Des liens d’amitié riches et diversifiés adossés à 160 ans de relations diplomatiques
Entretien avec S.E.M. Masato KITERA, Ambassadeur du Japon en France
Pour commémorer le 160ème anniversaire du traité de commerce et d’amitié qui marque l’établissement des relations diplomatiques entre le Japon et la France, « Japonismes 2018 : les âmes en résonance », donnera à voir le meilleur de la culture japonaise. À l’approche de son inauguration en juillet 2018, S.E.M. Masato Kitera, Ambassadeur du Japon en France, revient sur les étapes clé de l’histoire des liens franco-japonais, sur la richesse des échanges humains et économiques qui caractérisent aujourd’hui les deux pays ainsi que sur les priorités de leur partenariat d’exception.
La Lettre Diplomatique : Monsieur l’Ambassadeur, le Japon et la France commémorent en 2018 le 160ème anniversaire de l’établissement de leurs relations diplomatiques. Comment qualifieriez-vous l’importance de cette commémoration ? Au regard de leur histoire commune, quels sont les enjeux de l’approfondissement du partenariat d’exception scellé depuis cinq ans entre les deux pays ?
S.E.M. Masato KITERA : C’est la quatrième fois que je viens à Paris en tant que diplomate. Mon premier poste à l’Ambassade du Japon en France remontant à 1979, cela fait près de 40 ans que je participe aux échanges entre le Japon et la France. C’est donc un réel plaisir de constater que les liens qui unissent nos deux pays n’ont jamais été aussi amicaux. Et, dans un tel contexte, c’est aussi pour moi une grande fierté de pouvoir faire tout mon possible, en ma qualité d’Ambassadeur du Japon en France, pour célébrer au mieux ce 160ème anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques franco-japonaises. Je dis souvent que « ce sont les Françaises et les Français qui comprennent le mieux la culture japonaise, et ce sont les Japonaises et les Japonais qui comprennent le mieux la culture française ». Durant le XIXème siècle, quand le Japon croisa le chemin de l’Europe, cette dernière était balayée par le souffle du japonisme. Je souhaite que, à travers Japonismes 2018, le public français puisse découvrir et redécouvrir la culture japonaise et l’apprécier pleinement, car je suis convaincu que cela constituera le fondement de nos relations futures. Au cours des quelques 18 mois depuis ma prise de fonction au poste d’Ambassadeur du Japon en France, j’ai été particulièrement marqué par les initiatives communes de nos deux pays, qui collaborent sur le plan culturel bien sûr, mais également dans bien d’autres sphères, comme les domaines politique et économique. Avec l’élection du Président Emmanuel Macron, nos coopérations avec une France dynamique connaissent une accélération dans des secteurs variés. L’évènement Japonismes 2018 : les âmes en résonnance, qui se déroulera en 2018, symbolise le renforcement des multiples liens amicaux entre le Japon et la France, liens qui s’exercent dans de nombreux domaines : depuis le développement de la coopération nippo-française en matière de défense jusqu’au renforcement des échanges économiques et financiers bilatéraux, en passant par le développement de la collaboration scientifique et technique. Japonismes 2018 sera l’occasion de mettre en lumière ce partenariat qui unit le Japon et la France, deux pays qui partagent des valeurs identiques.
L.L.D. : À l’initiative du Premier Ministre japonais, M. Shinzo Abe, une série de manifestations culturelles seront organisées en France, de juin 2018 à février 2019, par la Fondation du Japon sur le thème Japonismes 2018 : les âmes en résonance. Quelle empreinte souhaiteriez-vous que ces célébrations laissent dans l’esprit du public français ? Quelles sont les caractéristiques du japonisme à l’époque contemporaine ?
