Un Partenariat d’exception tourné vers les défis de la scène internationale
À cinq mois de l’inauguration officielle, à la mi-juillet 2018, des célébrations du 160ème anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre le Japon et la France, le programme élaboré par la Japan Foundation s’annonce ambitieux. Couvrant plus de quatre millénaires d’histoire de l’art du Japon, « Japonismes 2018 : les âmes en résonance » aspire à faire dialoguer les deux cultures. Un projet à la hauteur des affinités qu’elles ont nouées et d’un partenariat stratégique ancré dans les réalités du 21ème siècle.
Moins de deux ans après avoir annoncé l’organisation en France des manifestations culturelles pour célébrer les 160 ans des relations franco-japonaises, le Premier Ministre Shinzo Abe devrait participer, aux côtés du Président Emmanuel Macron, à l’inauguration de « Japonismes 2018 : les âmes en résonance ».
Des enjeux stratégiques au cœur du renforcement des liens franco-japonais En 2018, le Japon et la France célébreront plus précisément le 160ème anniversaire du traité de paix, d’amitié et de commerce signé à Edo le 9 octobre 1858. Après quatre années de négociations avec le shogunat Tokugawa, le baron Jean-Baptiste Louis Gros permet ainsi à la France d’établir des relations avec l’Archipel et d’accéder à son marché, au même rang que les autres grandes puissances occidentales. Dix ans plus tard, en 1868, la fin du shogunat marquera la restauration de Meiji, événement qui sera au cœur des célébrations de 2018 au Japon. L’Archipel entre alors dans une nouvelle ère, ouverte sur la modernité et l’Occident, et à laquelle la France participe activement. En dépit des différends qui ont pu jalonner leur histoire commune, la profondeur acquise par les relations franco-japonaises dépasse largement les seules affinités culturelles et économiques. L’intensification de leur dialogue politique pourrait d’ailleurs être utilement mise en valeur par la visite attendue du Président Emmanuel Macron à Tokyo, qui s’inscrirait dans la continuité des déplacements effectués par les chefs d’État français au Japon depuis celui de François Mitterrand, en avril 1982. Des questions de gouvernance économique à celles relatives à la lutte contre le réchauffement climatique et à la sécurité, Paris et Tokyo partagent, nombre de vues convergentes qui ne manqueront pas d’être mises en exergue lors des présidences française du G7 et japonaise du G20 en 2019. Depuis le 7 juin 2013, les deux puissances ont initié un « partenariat d’exception » prévoyant un sommet annuel au plus haut niveau des deux États et des rencontres dites « 2+2 » entre leurs ministres respectifs des Affaires étrangères et de la Défense. Cinq ans après, le Président Emmanuel Macron et le Premier Ministre Shinzo Abe devront en renouveler la feuille de route. Avec en tête des priorités la coopération de défense et d’équipement militaire, comme ils l’ont réaffirmé lors de leur deuxième rencontre à New York, le 21 septembre 2017, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies. Tous deux ont indiqué leur volonté d’accélérer les négociations sur un accord d’acquisition et de soutien logistique (ACSA). Selon le communiqué transmis à l’issue de la 3ème session du séminaire franco-japonais « 2+2 », celui-ci permettra de « renforcer à terme, l’interopérabilité entre les armées française et japonaise » et ainsi « faciliter leur participation conjointe à des exercices, des opérations de maintien de la paix ou de secours humanitaire ». La perspective d’un tel accord participe du resserrement des liens militaires initié avec la signature, en mars 2015, d’un accord sur le transfert d’équipements et de technologies de défense entré en vigueur le 1er décembre 2016. L’objectif est de mettre en œuvre une coopération notamment sur les drones sous-marins destinés à la lutte anti-mines. Signe du tournant qu’il marque pour les relations franco-japonaises, le Rapport de l’ancien Sénateur Daniel Reiner, souligne dans sa conclusion que « cet accord résulte d’un véritable changement dans la politique de défense japonaise et d’une volonté tout à fait inédite, quoiqu’encore très prudente, d’ouverture et de diversification des partenariats stratégiques de la part du Japon, que la France se doit d’accompagner. » Si les États-Unis demeurent le partenaire privilégié du Japon pour sa sécurité, cet accord est, en effet, calqué sur ceux du même type conclus avec le Royaume-Uni en 2013 et l’Australie l’année suivante. Ceux-ci résultent de la révision de la politique de défense japonaise, entamée au début des années 2000 et poursuivie par le Premier ministre Shinzo Abe sous l’égide de la nouvelle stratégie de politique étrangère qu’il porte sous le slogan « Japan is back ». Face à une montée des tensions en Asie-Pacifique, le Japon cherche à adapter son positionnement stratégique et à moderniser son outil de défense. Dans le discours de politique générale prononcé devant la Diète, après sa réélection le 1er novembre 2017, le chef du gouvernement japonais pouvait ainsi affirmer, évoquant la crise nord-coréenne : « il n’est pas exagéré de dire que l’environnement sécuritaire dans lequel évolue désormais le Japon est le plus grave de l’histoire de l’après-guerre. Je continuerai à mettre en œuvre une diplomatie active soutenue par la confiance de la population. » Membre du Conseil des Nations unies et de la Commission d’armistice militaire du Commandement des Nations unies en Corée (UNCMAC), la France est directement concernée par les tensions géopolitiques dans le Pacifique, identifiée comme zone stratégique majeure par le Livre blanc sur la Défense et la sécurité nationale 2013 qui rappelle que « ses entreprises et ses ressortissants sont en nombre croissant dans la région et sa prospérité est désormais inséparable de celle de l’Asie-Pacifique ». Pour la France, le resserrement des liens avec le Japon sert sa volonté d’asseoir sa position en tant que puissance maritime et riveraine du Pacifique. De fait, Tokyo reconnaît officiellement son statut de « nation du Pacifique » et soutient son souhait de prendre part aux sommets des Dirigeants des Îles du Pacifique (PALM). Cette politique, qui ressemble à celle d’un « grand pivot vers l’Asie » de la France, s’inscrit selon le Ministère de la Défense, « dans un schéma global qui vise à mieux valoriser la présence militaire française dans l’Indopacifique et, au-delà, à développer l’interopérabilité avec les principaux partenaires de la région que sont les États-Unis, l’Australie, Singapour et le Japon. » La coopération avec ces pays alliés peut s’appuyer sur le dispositif des forces prépositionnées en Polynésie française et en Nouvelle Calédonie, ainsi que sur le déploiement d’un commandement maritime permanent dans la zone de responsabilité Asie-Pacifique (ALPACI). Établi dès 1995, le partenariat stratégique franco-japonais a pris une nouvelle dimension depuis 2013, avec pour leitmotive majeur d’assurer la libre circulation et la sécurité maritime. Sur le plan militaire, il s’agit essentiellement d’échanges d’expertises et d’actions de formation, ainsi que d’exercices conjoints que les deux pays ont prévu d’augmenter, notamment lors de la mission Jeanne d’Arc 2017, et en marge des missions de lutte contre la piraterie au Yémen.
