteurs les plus importants sur le marché malaisien restent les grands groupes que sont par exemple Technip, ST Microelectronics, Alcatel, ou encore Lafarge qui occupe 45% du marché local du ciment. Dans le contexte d’une nouvelle dynamique économique illustrée par le projet Iskandar et de reprise des flux d’investissement directs étrangers qui se confirme depuis 2004, la France entend bien soutenir le positionnement de ses entrepreneurs. Elle veut privilégier pour cela le soutien au petites et moyennes entreprises, le renforcement de la présence commerciale française dans le secteur agricole et agro-alimentaire, et le développement de partenariats entre les entreprises des deux pays. Les nouveaux secteurs que cherche à promouvoir la Malaisie sont ainsi autant de nouvelles opportunités à saisir, d’autant que le Premier ministre Abdullah Badawi, avait identifié lors de sa visite en France en janvier 2005, les biotechnologies comme un des secteurs phare de la coopération entre les deux pays. Reste à concrétiser ces intentions. C.H.
1 – New Straits Times, 24/02/07.
2 – Bernama, 20/09/06.
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