Entretien avec M. Axel Poniatowski, Député du Val d’Oise, Président du Groupe d’amitié France-Etats-Unis à l’Assemblée nationale
La Lettre Diplomatique : Monsieur le Député, pouvez-vous nous décrire la nature des relations entre le groupe d’amitié que vous présidez et vos homologues parlementaires américains ? Quelle influence peuvent avoir les échéances électorales de cet hiver aux Etats-Unis et du printemps prochain en France ?
M. Axel Poniatowski : L’objectif du groupe d’amitié France-Etats-Unis à l’Assemblée nationale est de nouer et de développer des rapports avec les parlementaires américains, ce qui est l’objectif de tout groupe d’amitié. Depuis le début de la mandature, nos rapports ont été réguliers sans être fréquents, et ont même eu tendance à s’estomper un peu plus avec les périodes électorales de part et d’autre de l’Atlantique. Ces échéances devraient d’ailleurs changer quelque chose dans la nature des relations entre les Etats-Unis et la France, ne serait-ce que par le renouvellement des acteurs politiques qu’elles vont occasionnées de part et d’autre.
Je précise que nous entretenons des rapports à la fois avec des parlementaires nationaux et avec les parlementaires des Etats. Nous recevons ainsi régulièrement des visites. Nous avons par exemple accueilli des sénateurs américains et des Représentants de l’Etat de Californie. Récemment, nous avons reçu des Représentants de l’Etat de l’Ohio, qui organisent eux-mêmes des tournées en Europe, incluant toujours un passage en France. En général, la nature des échanges avec les parlementaires nationaux est plutôt du domaine politique ; le but des missions des parlementaires des Etats est le plus souvent de nature économique.
L.L.D. : Après avoir connu l’une des plus graves crises de leur histoire, les relations transatlantiques ont pris un nouvel élan, a l’aune notamment de la volonté du Président George W. Bush de renouer avec le multilatéralisme et avec l’Europe où il a effectué son premier déplacement à l’étranger après sa réélection. Comment se traduit, selon vous, ce changement ?
A.P. : Il y a certainement eu un tournant dans la politique menée par le Président Bush au cours de son second mandat, qui a déjà été analysée sous ses différents aspects. Ce tournant s’est caractérisé par la prise de conscience du Président américain sur la complexité du monde actuel. Pour autant, je ne crois pas que le Président Bush ait fondamentalement changé dans ses convictions ; son évolution concerne davantage la méthode pour parvenir à ses objectifs.
Après la dégradation des relations franco-américaines en 2003-2004, on assiste à un rétablissement et à une nette amélioration des rapports entre la France et les Etats-Unis, en particulier sur un certain nombre de dossiers, que ce soit sur le dossier africain, sur notre coopération en Haïti qu’il faut rappeler, et sur le dossier du Moyen-Orient, en particulier sur le dossier syro-libanais et le dossier iranien. Même si nos vues ne sont pas complètement en phase sur cette question, nous manifestons une position commune, qui est aujourd’hui centrale pour sa gestion. Là où je pense qu’il reste une divergence majeure, c’est
sur la méthode à adopter et, en particulier, sur les objectifs à atteindre en matière de politique arabe. Le « Grand Moyen-Orient » est à l’évidence une notion à laquelle nous n’adhérons pas, parce que nous considérons qu’il est dangereux de vouloir démocratiser des pays arabes à l’occidentale. Ceci dit, nous constatons que les Américains en font moins référence. Je pense notamment que la victoire des islamistes aux élections municipales en Arabie saoudite y est pour quelque chose. Mais en tout état de cause, les Etats-Unis n’ont pas remis en cause leur politique à ce sujet.
L.L.D. : La redéfinition du rôle de l’OTAN a été l’un des points important du colloque sur les relations transatlantiques que vous avez pris l’initiative de réunir en janvier 2005. Dans le contexte de l’émergence d’une Europe de la défense, n’existe-t-il pas un risque de confusion des rôles ?
A.P. : Il faut tenir compte de deux éléments importants en ce qui concerne l’OTAN. D’une part, le rééquilibrage des postes et de l’autorité entre les Etats-Unis et l’Europe qui n’est envisageable que si les pays européens prennent bien conscience de la nécessité de faire monter en puissance leurs budgets de défense respectifs (quatre pays européens consacrent aujourd’hui 2% de leur PIB au budget de la défense, dont la France, les 21 autres y consacrant moins de 1%). Sans cet effort, l’Europe ne pourra pas discuter d’égal à égal avec les Etats-Unis. L’émergence d’une défense européenne est en soi nécessaire. Mais les relations entre l’Europe et l’OTAN doivent être précisées. L’instrument OTAN demeure irremplaçable notamment face à des crises particulièrement sévères, certes géographiquement plus lointaines que celles qui remettent en cause directement notre sécurité, mais qui peuvent présenter un risque pour nous, comme le terrorisme devrait pouvoir être éventuellement traité par l’OTAN.
Le deuxième élément important est la redéfinition des missions de l’OTAN que vous évoquez. Aucun désaccord ne se pose, en effet, sur la possibilité d’intervention de l’OTAN sur son champ d’action, c’est-à-dire le territoire que couvrent ses Etats membres, et dans le cadre d’un mandat de l’ONU. En revanche, il existe un vide qui doit être absolument comblé, dans le cas de projections éventuelles hors de son territoire, sans mandat de l’ONU. Le cas du Kosovo, où l’OTAN est heureusement intervenue sans mandat de l’ONU, offre de ce point de vue un bon exemple, son intervention ayant été absolument fondamentale.