S.E.M.M.K. : En effet, comme nous venons de l’évoquer, en 2018 nous organiserons en France Japonismes 2018, un très grand événement culturel qui commémorera le 160ème anniversaire de l’amitié nippo-française. De nombreuses manifestations célébreront la culture japonaise dans toute sa diversité. Ainsi, seront présentées les peintures de « ITO Jakuchu », encore peu connues en Europe, ou la musique « Gagaku », traditionnellement jouée à la cour impériale. Il y aura également du « Kabuki », du théâtre contemporain, de l’art moderne numérique, des jeux vidéo, des dessins animés, des arts martiaux et de la gastronomie japonaise. À travers Japonismes 2018, je souhaiterais que les Français puissent retrouver la sensibilité et la spiritualité de notre culture qui les fascinaient déjà au XIXème siècle. L’intérêt des Français pour toute la culture japonaise est profond et sincère, et Japonismes 2018 permettra, j’en suis sûr, de renforcer encore cet attrait mutuel. La fascination des Français pour le Japon et sa culture tient historiquement à la curiosité suscitée par de nouvelles formes d’expression artistique qui ont fortement marqué les avant-gardistes français les plus célèbres du XIXème siècle. 150 ans plus tard, c’est cette même quête de nouveauté qui conduit le public et les artistes français à tourner leur regard vers le Japon contemporain, source continue d’inspiration et d’innovation. Japonismes 2018 sera une formidable occasion de faire découvrir au public français une nouvelle génération d’artistes, de designers, d’architectes ou encore de cinéastes. Je suis convaincu que cet événement ouvrira aux Japonais et aux Français une nouvelle ère où les échanges culturels seront encore plus importants et enrichissants.
L.L.D. : Ancien élève de l’École nationale d’Administration (ENA), vous connaissez aussi la culture française depuis votre plus jeune enfance. Comment qualifieriez-vous les liens personnels que vous avez noués avec la France ? Plus largement, quels sont, selon vous, les vecteurs ayant contribué à cimenter les affinités culturelles, artistiques et intellectuelles entre les deux pays ?
S.E.M.M.K. : J’ai effectivement eu la chance de faire l’ENA en 1977, comme le Président de la République, mais dans la promotion précédente. J’ai beaucoup appris de cette expérience ; je n’étais pas là pour faire concurrence aux énarques français, mais plutôt pour mieux comprendre les préoccupations des hauts fonctionnaires français. Mais mes liens avec la France et la langue française remontent encore plus loin que cela. Mon père avait été nommé Attaché d’Ambassade à Paris et à Bruxelles, où j’ai passé plus de quatre ans de mon enfance, entre 6 et 11 ans. Comme il n’y avait pas d’école japonaise à l’époque, j’ai suivi un cursus classique avec les petits Français, où j’ai appris à parler la langue de Molière. La lecture de bandes dessinées m’y a d’ailleurs beaucoup aidé, grâce à Tintin, Spirou et ma préférée : Michel Vaillant de Jean Graton. Le fait d’avoir changé six fois d’écoles primaires entre Tokyo, Paris et Bruxelles m’a obligé à m’adapter sans cesse à un nouvel environnement, et m’a permis d’acquérir une plus grande conscience du monde qui m’entourait et des relations internationales… À l’évidence, mon enfance a été déterminante pour la suite de mon parcours et dans le choix de ma profession. Comme le montre mon expérience personnelle, le Japon et la France sont loin d’être l’un pour l’autre des pays hermétiques. Si on le constate aujourd’hui à travers les nombreux projets de partenariat et les coopérations que nos deux pays développent dans de nombreux domaines, cela était d’autant plus vrai il y a 160 ans, quand le Japon a établi ses premières relations diplomatiques avec la France du Second Empire. À l’époque, les promoteurs de ces échanges naissants étaient notamment les intellectuels et les artistes qui, à l’image du japonisme, trouvaient dans les arts traditionnels et la sensibilité japonaise une « nouvelle » perception du monde. Et cette influence fonctionna dans les deux sens puisque de nombreux intellectuels japonais choisirent durant les décennies suivantes de partir en France et dans le reste de l’Europe, à l’exemple du peintre Léonard Tsuguharu Foujita. Aujourd’hui encore, bien que sous une forme d’expression plus variée, la culture japonaise continue de connaître un grand succès auprès des jeunes Français, notamment à travers les mangas ou les dessins animés. Je tiens également à souligner les efforts de mes concitoyens et concitoyennes qui ont beaucoup œuvré en France comme au Japon au renforcement des relations nippo-françaises dans les milieux culturels et industriels.
L.L.D. : Dix ans après la signature du « Traité d’amitié et de commerce » entre le Japon et la France, le 9 octobre 1858, le dernier des shoguns remettait ses pouvoirs à l’Empereur Meiji. Quelle est votre perception de la contribution française au processus de modernisation dans lequel s’est alors engagé votre pays ?
