Aventis, Total, Lafarge … en sont pour l’heure les fers de lance. Chose peu connue, la France occupe, en effet, le premier rang des investisseurs étrangers au Bangladesh, avec 284 millions de dollars sur le 1,1 milliard de dollars de stock d’investissement que calcule la Banque centrale bangladaise.1 Certes, tout pourrait changer si les négociations pour un vaste projet d’investissement du groupe industriel indien Tata devaient être relancées. La présence de grands groupes français dans ce pays enclavé entre les deux géants de la zone, l’Inde et la Chine, n’en témoigne pas moins des attraits que suscite de plus en plus la mutation de l’économie bangladaise.
Pour la quatrième année consécutive, la croissance est au-dessus de 5%. Pour 2006, la Banque asiatique de Développement table sur une croissance de 6% du PIB, après le taux record de 6,7% atteint en 2005. Avec la hausse des cours du pétrole (2%) et la fin de l’accord multifibre, le Bangladesh a même fait la preuve de sa capacité d’adaptation et de résistance. L’inflation, à 7%, reste sous contrôle, même si elle constitue une préoccupation majeure de la classe moyenne émergente du pays. Les exportations continuent de croître. Pourtant, le démantèlement effectif depuis le 1er janvier 2005 du système préférentiel de quotas qui garantissait à de nombreux pays en développement l’accès aux marchés des grands pays importateurs, a fait craindre le pire. 75% des exportations, soit 7 milliards de dollars, concernent en effet des produits textile destinés en majorité aux grandes marques occidentales. Le textile génère un tiers du PIB national et emploie 2 millions de personnes, dont 80% de femmes. Deux ans plus tard, il n’en est rien, le secteur textile continue de bénéficier d’un différentiel favorable en terme de coûts de fabrication, même si la concurrence des produits chinois se fait de plus en plus sentir, notamment sur le marché américain où les exportations bangladaises ont perdu des parts de marché. Les exportations de produits textile ont ainsi augmenté de 32% en volume en 2005-2006, dynamisées par la filière de la maille, avec une hausse de 41%, au détriment du prêt-à-porter (+24%).2 Les vagues de manifestations et les incidents de l’été dernier laissent entrevoir cependant un réajustement de ce modèle de développement fondé sur le seul atout du coût de fabrication.
Dans le même temps, les investissements étrangers font une percée sans précédent sur le marché bangladais. Pour la troisième année consécutive, les flux nets d’investissements étrangers sont en hausse. Cette croissance s’est accélérée, passant selon le BOI, de 460 millions de dollars en 2004 à plus de 800 millions en 2005 et devrait dépasser le milliard de dollars en 2006. En consacrant 250 millions de dollars à la construction d’une cimenterie, le groupe français Lafarge s’est imposé comme le plus important investisseur étranger au Bangladesh, hors secteur gazier. Dans le secteur de l’eau qui est un secteur prioritaire pour le gouvernement bangladais, Degrémont a renforcé sa présence en prolongeant le contrat d’opération et de maintenance de la station de traitement d’eau de Saidabad, en partie réalisée par l’entreprise française et dont le doublement de la capacité de traitement est aujourd’hui à l’étude. La dynamique devrait toutefois ralentir en 2006, notamment en raison des échéances électorales de 2007 et avec le retrait ou la suspension de plusieurs projets d’investissements majeurs comme ceux de Asia Energy ou de Tata. Elle confirme en tous cas le regain d’attractivité du marché bangladais, même si pour l’heure le ratio des flux d’IDE entrants par habitant reste parmi les plus faibles au monde.
Le Bangladesh cherche désormais à capitaliser sur sa position géopolitique, qui en fait une véritable zone charnière entre l’Asie du Sud et les économies de l’ASEAN. Le projet d’oléoduc pour relier les gisements de gaz naturel de Birmanie avec l’Inde, via le Bangladesh en constitue une bonne illustration. Avec le port de Chittagong, véritable poumon de l’économie bangladaise par où transitent 80% de ses échanges, le Bangladesh dispose également d’un tremplin pour le désenclavement des régions du Nord-Est de l’Inde et du Sud-Ouest de la Chine. Doté d’une zone franche, le port de Chittagong fait actuellement l’objet d’études pour l’élargissement de ses capacités à traiter un flux sans cesse croissant d’échanges.
Les signes positifs que peut envoyer l’économie bangladaise aux investisseurs étrangers ne doivent toutefois pas en occulter les fragilités. Ceux-ci se plaignent parfois de l’opacité des procédures administratives ainsi que de leur lenteur : il faut ainsi 38 autorisations officielles et 57 jours de délai pour importer un produit dans le pays, contre 24 jours pour la Chine, 39 pour le Pakistan et 43 pour l’Inde. En se privant de l’anglais comme langue d’étude dans les écoles publiques après l’indépendance, le Bangladesh s’est également imposé un autre obstacle pour son insertion dans l’économie mondiale qui explique, en partie, les difficultés du pays à bénéficier, comme l’Inde, de la sous-traitance de certains secteurs d’activité, nécessitant la maîtrise de l’anglais. En dépit de son mauvais classement dans la liste de Transparency international, le rapport de la Banque mondiale « Doing Business » souligne en revanche que les normes de protection de l’investissement sont de loin supérieures à celle de la Chine et tout au moins équivalentes à celles de certains pays riches. Pays surpeuplé de 140 millions d’habitants, régulièrement dévasté par des catastrophes naturelles et dont le PIB par habitant reste inférieur à 500 dollars, le Bangladesh souffre pourtant d’une mauvaise presse. Aussi, l’étude de Goldman Sachs a-t-elle créé la surprise en début d’année en affirmant que le Bangladesh « dynamisera l’économie mondiale, avec la même envergure que les économies des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) ». Aux côtés des critères macro-économiques, de stabilité politique, d’ouverture aux échanges et à l’investissement, ainsi que de politique d’éducation, la prévision de la banque américaine d’investissement table sur le maintien de la croissance soutenue que connaît le pays depuis 2000. Dans l’analyse qu’elle consacre chaque année aux économies dans le monde, Goldman Sachs place en effet le Bangladesh dans sa liste des « Onze Prochaines » qui regroupe les économies à fort potentiel de développement. C.H.
1 – En fait la Banque centrale bangladaise ne prend pas en compte les investissements antérieurs à 1992. Evaluant le stock à 12,9 milliards de dollars, le BOI inclut dans son évaluation les actifs provenant du Pakistan oriental, lors de l’indépendance. Le FMI ne retient en revanche qu’un stock de
5 milliards de dollars depuis 1971. Voir DREE, Les IDE français et présence française au Bangladesh en 2005, 21/02/2006.
2 – Sources données éco : DREE |