Lundi 22 Avril 2019  
 

N°124 - Quatrième trimestre 2018

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     Venezuela
 

Caracas accélère sa révolution économique

Doté par les parlementaires vénézuéliens de pouvoirs spéciaux lui permettant de légiférer par décret durant une période de dix-huit mois, le Président Hugo Chavez a donné un nouveau coup d’accélérateur à la révolution bolivarienne. Après le décret du 27 février sur la création de sociétés mixtes pour l’exploitation pétrolière, le gouvernement vénézuélien a lancé le 10 avril une offre publique d’achat (OPA) pour renforcer le contrôle de l’Etat sur la compagnie de télécommunication CANTV et la compagnie d’électricité de Caracas (EDC).

La reprise en main de l’économie
Visant à restaurer le contrôle de l’Etat sur les secteurs stratégiques de l’économie vénézuelienne, le lancement de ce vaste programme de nationalisation marque une étape charnière depuis l’arrivée au pouvoir d’Hugo Chavez en 1998. Réélu pour un troisième mandat en décembre 2006 avec 61% des voix, le président vénézuelien se défend pourtant de vouloir mettre en place un système communiste tel qu’il existe à La Havane. « Le socialisme du XXIème siècle prôné par Chavez n’est pas étatique : il est compatible avec la propriété privée » expliquait ainsi l’ancien Vice-Président  José Vicente Rangel.1
Le secteur privé connaît, de fait, une plus forte croissance que le secteur public, de 12,3% contre 2,7% en 2006 selon les statistiques officielles. Alimentée par les cours élevés du pétrole, la croissance atteint des records pour la troisième année consécutive avec 10,3% en 2006, la plus forte des Amériques. Et les Vénézuéliens consomment : plus de 343 000 voitures neuves ont été vendues en 2006, selon la Chambre de l’industrie automobile, soit une hausse de 50% par rapport à 2005. Au point qu’une frénésie de consommation commence à s’enraciner dans un pays pourtant en pleine révolution socialiste.
A l’image du Sambil, le plus grand centre commercial d’Amérique latine, Caracas est loin de ressembler à la capitale cubaine, avec ses bodegitas. Après une hausse de 8% en 2005, elle a continué à fortement augmenter, avec une progression de 16% en 2006. Les importations battent des records, atteignant 31,6 milliards de dollars en 2006, soit une augmentation de 27% en un an. Cet engouement pour la consommation a favorisé l’expansion d’autres secteurs comme celui des banques et des assurances qui a cru de 43%. Le taux d’inflation, autour de 14%, n’incite certes pas à l’épargne, mais permet le maintien des taux d’intérêts à un niveau relativement bas favorisant le crédit. La société vénézuélienne de recherches bancaires, Softline, estime ainsi que les dépenses liées à la carte de crédit et à l’emprunt automobile ont doublé entre 2005 et 2006, atteignant près de 4 milliards d’euros.
Critique,  José Guerra, l’ancien Chef de la Recherche économique à la Banque centrale du Venezuela concède qu’« en dépit de toutes les erreurs de Chavez, son gouvernement a été extrêmement pragmatique en matière économique.
Le capitalisme d’Etat n’est pas seulement en train de survivre sous Chavez. Il est florissant ».2 Ce pragmatisme s’accompagne en effet d’un contrôle étroit du marché vénézuélien par l’Etat. Depuis 2003, le gouvernement a mis en place un strict contrôle des prix des produits d’alimentation de base comme le café, les haricots, le sucre ou le lait en poudre. Adoptée pour faire baisser l’inflation, cette mesure ne va pas sans poser de problèmes, provoquant parfois des ruptures de stock de certains produits, les grossistes revendiquant un relèvement des prix fixés par le gouvernement. Le Président Chavez a également instauré, après la crise de la fin 2002, une stricte limitation des changes pour enrayer la fuite des capitaux (estimée alors à un milliards de dollars par mois) et la dépréciation de la monnaie, avec un taux fixe depuis 2005 de 2 150 bolivars pour 1 dollar.
En dépit de ces contraintes, le Venezuela demeure une place lucrative pour les entrepreneurs et notamment les exportateurs étrangers. La Floride est ainsi devenu la plaque tournante des exportations vers le Venezuela des Etats-Unis, premier partenaire commerciale. L’investissement direct étranger tendrait en revanche à diminuer, tandis que l’investissement privé, de l’ordre de 3 à 4% selon le syndicat patronal national, Fedecameras, serait insuffisant pour renouveler l’appareil productif.

