Tout en faisant la part belle à la culture, les célébrations du 120ème anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la France et la Corée sont empreintes de l’aspiration partagée d’intensifier les échanges économiques. Cette longue relation d’amitié n’a-elle pas été initiée par un traité commercial. C’est donc en compagnie du Ministre français de l’Economie et des Finances, M. Thierry Breton, que Mme Han Myeong-Sook, Premier Ministre de Corée, a assisté à la cérémonie officielle de cette commémoration qui scelle le « partenariat global pour le XXIème siècle » décidé en décembre 2004 par les présidents Jacques Chirac et Roh Moo-huyn.
L’un des objectifs majeurs du partenariat franco-coréen est en effet de doubler les échanges économiques bilatéraux pour les porter à 10 milliards de dollars en 2010, contre 6 milliards de dollars fin 2005. Depuis la visite du Président Roh Moo-hyun à Paris, ceux-ci se sont accrus de 14%. Optimiste, S.E.M. Ju Chul-Ki, Ambassadeur de Corée du Sud en France, table sur la poursuite de cette tendance qui devrait permettre d’atteindre 7 milliards de dollars en 2006.1
Pour la France, l’enjeu est doublement majeur. Les visites successives à Séoul de Mme Clara Gaymard, ancienne Directrice de l’AFII, en avril dernier et de Mme Christine Lagarde, Ministre déléguée au Commerce extérieur, en mai, visent ainsi à promouvoir l’attractivité de l’économie française, où les entreprises coréennes n’ont pour l’heure consacré que 7% des investissements réalisés en Europe (550 millions d’euros en 2004). A l’inverse, la France cherche également à mobiliser ses entrepreneurs, trop timides à l’égard d’un marché coréen, semble-t-il encore trop lointain ou moins prometteur que celui de la Chine.
Le potentiel est pourtant immense de ce point de vue : 40% du PIB coréen est généré par son commerce extérieur. Une économie très ouverte donc qui, de plus, renoue avec une croissance soutenue après les années difficiles de l’après-crise financière de 1997-1998. L’économie coréenne renoue avec un fort dynamisme. Certes on est loin des taux de croissance à deux chiffres qui pendant trente ans on permis à la Corée de se hisser au 11ème rang des puissances économiques mondiales. Mais la reprise est bien là : située autour de 4% en 2005, la croissance du PIB devrait atteindre jusqu’à 6% en 2006 selon le gouvernement coréen. Surtout, la consommation des ménages redémarre enfin, venant conforter le dynamisme des exportations coréennes et ouvrant de nouvelles perspectives commerciales.
Avec près de 6 milliards de dollars de stock d’investissement la France se classe au 4ème rang des investisseurs étrangers en Corée. Les quelque 160 entreprises implantées emploient 36 000 salariés et génèrent un chiffre d’affaires de 6,8 milliards d’euros.2 Certaines à l’image de Carrefour, doivent investir pour conserver leurs parts de marché face à une concurrence locale féroce, dominée par le coréen E-Mart. Le groupe français et numéro deux mondial de la grande distribution, devrait ainsi consacrer près de 800 millions de dollars entre 2004 et 2007, qui s’ajoutent au 1,5 milliard de dollars déjà investis depuis 1996. La multiplication des annonces d’investissements depuis 2005 devrait toutefois renforcer la position française dans les prochains mois. Le constructeur Renault a ainsi prévu d’injecter 400 millions de dollars sur les trois prochaines années dans sa filiale coréenne (détenue à 70%), Renault-Samsung, qui fabrique des véhicules pour Nissan (sa filiale japonaise). Objectif : augmenter sa production de 26% par rapport à 2005 pour faire passer ses ventes à 150 000 unités tant sur le marché intérieur qu’à l’étranger, et au-delà, faire de Renault-Samsung une grande entreprise internationale tournée vers l’exportation en lui confiant notamment la production d’une partie de ses modèles haut de gamme. Dès 2007, Renault-Samsung doit franchir la première étape de la stratégie avec la réalisation d’un 4×4 tandis qu’une partie des modèles devant remplacer la Renault VelSatis sortiront de son usine d’assemblage de Busan. Dans l’industrie pétrochimique, la joint-venture Total-Samsung, créée en 2003, devrait investir 600 millions de dollars pour moderniser et élargir son site de production de Daesan. De son côté, le chimiste français Rhodia annonçait récemment un nouvel investissement de 40 millions d’euros pour renforcer la capacité de production de son site d’Onsan. Air Liquide, qui réalisait en 2004 un chiffre d’affaires de plus de 200 millions d’euros en Corée, a conclu en 2005 un contrat de 10 ans avec Dongbu Anam Semiconductor Inc pour l’exploitation et l’augmentation de la capacité du générateur d’azote (nécessaire pour préserver tout au long du processus de fabrication des puces électroniques, certains composant sensibles) du site de Bucheon. Dans le secteur financier, BNP Paribas a racheté 5,6% de Shinan Financial, deuxième groupe financier de Corée, réalisant un investissement de 800 millions d’euros et portant ainsi sa participation dans le capital de son partenaire local à 9,4%. Cet « investissement financier » comme il est qualifié par la banque française, devrait également s’accompagner du développement d’une offre de produits et de services auprès du réseau des 980 agences de Shinhan, notamment dans la banque privée et dans les financements spécialisés.3
