Lundi 22 Avril 2019  
 

N°124 - Quatrième trimestre 2018

La lettre diplometque
  Éditorial
Entretien exclusif
Coopération
Diplomatie & Défense
Innovation
Culture
 
La lettre diplometque
La lettre diplomatique Haut
     Equateur
 
 

L’Equateur : « Pays de l’or noir et de l’or jaune »

A l'occasion du Forum latino-américain sur la Compétitivité, Madame Yvonne Juez de Baki, Ministre du Commerce extérieur de l'Equateur s'est rendue en visite officielle en France où elle a pu rencontrer M. François Loos, Secrétaire d'Etat au Commerce extérieur français et M. Renaud Muselier, Secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères, ainsi que des représentants du MEDEF. Elle nous livre son analyse des défis auxquels doit faire face le nouveau Président Lucio Gutierrez et des enjeux de l'ouverture au monde de l'Equateur.

La Lettre Diplomatique : Madame la Ministre, quel est le sens de votre visite à Paris ?

Mme Yvonne Juez de Baki : Je suis venu en visite à Paris pour tenter d'approfondir des relations qui sont déjà fortes entre la France et l'Equateur. Je crois que nous pouvons les parfaire avec l'Europe en général et avec la France en particulier. Alors que les Etats-Unis, où sont vendus plus de 40% de nos produits, sont notre principal partenaire commercial, l'Europe représente en revanche une part moins importante de notre commerce extérieur, encore plus faible pour la France. Je crois donc que c'est le moment de consolider ces relations et plus généralement celles entre l'Europe et l'Amérique latine. Nous pouvons faire tant de choses en commun. Au cours de ma visite, j'ai pu rencontrer beaucoup de gens, en particulier au MEDEF, qui partagent des intérêts communs avec l'Equateur. Ces réunions laissent entrevoir de grandes possibilités. L'Equateur est un pays vierge, mais avec un grand potentiel : c'est le pays de l'or noir et de l'or jaune. Notre pétrole attire, en effet, beaucoup d'investissements, notamment de compagnies françaises, tandis que nous sommes le premier producteur et exportateur de bananes au monde. Il existe également d'importantes ressources en légumes et fruits exotiques, en poisson et en fruits de mer. En outre, l'Equateur abrite aujourd'hui de grandes opportunités dans le secteur bancaire. C'est donc un pays doté de richesses immenses. Nos relations pourraient d'ailleurs s'ouvrir plus largement au tourisme ou tout au moins rétablir les conditions qui prévalaient avant le retrait des lignes d'Air France de l’Equateur. Pour finir, j'ai été animée dans ma mission par mon profond attachement pour la France et par ma conviction que nos relations peuvent se développer.

L.L.D. : Elu en novembre 2002, le nouveau Président Lucio Gutierrez a pris ses fonctions le 15 février 2003. Pouvez-vous nous rappeler dans quel contexte s'inscrit son action et quelles sont en résumé les grandes lignes de son programme économique et social ?

