Lundi 22 Avril 2019  
 

N°124 - Quatrième trimestre 2018

La lettre diplometque
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Etats-Unis-France : la logique de coopération

Par M. Léo Michel, Chercheur à l’Institute for National Strategic Studies (INSS) de la National Defense University à Washington.1

 

Consultation et coordination; désaccord, déception, et récrimination; compromis et réconciliation… Au cours de l’été dernier, les relations franco-américaines ont connu toutes ces phases à cause de la guerre entre Israël et le Hezbollah. Et s’il reste à voir si les objectifs de la résolution 1701 du Conseil de sécurité, parrainée par la France et les Etats-Unis, seront réalisés, la nécessité d’une étroite coopération politico-militaire entre ce vieux couple vient d’être réaffirmée.

Car après tout, Washington et Paris partagent des analyses similaires – quoiqu’elles ne soient pas identiques – sur plusieurs des principales menaces pesant sur la sécurité internationale :

Tous deux s’inquiètent des rôles de l’Iran et de la Syrie au Liban. Personne ne croit que le soutien iranien au Hezbollah est indépendant du désir de Téhéran d’échapper aux efforts des « UE 3 » (France, Allemagne, et Royaume-Uni) et des Etats-Unis de lui bloquer la route de la mise au point d’une arme nucléaire. Ils partagent la même méfiance envers la Syrie, qui tient la France et les Etats-Unis comme responsables de sa sortie forcée du Liban, et rêve de tirer parti de son aide au Hezbollah pour rétablir sa tutelle sur son voisin déchiré.

Les deux capitales sont conscientes du fait que l’impasse entre Israël et les Palestiniens nourrit l’extrémisme islamique et qu’un éventuel règlement « land for peace » (du territoire en échange de la paix) nécessitera des garanties de la part des grandes puissances et des organisations internationales comme l’ONU, l’OTAN, et l’UE. Quant à l’Irak, si la France garde sa distance vis-à-vis de ce qu’elle estime être un bourbier pour les Américains (et les Britanniques), elle ne veut pas voir non plus de retraite précipitée des forces de la coalition, ce qui risquerait d’entraîner une guerre civile totale et la fragmentation du pays en fiefs chiites, sunnites et kurdes.

La situation en Afghanistan devient de plus en plus préoccupante, et pas seulement à cause d’une résurrection des Talibans et des chefs de guerre (dont l’action se confond souvent avec celle des narco-terroristes) qui sape la confiance de l’opinion afghane à l’égard du Président Karzaï et de son gouvernement, et qui menace la plus importante des opérations de l’OTAN. De nombreux analystes américains et français observent avec anxiété le Pakistan et ses capacités nucléaires, où les forces fondamentalistes seraient fortement encouragées par un échec de « l’Occident » en Afghanistan.

Et ce n’est pas tout. Washington et Paris n’oublient pas le Kosovo où, selon de plus en plus d’experts, les actuelles discussions sur son statut vont aboutir à l’indépendance de la province et, vraisemblablement, à un transfert de responsabilités en matière de sécurité, de l’OTAN à l’UE, un peu comme ce qui s’est passé en Bosnie-Herzégovine à la fin de 2004. Enfin, tous deux cherchent des moyens nouveaux et efficaces pour augmenter la capacité des pays africains à prévenir et à faire face à la violence entre Etats et groupes ethniques.

On ne peut pas nier, certes, l’existence de différends – parfois stratégiques, mais le plus souvent tactiques – entre Washington et Paris. Or, ce qui est relativement nouveau, c’est la prise de conscience que nos forces militaires respectives, qui peinent à se « transformer » pour mieux répondre aux menaces du XXIème siècle, atteignent leurs limites en termes d’engagements opérationnels. Aux Etats-Unis, des officiers à la retraite et des experts très respectés osent parler ouvertement des soldats et des marines « épuisés » par leurs multiples déploiements en Afghanistan et Irak. Et si les militaires français ont l’habitude d’être plus discrets en ce qui concerne leurs confidences à la presse, de nombreux observateurs ont conclu que – compte-tenu des « OPEX » (opérations extérieures) en Afghanistan, dans les Balkans, et en Afrique – la décision de l’Elysée d’envoyer 2 000 soldats pour renforcer la FINUL n’a pas été saluée avec enthousiasme Rue Saint-Dominique. En plus, il y a peu de chances que, dans les cinq à dix ans à venir, les appels faits à Washington et à Paris pour l’envoi de militaires ou, au moins, d’une assistance en logistique ou en formation (comme c’est le cas au Darfour) diminuent.

Voilà de bons arguments en faveur d’une meilleure coopération politico-militaire entre ces deux vieux alliés – bilatéralement, mais aussi à l’ONU et à l’OTAN, ainsi que dans le contexte des relations entre l’OTAN et l’UE qui doivent être transparentes, empreintes de bonne volonté et pragmatiques, ce qui nous manque encore aujourd’hui. La plupart des militaires français et américains l’ont déjà compris. Chez certains de leurs leaders politiques et de leurs diplomates, c’est moins sûr.2

 

1 – Cet article exprime les opinions personnelles de l’auteur.
  2 – Voir Léo Michel, INSS, « UE-OTAN-Etats-Unis: Vers un ménage à trois vertueux », Politique Américaine, n°4, Printemps 2006.
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