Si l’investissement reste la pierre angulaire des relations commerciales entre les deux pays, la véritable épine dorsale du partenariat franco-coréen se structure aujourd’hui autour de fortes synergies industrielles, notamment dans les secteurs de la haute technologie. Par la révolution qu’il a engendrée, le train à grande vitesse KTX en est ainsi l’un des accomplissement les plus visionnaires. Inauguré le 3 janvier 2004, il est le fruit d’un travail commun initié entre le gouvernement coréen et le TGV d’Alstom (alors GEC-Alstom) en 1993. Autre domaine d’excellence de la coopération technologique, l’aérospatial. Fruit du contrat remporté en 2003 par Alcatel Space, devenu Alcatel Alenia Space, pour un montant de 148 millions d’euros, auprès de la société KT Corporation et de l’Agence de Développement pour la Défense (ADD), Koreasat-5 sera le 4ème satellite de communication à vocation civilo-militaire que la Corée mettra en orbite. Le consortium franco-italien a également remporté auprès de l’Institut de recherche aérospatiale de Corée (KARI) le contrat pour fournir le radar à ouverture synthétique SAR (Synthetic Aperture Radar) du satellite Kompsat-5 qui représente le plus important programme spatial d’observation de la Terre élaboré en Corée. Le KARI a également choisi la filiale Astrium d’EADS pour les satellites multifonctionnels Kompsat-2 et Coms-1. La société toulousaine Spot Image a d’ailleurs obtenu la distribution exclusive des données du satellite Kompsat-2 en dehors du territoire coréen, des Etats-Unis et du Moyen-Orient. Dans le secteur aéronautique, la société coréenne KAI (Korean Aerospace Industries) est entré dans le programme de développement du futur A 350 d’Airbus au terme de l’accord conclu en février dernier et prévoyant la production de certains composants des ailes et du fuselage. KAI conçoit d’ailleurs depuis 1998 certains éléments du fuselage et des ailes pour les familles d’appareil Airbus A320 et A330-340. Cette coopération en matière de transports aérien s’est d’ailleurs traduite par la commande de cinq appareils A 380 par la compagnie nationale Korean Air. A l’image du salon Hanbul Aerospace qui s’est tenu fin mai dernier, ces secteurs constituent un terrain fertile pour le développement de nouveaux partenariats. Accompagnée par une délégation de soixante entreprises, dont une trentaine du GIFAS (Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales), la Ministre française déléguée au Commerce extérieur, Mme Christine Lagarde, a pu y faire valoir le savoir-faire technologique français lors du salon aéronautique Hanbul Aerospace organisé à Séoul, fin mai dernier. Première réussite de la mission, le GIFAS et son homologue coréen, KAI, ont conclu un accord de coopération. Dans le domaine de la défense, les réalisations ne sont pas moins importantes. La création en 2000 d’une joint-venture entre le français Thales et le coréen Samsung est ainsi une association inédite dans l’histoire coréenne avec un partenaire étranger dans ce domaine hautement stratégique. En l’espace de quatre ans Samsung Thales Co s’est imposé au troisième rang des entreprises de défense. Récemment, la coopération dans ce secteur a d’ailleurs reçu une nouvelle impulsion, à travers l’accord de développement et de production de 245 hélicoptères de transport militaire entre le groupe Korea aerospace industries et Eurocopter (voir article Défense p.40).
La France compte bien continuer à mettre en avant tous les bénéfices réciproques de cette coopération technologique et scientifique pour accroître sa présence économique en Corée. Tout comme la création du KTX, le projet KHP peut bénéficier aux exportations françaises de biens d’équipement et favoriser des contrats avec des PME françaises. Se montrant encore bien discrètes, elles font également l’objet de l’attention du gouvernement français. La Mission économique française de Séoul a ainsi édité récemment un livret pour les encourager à se lancer sur le marché coréen. Reste que le déficit commercial, dépassant 1,2 milliard d’euros en 2005, continue de se creuser en faveur d’une Corée spécialisée sur des secteurs de pointe. L’ampleur des exportations coréennes en net recul avec une augmentation de 14,5% en 2005 contre l’envolée de 2004 (+45,5%), n’est certes pas à déplorer en ce sens qu’elles peuvent augurer de futurs investissements. Mais, sur ce plan encore les marges de manœuvre sont grandes : la part de marché française ne représente que 1%, contre 3,7% pour l’Allemagne par exemple. Paris s’intéresse ainsi de plus en plus aux retombées d’un accord de libre-échange avec la Corée.