Mme Y.J.B. : L'Equateur a connu ces dix dernières années une période d'instabilité politique avec cinq présidents entre 1995 et 1999. Celle-ci a terriblement affecté le pays et accru le fossé entre la population et les hommes politiques traditionnels qui restaient au pouvoir faute de nouveaux candidats et malgré la volonté de changement exprimée par la plupart des Equatoriens. J'ai moi-même compris ce sentiment de la population et j'ai quitté mes fonctions d'Ambassadeur d'Equateur à Washington pour présenter ma candidature aux élections présidentielles. Il y a un moment où l'on sent qu'il faut un changement. Le Président Gutiérrez a remporté les élections parce qu'il incarne ce changement, symbolisé par l'alliance qu'il a réuni autour de lui, entre son parti politique et la population indienne. Les Indiens ont jusque là été laissés en marge de la vie politique alors qu'ils constituent une part majeure de la population équatorienne et qu'ils manifestent toujours leur position à l'égard de la situation du pays. La plupart des Equatoriens sont métisses à tel point que les militaires n'ont jamais vraiment pu réprimer les contestations des Indiens. Or, pour que ce métissage puisse être représenté dans la vie politique, celle-ci doit permettre la participation de ces minorités qui constituent en fait la « majorité silencieuse ». Cette union nationale est donc très importante. Comme le Président Gutiérrez, j'ai également fait valoir cette idée en proposant d'associer à mon projet la communauté indienne. Cette évolution montre bien que le moment du changement est venu en Equateur. En présentant un cabinet neuf et d'union nationale, le Président Gutiérrez a fait preuve d'une grande intelligence politique malgré l'attentisme qu'implique ce changement et qui complique l'action du gouvernement, contraint à rendre compte de résultats et non plus de paroles. C'est aussi dans cette perspective que s'inscrit l'opportunité d'ouvrir l'Equateur au monde et qui est le sens même de ma visite en France. La première chose qu'a fait le Président Gutiérrez fut en effet de se rendre aux Etats-Unis, en particulier pour négocier un nouvel accord avec le Fonds monétaire. Même si l'on peut critiquer l'action de ce dernier, son soutien est indispensable, ce qui est valable pour n'importe quel pays. Alors, nous avons accepté cette médecine forte que sont les conditions du Fonds monétaire international. La dollarisation de la monnaie équatorienne rend, en outre, la situation plus délicate du fait qu'elle implique une discipline fiscale très rigide pour sortir de la crise. Quand le Président Gutierrez est arrivé au pouvoir, le déficit fiscal atteignait plus de 700 millions de dollars. Les gouvernements du Président Mahuad qui initia la dollarisation en 1998 et du Président Noboa qui en poursuivit la mise en place, ont eu le tort de faire trop de dépenses, notamment en augmentant les salaires et en perdant le bénéfice des recettes d'environ 200 millions de dollars de la production pétrolière. La situation économique était telle qu'il a fallu prendre rapidement des décisions drastiques. Après deux mois et demi de négociations, le nouveau gouvernement équatorien a signé un accord avec le FMI et le critère de risque du pays a diminué. Les investisseurs étrangers s'intéressent maintenant à l'Equateur, en particulier des compagnies pétrolières et des banques. Ce regain d'intérêt est d'ailleurs notable dans le secteur bancaire où la crise a été très forte. Avec 80% du secteur nationalisé, seules deux banques étrangères sont présentes en Equateur : la Loyds Bank et la City Bank. Or, les taux d'intérêts que celles-ci proposent sont beaucoup moins élevés que dans ceux de la banque équatorienne, rendant difficile le financement des entreprises. C'est pourquoi, il est nécessaire d'attirer les investissements, particulièrement étrangers, dans ce secteur.

L.L.D. : Au demeurant, quelles sont les priorités du gouvernement aux planséconomique et social ?