S.E.M.M.K. : Les relations entre le Japon et la France débutèrent par la venue au Japon, entre la fin du Shogunat d’Edo et l’époque de la Restauration de Meiji, des conseillers occidentaux, ceux que l’on appelait les O-Yatoi Gaikokujin. La Restauration de Meiji, dont on célèbrera en 2018 le 150ème anniversaire, a notamment été une période marquée par un grand mouvement de modernisation et d’occidentalisation (Bunmei Kaika), où les Japonais ont œuvré à introduire au Japon les techniques modernes et les idées venues d’Occident. En effet, nous pouvons citer de nombreux Français parmi ceux qui avaient répondu à l’invitation du gouvernement japonais, il y a 150 ans, pour travailler en qualité de « conseillers étrangers ». Gustave Boissonade (1825-1910), connu pour être « le père du Code Civil et du droit japonais moderne », a passé plus de vingt ans dans notre pays où il s’est beaucoup investi dans l’enseignement du droit et l’établissement d’un système juridique moderne, en rédigeant notamment un projet de Code civil basé sur le Code Napoléon. Paul Brunat (1840-1908) a construit et dirigé à ses débuts la filature de Tomioka. Le Général Charles Sulpice Jules Chanoine (1835-1915), alors Capitaine et chef de la mission militaire française au Japon de 1867 à 1868, a œuvré à la modernisation de l’armée de terre japonaise. Francois Léonce Verny (1837-1908) a construit le phare Kannonzaki situé à l’embouchure de la Baie de Tokyo, ainsi que l’arsenal de Yokosuka qui a contribué à la modernisation maritime du Japon. Aujourd’hui encore, le phare demeure et, tel un fil d’Ariane, garantit la sécurité des marins. Un parc portant le nom de cet ingénieur, situé tout près de la gare de la Base Navale de Yokosuka, est connu pour être très apprécié des habitants. En 2008, année du 150ème anniversaire du « Traité d’amitié et de commerce » entre le Japon et la France, il a été choisi pour figurer sur un timbre-poste rassemblant dix français symbolisant cette entente. Louis-Emile Bertin (1840-1924) a, de son côté, contribué à la construction des arsenaux de Kure et de Sasebo ainsi qu’à celle de bâtiments militaires. Le Général de Corps Aérien Yoshitoshi Tokugawa (1884-1963), premier pilote japonais, a suivi sa formation en France et piloté avec succès l’avion Henri Farman lors de son vol inaugural en 1910. D’ici deux ans, en 2019, des manifestations sont prévues au Japon pour célébrer le 100ème anniversaire de ce vol. Jacques-Paul Faure (1869-1924), nommé Chef de la Mission militaire française au Japon en 1919, est venu enseigner le pilotage et a contribué à la modernisation de l’armée de l’air japonaise. Aujourd’hui encore, on peut voir sa statue de bronze à Tokorozawa.
L.L.D. : Le Japon est aujourd’hui le premier investisseur asiatique en France, son 2ème partenaire commercial et la première destination de ses investissements en Asie. Quels facteurs pourraient favoriser la consolidation de ces liens ? Dans quelle mesure l’accord de principe sur le partenariat économique entre votre pays et l’Union européenne est-il susceptible de favoriser cette dynamique ?
S.E.M.M.K. : Aujourd’hui, le Japon confirme sa place de premier investisseur asiatique en France et de 5ème pays créateur d’emplois sur le territoire français. La présence japonaise en France est très forte avec 490 implantations employant environ 74 000 personnes. Du secteur automobile au secteur agricole, l’investissement japonais contribue à tous les domaines de l’activité économique dans l’ensemble des régions françaises. Celui-ci est particulièrement apprécié, notamment pour sa qualité et son respect des normes sociales et environnementales, mais aussi et surtout pour sa contribution en matière d’innovation ainsi que pour sa continuité sur le moyen et long terme. Pour ce qui est du renforcement de la compétitivité économique de la France prôné par le Président Macron, il est également à noter que les produits « made in France » générés par l’investissement japonais contribuent grandement aux exportations françaises. Le modèle le plus produit en France, la Yaris de Toyota, 23 700 unités produites, dont 80% sont exportées.
