L’Indonésie retrouvée : résilience et résurgence d’un archipel
Par M. François Raillon, Directeur de recherche au CNRS, Directeur du Centre Asie du Sud-Est de l’EHESS
L’Indonésie résiste. Elle survit, malgré les épreuves multiples et répétées. Elle traverse les catastrophes et les coups du sort avec une résilience qui force l’admiration. Sans doute a-t-elle été frappée ces dernières années par une spectaculaire série de cataclysmes – naturels ou provoqués par l’homme. Or elle a non seulement surmonté la terrible conjoncture, mais elle a aussi probablement acquis ou conforté une aptitude remarquable à négocier les coups du destin. Par ces temps de globalisation rampante et de désordres naturels qui déstabilisent la planète, l’expérience acquise par l’Indonésie en la matière devient un avantage comparatif, une précieuse ressource face à l’adversité, un capital de courage essentiel pour aborder l’avenir.
La liste des chocs enregistrée par le pays en moins de dix ans est impressionnante : la chute de Soeharto, la crise économique et sociale, la perte de Timor, les conflits ethniques et religieux, les à-coups de la transition démocratique, les attentats terroristes, le terrible tsunami du 26 décembre 2004, des tremblements de terre multiples…
Dans un contexte aussi difficile, la société indonésienne a finalement resserré les rangs et fait preuve d’une maturité accrue. Malgré les déchirements centrifuges, l’unité nationale se rétablit grâce à un patriotisme vivace qui vient se substituer à un État sinon défaillant, du moins affaibli. Malgré les extrémismes, la majorité modérée réaffirme son autonomie, sans bruit, mais avec persistance : les élections très démocratiques de 2004 ont abouti à l’élection d’un général mesuré, Susilo Bambang Yudhoyono (SBY), qui symbolise l’ajustement de l’Indonésie à la nouvelle donne socio-politique, sans renier le passé. SBY a fait sa carrière sous l’Ordre nouveau du général Soeharto, mais s’est converti en douceur à la démocratie libérale. Il exerce le pouvoir avec sobriété. L’alliance qu’il a nouée avec le bugis Jusuf Kalla renouvelle le pacte entre Java et les îles extérieures.
Depuis sa prise de fonctions, on assiste à un début de reconstruction de l’Etat, à une normalisation du fonctionnement politico-économique. La lutte contre la corruption a été lancée avec des résultats concrets. Des réformes visent à relancer la machine économique et à attirer les investisseurs étrangers : programme en faveur des infrastructures, mesures courageuses de réduction draconienne des subventions aux carburants, recherche d’une meilleure gouvernance. La paix en Aceh après une guerre de trente ans signale une étape capitale dans le règlement des conflits régionaux, même si la question de la Papouasie reste en suspens. La lutte contre le terrorisme a marqué des points avec l’arrestation des auteurs de l’attentat de Bali d’octobre 2002 et le démantèlement de réseaux islamistes. Des centaines d’élections locales et régionales se déroulent sans heurts majeurs. Malgré l’instauration de la syaria (charia) dans quelques localités, les islamistes marquent le pas et les musulmans modérés votent majoritairement pour des partis séculiers qui entendent maintenir le cadre républicain de l’Indonésie.
Avec SBY, l’Indonésie a retrouvé une place significative au sein de l’ASEAN et dans la construction du régionalisme asiatique.
L’Europe, et en son sein la France, doit prendre la mesure du retour de l’Indonésie. La résurgence de l’archipel interpelle les Européens et les invite à accompagner le mouvement, avec résolution.