Un attachement commun au multilatéralisme Outre le Pacifique, l’Afrique, et plus précisément « l’amélioration de la sécurité dans la bande sahélo-saharienne », a été identifiée comme l’autre zone majeur de coopération entre le Japon et la France. Il s’agit de participer « au renforcement des capacités des pays » en mettant à disposition leurs capacités et expertises techniques et de terrain dans la lutte contre le terrorisme ainsi que dans l’assistance et le secours aux populations civiles. Depuis la prise d’otage de ressortissants japonais en Algérie le 16 janvier 2013, la concertation franco-japonaise s’est d’ailleurs intensifiée dans ce domaine, le Japon cherchant plus globalement à bénéficier de l’expertise française sur l’environnement africain et moyen-oriental. Un enjeu majeur compte tenu de sa présence de plus en plus importante en Afrique (10 milliards de dollars d’investissements en 2014) d’où l’Archipel importe également nombre de matières premières. En témoigne le renforcement de sa contribution à la sécurité dans le continent, tout d’abord dans le domaine de la lutte contre la piraterie, avec la construction en 2011 de sa première base de défense hors de ses frontières depuis 1945 à Djibouti, autre pays clé de la coopération franco-japonaise en Afrique. Puis, à travers sa participation à la Mission des Nations unies au Sud-Soudan (2012-mai 2017). Significativement, le Japon est, en outre, devenu un partenaire, notamment au plan financier, du Forum de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique, lancé lors du sommet de l’Élysée en 2013 et dont la 4ème édition s’est tenue en novembre 2017 dans la capitale sénégalaise. Parallèlement, le Japon a donné un nouvel élan à sa politique d’aide au développement déployée depuis 1993 sous les auspices de la Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD).4 Lors de sa dernière édition, qui s’est tenue pour la première fois sur le continent, à Nairobi en août 2016, le Premier Ministre Shinzo Abe a annoncé un plan d’investissements de 10 milliards de dollars d’ici 2018 dans le développement des infrastructures, notamment dans le secteur énergétique. La TICAD VI a également été marquée par la mise en exergue du plan franco-japonais adopté le 5 octobre 2015 pour le développement durable, la santé et la sécurité en Afrique. En marge de la Conférence, trois mémorandums d’entente ont été signés. Le premier entre les filiales du groupe Total et de Mitsubishi Corporation dans le domaine des énergies solaires au Kenya ; et les deux autres entre Egis et Mitsubishi Corporation sur le développement du secteur ivoirien de l’eau. La Côte d’Ivoire et le Kenya sont, en effet, deux pays phares de la coopération franco-japonaise en Afrique. L’Agence japonaise de coopération internationale (JICA) et l’Agence française de Développement (AFD) œuvrent, quand à elles, depuis le 26 août 2016 à la construction d’une ville durable dans le cadre de l’aménagement du Grand Abidjan. Au port de Mombasa, où le Japon et le Kenya développent conjointement une zone économique spéciale, les groupes Bolloré et Toyota Tsusho ont, eux aussi, engagé un partenariat. Cet engagement en Afrique aux côtés de la France, répond ainsi à l’aspiration croissante du Japon à participer aux interactions multilatérales. « Après la création d’un Nouveau Japon libre et démocratique, le Japon, à son tour, a apporté son soutien aux pays en développement par le biais de la coopération internationale » expliquait le Ministre des Affaires étrangères Taro Kono, le 21 septembre 2017 à l’Université Colombia. Ajoutant : « je suis très fier de cette histoire. Mais, dans le contexte d’un environnement international en mutation le Japon devrait, jouer un rôle encore plus important, ensemble, avec des pays partageant les mêmes valeurs […]. » Parmi ces derniers, la France, avec qui le Japon défend justement la liberté, la démocratie, les droits de l’Homme, le respect de l’État de droit et l’attachement au multilatéralisme. Lors de sa visite d’Etat à Tokyo, l’ancien Président François Hollande n’avait d’ailleurs pas hésité à reconnaître devant la Diète, le 7 juin 2013, le « rôle éminent » du Japon pour la paix, plaidant pour qu’il « devienne lui-même membre permanent du Conseil de sécurité, parce que c’est une nation pacifique. » CH
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