S’agissant de l’accord de partenariat économique (APE) entre le Japon et l’Union européenne (UE), il est susceptible de devenir un véritable moteur, non seulement de deux régions mais aussi du monde. Près de 640 millions de personnes vont être concernées à terme par cet accord de partenariat, l’un des plus grands accords de libre-échange au monde. Ensemble, le Japon et l’UE représentent plus d’un tiers du commerce mondial. Partenaire essentiel du Japon, l’UE représente 10% du total des importations et des exportations du pays, dont elle est le 3ème partenaire commercial. De son côté, le Japon est le 6ème partenaire commercial de l’UE. La relation bilatérale nippo-française profitera donc de la nature de cet accord pour dynamiser davantage les échanges économiques de façon réciproque et respectueuse. D’ailleurs, l’APE n’est pas un simple accord de libre-échange, mais le fondement de relations renforcées entre le Japon et l’UE, qui partagent les mêmes valeurs fondamentales que sont la démocratie, l’État de droit et le respect des droits humains. Il va ainsi contribuer à fortifier les liens stratégiques entre le Japon et l’UE, dont la France est un des acteurs majeurs.
L.L.D. : La création d’un centre d’excellence dédié à l’intelligence artificielle par le groupe Fujitsu à l’École polytechnique illustre aujourd’hui le rôle clé de l’innovation dans la coopération économique franco-japonaise. Comment définiriez-vous les facteurs de coopération entre les deux pays dans les secteurs de haute technologie? Quel bilan pouvez-vous dresser de l’Année franco-japonaise de l’innovation qui s’est déroulée en 2016 ?
S.E.M.M.K. : Dans le cadre du Partenariat d’exception liant nos deux pays, l’ancien Premier ministre français Manuel Valls a rendu visite à son homologue japonais, le Premier Ministre Shinzo Abe. Le 5 octobre 2015, tous deux ont annoncé conjointement le lancement de l’Année de l’innovation dans un lieu hautement symbolique – le Musée national des Sciences émergentes et de l’Innovation (Miraikan) – en présence de nombreux chefs d’entreprise japonais et français. Durant cette année de l’innovation, plus de 100 événements ont permis à la fois d’intensifier et de valoriser cette coopération. Le 6 décembre 2016, cette initiative a été clôturée de manière solennelle et avec grand succès par le Grand forum d’Osaka, rassemblant 1 500 personnes, plus de 60 entreprises, les délégations de plusieurs collectivités locales françaises, le Gouverneur du département d’Osaka ainsi que le Maire de la ville d’Osaka. Mais le renforcement de la coopération dans ce domaine ne saurait s’arrêter en si bon chemin. Le géant numérique japonais Fujitsu a annoncé qu’il investirait sur cinq ans 50 millions d’euros en France à Saclay, pour un projet de soutien aux innovations numériques en collaboration avec le gouvernement français et l’Institut national de recherches français. Si l’on resitue, par ailleurs, le contexte d’un tel mouvement, nous constatons qu’un grand changement s’est opéré dans le monde, à savoir une nouvelle vague numérique, que l’on considère comme « la 4ème révolution industrielle ». De nouvelles technologies numériques, l’Internet des Objets, l’Intelligence artificielle et la Big Data, sont en train de provoquer de multiples changements dans l’économie et la société. Chaque pays doit se mobiliser pour s’adapter à cette nouvelle révolution industrielle. La coopération entre nos deux pays s’intensifie dans le domaine des hautes technologies afin de faire face à la nouvelle vague numérique. Au mois de janvier 2017, les Ministères de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie du Japon et de la France ont conclu un accord pour renforcer la coopération dans le domaine numérique. Je suis convaincu que cette collaboration de plus en plus étroite générera un essor économique pour nos deux pays.
L.L.D. : Depuis la catastrophe de Fukushima en 2011, la sûreté nucléaire et le développement de nouveaux réacteurs se sont affirmés comme un domaine privilégié de la coopération franco-japonaise. Quels sont les accomplissements de cette coopération ? Au-delà, comment les deux pays œuvrent-ils à la recherche de solutions technologiques pouvant contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique ?