L.L.D. : Le cas du Darfour en est un autre…
A.P. : Cet exemple illustre d’autant plus l’importance de la question des interventions extérieures de l’OTAN. Il est en outre dans l’intérêt de la France dont la vocation est de se mêler des affaires du monde au même titre que les Etats-Unis, que des actions extérieures soient conduites dans le cadre de l’OTAN. Si Américains ou Européens sont en mesure de mener des opérations dans leurs zones d’influence respectives, il serait, de mon point de vue, extrêmement dangereux de vouloir marginaliser l’instrument OTAN, voire d’en négliger l’utilisation dans certains cas. C’est en fait l’efficacité de la structure opérationnelle de l’OTAN qui est irremplaçable.
L.L.D. : La lutte anti-terroriste représente l’un des domaines de coopération les plus forts, en tout cas les plus médiatisés, entre les Etats-Unis et la France. En quoi est-elle significative du potentiel de coopération entre les deux pays ?
A.P. : Les Etats-Unis et la France sont les deux pays qui fonctionnent probablement le mieux ensemble en matière de lutte contre le terrorisme, notamment en matière d’échange d’information et de conduite d’actions opérationnelles. Il s’agit d’une des meilleures coopération militaire dans le monde. De plus, la France a indéniablement une expertise à apporter dans ce domaine. Les relations entre les militaires français et américains sont d’ailleurs excellentes. Notre problème reste donc un problème politique, mais en aucun cas opérationnel.
L.L.D. : Dans votre ouvrage
« Pourquoi Français et Américains ne se comprennent pas », vous revenez sur les causes des discordes qu’ont eu les deux pays au cours de ces deux derniers siècles. Dans quelle mesure, ces mésententes peuvent expliquer l’anti-américanisme que manifeste une partie de l’opinion publique française ou la francophobie, phénomène beaucoup plus récent aux Etats-Unis ?
A.P. : Je crois que les relations entre nos deux pays ont de tout temps connu des moments difficiles. Si l’on remonte à leur origine, il s’en ait fallu de peu pour que la France ne participe pas à la guerre d’indépendance américaine. Son intervention doit finalement à l’action personnelle de Benjamin Franklin. Les relations franco-américaines se sont d’ailleurs immédiatement dégradées après la guerre d’indépendance. Il est à cet égard intéressant de souligner que le premier accord international qu’ait conclu les Etats-Unis ait été un accord militaire et économique avec la France au moment de l’indépendance et que ce fut finalement le premier accord qu’ils n’aient pas respecté, puisqu’ils ont signé le traité de paix avec les Anglais sans en informer les Français. Il s’agit donc depuis toujours d’une relation très compliquée qui a connu tout au long de son histoire les épisodes difficiles que l’on connaît.
En fin de compte, nos cultures sont différentes, nos valeurs sont différentes. Mais je ne suis pas certain que l’on puisse parler d’anti-américanisme et de « french bashing », si l’on considère les liens entre les deux Etats avec du recul. Il est important de bien distinguer d’une part, les situations politiques et, d’autre part, les liens d’amitié entre les deux Etats. Les Etats-Unis sont la première puissance du monde et de très loin. Ils font à la fois valeur d’exemple, de moteur de vitalité à tout point de vue, économique, culturel, intellectuel. Ils imprègnent de leur puissance l’ensemble des pays du monde. Certains aspects de cette puissance, nous fascinent en même temps qu’il nous rebutent. Les Français ne sont peut-être pas prêt a l’accepter globalement, mais l’influence américaine dans la vie quotidienne française est indéniable. En outre, Américains et Français sont probablement les deux seuls peuples du monde à se sentir animés de façon permanente par une vocation à délivrer un message universel. Mais leurs approches ne sont pas tout à fait les mêmes. J’ajouterai que les Français sont les premiers visiteurs étrangers aux Etats-Unis et que la France est le pays que les Américains visitent le plus. Je le répète, je ne pense pas que l’on puisse parler d’anti-américanisme des Français. Il ne faut jamais oublier que les Etats-Unis seront toujours pour nous l’ultime allié.
L.L.D. : Sur le plan économique, M. Stephen Pierce, Directeur de la French-American Chamber of Commerce affirme que « le problème franco-américain n’a jamais débordé dans le monde commercial ». Comment le cadre des affaires peut-il, selon vous, encore être renforcé ?
A.P. : Les difficultés ponctuelles de la relation politique entre la France et les Etats-Unis n’ont absolument pas d’impact sur leurs relations économiques. Ce sont encore deux choses tout à fait différentes. Les Etats-Unis constituent le premier pays dans lequel nous investissons. La France est le premier pays dans lequel les Etats-Unis investissent. Le total des employés dans chacun de leurs filiales respectives, s’élève à peu près à 1 million de personnes. Nos échanges sont considérables et ne cessent de se développer. Le secteur touristique est en fin de compte le seul à subir, à fréquence irrégulière et ponctuelle, quelque contre coups des désaccords politiques. Mais cela ne dure jamais très longtemps. Après deux mauvaises saisons, ce secteur est bien reparti.
Le groupe d’amitié ne s’occupe pas vraiment des questions économiques. Mais, je voudrais souligner que si le lobbying américain est assez fort en France, celui des Français aux Etats-Unis est, à mon avis tout à fait insuffisant. Son renforcement, que ce soit aux plans économique, des médias ou dans les universités, figure d’ailleurs parmi les propositions faites au sein du groupe de travail transatlantique. Nous avons proposé la création d’une fondation pour soutenir cette activité, mais également la création d’une Commission européenne dédiée uniquement aux affaires transatlantiques ce qui me semble être une mesure très importante pour justement développer les échanges politiques et favoriser les intérêts économiques communs entre l’Europe et les Etats-Unis.