« Semer le pétrole »3
A 60 dollars le baril, Caracas peut néanmoins se passer de la bonne volonté des entreprises étrangères. Les revenus que génère l’exploitation du brut contribuent à hauteur de 30% du PIB directement (plus de 50% avec les secteurs connexes) et à près de 85% des exportations, permettant au pays de dégager de solides excédents commerciaux. Représentant près de la moitié des recettes budgétaires de l’Etat, les revenus pétroliers permettent également au gouvernement de mener une forte politique de relance de l’investissement public et de renforcer sa politique sociale.
Dès sa réélection, le Président Hugo Chavez annonçait ainsi que 7 des 35 milliards de dollars accumulés par la Banque centrale seraient reversés au fonds de développement national (FONDEN). Depuis 2003, une quinzaine de « missions » ont été mises en place dans les domaines de l’éducation, la formation professionnelle ou les soins de santé auxquels sont affectés 13 000 médecins cubains. Selon l’Ambassadeur du Venezuela en France, Jesus Arnaldo Perez qui rappelle que l’UNESCO a déclaré le pays « territoire libre d’analphabétisme », le gouvernement consacre près de 10% du PIB à l’éducation.4 Ces efforts semblent avoir porté leurs fruits en matière de lutte contre la pauvreté. Dans le rapport intitulé « América Latina : Evolución de la Pobreza y la Indigencia 1980-2006 », la Commission économique des Nations unies pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPAL) évalue à 37,1% le nombre de Vénézuéliens vivant dans la pauvreté fin 2005, dont 15,9% dans l’extrême pauvreté. Depuis l’arrivée au pouvoir de Hugo Chavez, la pauvreté a ainsi été réduite de plus de 12%. Mark Weisbrot, co-président du Centre pour la Recherche économique et politique à Washington DC, reconnaît même au gouvernement Chavez d’être parvenu à renverser une tendance durable du déclin de l’économie. « En effet, entre 1970 et 1998, le PIB/habitant a connu une chute de 35%, soit le pire déclin économique de la région  et l’un des pires du monde. »5
La manne pétrolière sert également à transformer le tissu économique vénézuelien. Les autorités soutiennent en effet la création de « noyaux de développement endogènes » avec la mission « Vuelvan caras ». Au-delà de la rhétorique chaviste, c’est sans doute là que se trouve toute l’originalité du modèle de développement bolivarien. Contrairement aux politiques traditionnelles de substitution aux importations privilégiant les investissements étrangers, Caracas mise sur les coopératives co-gérées dans pratiquement tous les secteurs d’activité, la construction, l’industrie ou la distribution par exemple. Alors que la SUNACOOP, l’organisme public qui regroupe les coopératives, en dénombrait 762 en 1998, elles étaient en août 2005 au nombre de 83 769 employant plus de 945 000 travailleurs. Ce modèle de développement alternatif doit d’ailleurs préfigurer la finalité de la révolution bolivarienne, « la révolution dans la révolution », consacrant l’autogestion communale. C.H.

1 – Le Monde, Paulo A. Paranagua, 04/12/06.
2 – International Herald Tribune, Simon Romero, 3/12/06.
3 – Expression de l’écrivain vénézuélien Arturo Uslar Pietri, pour décrire la nécessité d'utiliser les revenus pétroliers afin de diversifier l'économie
4 – Le Nouvel Economiste, 18-24/01/07.
5 – CEPR, Mark Weisbrot, « A note on Venezuela’s economic performance”, juin 2005.

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