Mme Y.J.B. : C'est la première fois en Equateur qu'un président présente dès le troisième jour après son élection son programme économique et social à la télévision, en compagnie du Ministre des Finances et des Affaires sociales. Ce programme a pour priorité de favoriser l'amélioration des conditions de vie de la population, mais il doit pour cela, selon les termes du Président Gutiérrez, “mener une économie de guerre“. Il faut en effet mettre en place des fondements solides en Equateur pour faire face aux différents problèmes. Aussi, l'aspect social de ce programme est complémentaire de son aspect économique. Certes, celui-ci impose une discipline drastique à l'Equateur, mais il n'y a pas d'autre solution. Le gouvernement s'est engagé a réduire les dépenses gouvernementales. Il a donc eu le choix entre deux alternatives : la première consistait à arrêter les subventions du ravitaillement en gaz, ce qui est très difficile dans l'immédiat car elle pénaliserait la partie la plus pauvre de la population, soit près de 2 millions de personnes qui bénéficient des bons de solidarité ; l'autre solution qui a été adoptée, était d'arrêter les subventions aux combustibles. Ces mesures provisoires sont certes très dures, mais elles sont nécessaires jusqu'à l'amélioration de la situation. Le gouvernement s'est également fixé pour objectif de promouvoir l'investissement pour que les citoyens et plus particulièrement la jeunesse de ce pays travaillent et soient mieux rémunérés. Les gens ne veulent plus de richesses importées. Concrètement, il s'agit donc de prendre des mesures sur le plan fiscal pour favoriser l'investissement. Des mesures doivent par ailleurs être prises pour mettre fin à l'hémorragie de la population : ces cinq dernières années, près de quatre cents mille Equatoriens ont quitté le pays pour les Etats-Unis, le Canada, l'Italie, l'Espagne, la France et l'Allemagne. Ce phénomène doit être enrayé parce qu'il divise les familles et dépeuple certaines régions, comme celle d'Azuay et Cuenca. L'obligation du gouvernement est enfin de donner un meilleur niveau de vie pour tout le monde. Il n'abandonne donc pas ses responsabilités sociales dans les domaines de la santé et de l'éducation. D'après la loi, 30% du budget devrait être ainsi consacré à l'éducation, ce qui n'a jamais été fait. Nous l'avons fait passé de 4% à 10%. Il en va de même dans le secteur de la santé. En résumé, on ne peut résoudre tous les problèmes d'un coup, mais nos ambitions sont bien là.

L.L.D. : Adoptée par votre pays depuis 1998, la dollarisation de la monnaie de l'Equateur a impliqué une perte de compétitivité de son industrie, notamment manufacturière. De qu'elle marge de manœuvre le gouvernement dispose-t-il pour compenser ces effets négatifs ?