Troisième partenaire commercial de la France en Asie, la Corée offre d’autant plus d’opportunités aux entrepreneurs français qu’elle a placé au cœur de sa stratégie de développement la promotion des investissements étrangers. Ceux-ci ont été primordiaux durant les années de restructuration. Ils le seront désormais pour faire de la péninsule coréenne la plate-forme commerciale de l’Asie du Nord-Est. C’est d’ailleurs sur leur contribution que repose la réussite de ce programme. Mais pas seulement, comme le souligne M. Lee Hwan-Kyun, Président-Directeur général de l’Autorité de la Zone économique franche d’Incheon : ce qui est plus important « est d’éliminer les facteurs négatifs qui sont fortement ancrés en Corée, comme les régulations excessives, la hausse des coûts du travail, les grèves, l’instabilité politique, le coût élevé des terrains, les taux élevés d’imposition et le sentiment anti-business. »4 Sur la corruption, Mme Han Myong-sook s’exprime d’ailleurs avec une franchise et une détermination exemplaires :
« La Corée doit imposer la transparence dans la gestion des entreprises. Nous ne voulons plus entendre parler d’affaires de pots-de-vin », déclarait-elle au Figaro lors de sa visite en France.5
Séoul ne compte pas en effet rester les bras croisés face au puissant pouvoir d’attraction de la Chine. Même les entreprises sud-coréennes regardent désormais de l’autre côté de la mer Jaune pour investir. La réorientation du commerce extérieur sud-coréen est à cet égard spectaculaire : la Chine capte aujourd’hui la moitié des investissements directs coréens contre seulement 16% en 2000 ; elle est devenue la première destination de ses exportations. Outre les nouvelles mesures qui doivent être annoncées à l’automne pour séduire les investisseurs étrangers, le gouvernement coréen a mis en chantier depuis 2004, l’édification de trois « zones économiques franches » (FEZ) destinées à attirer les multinationales et leurs sièges régionaux. C’est au travers du vaste chantier de Songdo, situé au centre de la FEZ d’Incheon, que l’on peut notamment appréhender sa détermination. Conçue pour surpasser Pudong comme carrefour commercial régional, cette future mégalopole internationale représente l’un des plus importants projets de développement commercial d’Asie. Il ne faudra pas moins de dix ans pour l’achever, avec pour ambition d’offrir un environnement entièrement dédié aux affaires, à la stimulation de l’innovation et au développement des secteurs de pointe qui font la force de frappe du commerce extérieur coréen.6
L’Etat coréen est là encore, au cœur du dispositif pour préserver l’avance de la péninsule en matière de technologies et l’information. Conçu à son initiative, le programme IT839, désigne les huit services, les trois projets d’infrastructures et les neuf nouveaux produits sur lesquels le pays veut concentrer ses efforts dans les cinq années à venir. Il pourrait coûter selon les estimations, jusqu’à 70 milliards de dollars en investissements publics et privés d’ici 2010. Ce partenariat public-privé distingue d’ailleurs la Corée de ses concurrents américain et européens. Nombre de produits concernant la téléphonie mobile, le haut débit sans fils ou encore la technologie d’identification par radiofréquence pour des produits publicitaires et liés au projet IT839, sont ainsi élaborés au sein d’instituts publics comme l’Institut de recherche en électronique et télécommunications (ETRI). Situé à Taejon, à 170 km au sud de Séoul, cet institut est doté d’un budget de 345 millions de dollars, sans toutefois tenir compte des fonds investis par les groupes coréens comme Samsung, LG Electronics ou SK Telecom. Nombre des travaux de recherche se concentrent aujourd’hui sur la téléphonie mobile, « clé de voûte en matière de télécommunication, de loisirs et d’informatique » pour les observateurs coréens. L’Etri a ainsi joué un rôle central pour la mise au point de la télévision numérique mobile.7
Face aux géants chinois et japonais, à un chômage croissant, le salut de l’économie ne peut plus en effet reposer sur son unique force exportatrice. Le gouvernement coréen a donc lancé une stratégie visant à faire de la Corée une plaque tournante logistique entièrement tournée vers les secteurs de pointe, dont l’aéroport d’Incheon est le fer de lance avec trois terminaux de fret qui verront atterrir 410 000 vols chaque année d’ici 2008. Les trois zones franches en seront les piliers, Pusan étant spécialisée dans les activités de recherche et développement, et Gwangyang dans la pétrochimie, la sidérurgie et la chimie. Le renforcement des interconnexions routières et ferroviaires entre Incheon et les deux grands ports du Sud est à cet égard primordiale. Enfin l’âme de cette stratégie reste le développement d’un savoir-faire technologique d’avant-garde.
C.H.
1 – La Tribune,
Laurent Chemineau, 6/06/2006.
2 – Chiffres de la Mission économique de Séoul. A noter que les statistiques officielles classent la France au 7ème rang des investisseurs étrangers, mais ne tiennent pas compte des investissements réalisés à travers des pays tiers comme les Pay-Bas pour Carrefour par exemple.
3 – Les Echos, 12/04/06.
4 – Korea Times, SeoJee-yeon, 17/05/06.
5 – Le Figaro, Arnaud Rodier, 9/06/06.
6 – EE Times, Richard Wallace, 25/05/04.
7 – Business Week, 13/07/05. |