Mme Y.J.B. : Lorsque l'on parle de la dollarisation, il faut prendre en compte tant ses aspects positifs que ses aspects négatifs. Pendant les années 90, nous avons eu de graves problèmes : une très forte inflation et la dévaluation de la monnaie nationale, le Sucre. Les gens thésaurisaient leur argent dans le matelas, ce que l'on appelle les « colchonbank », les bas de laine, provoquant la crise bancaire. Le manque de confiance à l'égard de la monnaie nationale se traduisit par un échange systématique en dollar. Dans ces conditions les autorités équatoriennes ont décidé de faire du dollar la seule monnaie en circulation, institutionnalisant ainsi une situation de fait. De ce point de vue, le cas de l'Argentine est différent puisqu'il s'agit de la convertibilité du peso en dollar : les deux monnaies sont laissées en circulation, l'Etat conservant le droit d'imprimer de la monnaie, contrairement à nous qui ne pouvons plus le faire. Si la dollarisation a eu pour effet de contribuer à réduire l'inflation et le retour de la confiance, elle a, en revanche, provoqué une perte de compétitivité de l'industrie équatorienne. La Colombie, la Bolivie, le Pérou, le Vénézuela étant libres de dévaluer leur monnaie, notre capacité à rester compétitif est délicate dans un tel environnement. Ce problème qui n'est pas nouveau est une autre des priorités du gouvernement qui en a confié la charge au Conseil national de la Compétitivité en collaboration avec le Ministère du Commerce extérieur mais aussi avec d'autres ministères. Or, être compétitif signifie de faire mieux en apportant de la valeur ajoutée à nos produits. Si l'on dispose d'importantes ressources en matières premières, nous n'avons pas d'industrie mobilisant des ressources technologiques. C'est aussi sur ce point très important que travaille le gouvernement, notamment dans le secteur du textile par exemple. La forte inflation et la dévaluation nous ont empêché d'acquérir cette compétitivité. C'est en aidant les artisans et surtout les PME que nous pourrons devenir compétitifs. Le gouvernement a de ce côté donné une impulsion forte en fournissant des avantages qui sont susceptibles de renforcer l'activité de ces catégories d'entrepreneurs. Dans les deux mois qui se sont écoulés depuis la prise de fonction du Président Gutiérrez, nous pouvons voir la différence, même si dans ce domaine aussi, les efforts avaient déjà été entamés. Nos entreprises sont déjà plus compétitives puisqu'elles peuvent vendre directement, sans intermédiaires. L'aide de l'Etat a permis de révéler le dynamisme des jeunes qui veulent accroître leurs performances que ce soit sur le plan de la qualité ou de la quantité. Si la qualité de nos produits est très bonne, nous devons affirmer le label Equateur. Peu de gens connaissent ainsi la véritable origine des chapeaux Panama, qui sont en fait équatoriens (les Monte Cristi ou jipijapa) et fabriqués de manière artisanale. Il en va de même des fromages conçus dans la région de Salinas. Mais nous devons aussi augmenter la quantité de notre production nationale. L'autre secteur qui doit être développé en Equateur est celui du tourisme. Les recettes de l'Etat proviennent par ordre d'importance du pétrole, de l'argent des Equatoriens vivant à l'étranger, de la banane, des crevettes. Le tourisme n'occupe que la quatrième position, alors qu'il devrait être en première position parce que nous avons un potentiel très important dans ce domaine. Notre tourisme interne se porte bien, mais le tourisme externe doit en effet être renforcé. Par exemple, l'Equateur est un pays connu, mais beaucoup de gens ignorent que les Galapagos appartiennent à l'Equateur. Il possède également l'Amazonie, des lacs, des montagnes et parmi les meilleures plages du monde. Il faudrait promouvoir toutes ces ressources et établir des programmes touristiques comme le fait le Pérou avec Machu Pichu. Je pense qu'il faut également multiplier les lignes aériennes. En bref, il nous faut donc promouvoir l'Equateur dans son ensemble. Pour ce qui est du pétrole, nous pouvons également accroître notre production. Le nouveau pipeline va ainsi permettre de dépasser 800 000 barils par jour, sans qu'il soit utilisé à plein. Le pétrole n'attire pas encore assez d'investissements, mais celui-ci devrait à l'avenir en drainer plus. Mais il ne faut pas que nous dépendions uniquement du pétrole dont les recettes varient au gré des fluctuations des prix mondiaux. Pour pallier à ce problème, nous avons d'ailleurs constitué un fonds spécial, le fonds de réserve, qui était également une des requêtes du FMI. En outre, les autres secteurs doivent également pouvoir bénéficier de nouveaux investissements. L'Equateur dispose à cet égard d'une autre ressource prometteuse, sur son flanc amazonien, à l'Est du pays : la plus grande biodiversité de plantes médicinales du monde y est concentré. Cette richesse en médecine homéopathique pourrait notamment attirer l'Europe qui est la première à s'être intéressé au développement de ce secteur extrêmement porteur.

L.L.D. : A la lumière des rencontres que vous avez eu avec des représentants du MEDEF et des chefs d'entreprises français, qu'attendez-vous des investisseurs français, et dans quels secteurs pensez-vous que les entreprises françaises aient un grand avenir en Equateur ?

Mme Y.J.B. : Beaucoup de compagnies françaises sont intéressées par les ressources de l'Equateur, surtout dans les secteurs bancaire, pétrolier, dans ceux des télécommunications, de la chimie, de la pharmaceutique, de l'électricité, du tourisme, de l'agro-alimentaire et de la construction (notamment les aéroports). De très grands projets existent dans tous ces domaines, comme à titre d'exemple le projet de construction d'une autoroute Quito-Guayquil. A l'occasion de ma visite à Paris, j'ai ainsi pu signer un important projet pour la sécurité des investissements et pour lequel nous avons adopté une loi.
Retour en haut de page
 
 

 
La lettre diplomatique Bas
  Présentation - Derniers Numéros - Archives - Nos Liens - Contacts - Mentions Légales