S.E.M.M.K. : Pour le Japon, la France est un pays avec lequel les liens en matière de coopération nucléaire sont profondément ancrés. Depuis la conclusion de l’accord de coopération entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Japon pour l’utilisation de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques en 1972, les deux pays opèrent une étroite collaboration concernant, entre autres, la production d’électricité d’origine nucléaire, la sûreté, les opérations de retraitement et la recherche et développement (R&D). La coopération nippo-française se poursuit également suite à l’accident qui a eu lieu à la centrale nucléaire TEPCO Fukushima Daï-ichi en 2011. Chaque année, des réunions de haut niveau ont lieu entre les autorités de réglementation de l’énergie nucléaire japonaise et française. Des leçons ont été tirées de cet accident, il s’agit maintenant de définir et de mettre en œuvre des critères de sûreté plus élevés, ce à quoi les deux pays travaillent en étroite collaboration, en visant une application à l’échelle mondiale de ces objectifs. S’agissant de la centrale nucléaire Fukushima Daï-ichi, le démantèlement nucléaire et les mesures de lutte contre la pollution des eaux, dans lesquels sont impliquées des institutions et entreprises françaises, se déroulent favorablement, ce qui nous donne bon espoir pour la continuité et le renforcement de cette coopération. Par ailleurs, en matière de coopération industrielle et R&D, une étude de faisabilité a débuté à Sinop, en Turquie, à propos du réacteur ATMEA 1, développé en commun par Mitsubishi Heavy Industries et Areva aujourd’hui Orano, et répondant à des critères de sûreté plus stricts. D’autre part, la R&D portant notamment sur le réacteur de collision à grande vitesse et à fusion nucléaire (Programme ITER), suit parfaitement son cours, ce qui vient confirmer notre optimisme et notre confiance dans le bon déroulement de la coopération nippo-française en matière nucléaire. Dans le domaine de la lutte contre le réchauffement climatique, l’Agence d’exploration aérospatiale japonaise (JAXA) et le Centre national d’études spatiales (CNES) ont débuté une collaboration sur l’observation des gaz à effet de serre par le biais de satellites. Nous espérons des avancées en la matière grâce à ce nouveau partenariat nippo-français.
L.L.D. : Depuis son retour à la tête du gouvernement japonais en septembre 2012, le Premier Ministre Shinzo Abe a engagé une série de réformes modifiant l’approche du Japon à l’égard de sa sécurité et de son positionnement international. En quoi sa réélection le 22 octobre 2017 peut-elle favoriser l’aboutissement de son projet de révision constitutionnelle ? Quelles avancées ont été réalisées en matière de coopération de défense à l’issue de la 4ème session du séminaire franco-japonais « 2+2 » qui s’est tenue en janvier 2018 ? Comment percevez-vous l’enjeu d’une concertation plus approfondie entre les deux pays sur les questions de sécurité dans la zone Pacifique ?
S.E.M.M.K. : Le Premier Ministre Abe a placé la révision de la Constitution comme l’un des piliers principaux de son programme électoral, et les partis au pouvoir ont gagné plus de deux tiers des sièges de la Chambre des Représentants de la Diète en octobre 2017. Comme le Premier Ministre l’a lui-même souligné devant la Diète et la presse, il faut qu’il y ait une discussion constructive et approfondie à la Diète, voire un débat national en la matière. Le Premier Ministre a également mentionné qu’il n’entendait pas imposer au préalable un calendrier factice. Sur ce point, force est de constater que le Japon poursuit et poursuivra son engagement en vue de concourir à la paix et à la stabilité de la société internationale sous la bannière du principe de « contributeur proactif à la paix ». À cet égard, une coopération nippo-française plus étroite est désormais plus que jamais recherchée. Ainsi, le Japon et la France ont conclu un accord intergouvernemental portant sur le transfert d’équipements et de technologies de défense, qui est entré en vigueur fin 2016. Puis, lors du dernier « 2+2 », nos deux pays ont salué l’accord global dans le cadre des négociations pour un accord d’acquisition et de soutien logistique. Tous ces efforts contribuent non seulement à resserrer les liens entre le Japon et la France, mais aussi à permettre à nos deux pays de jouer un rôle plus actif dans la promotion de la paix et de la stabilité à l’échelle internationale. Face aux grands défis mondiaux, notre étroite collaboration en faveur du maintien et du renforcement d’un ordre international libre, ouvert et fondé sur l’État de droit a été ainsi réaffirmé lors du « 2+2 » de janvier dernier. À cette fin, le Pacifique est une région où nos deux pays peuvent davantage renforcer leur coopération, notamment dans la perspective de la réalisation d’un « espace indo-pacifique libre et ouvert ». Cette coopération s’est déjà concrétisée par des exercices conjoints dans la région et par une escale du groupe « Jeanne d’Arc » au Japon. Nos deux pays ont également un intérêt commun à travailler ensemble en Afrique, particulièrement dans le domaine du renforcement des capacités au travers de la formation au maintien de la paix et au contrôle des frontières.
L.L.D. : La France et le Japon ont adopté en 2015 un plan pour le développement durable, la santé et la sécurité. Quels en sont les résultats les plus emblématiques ? Comment est-il appelé à évoluer ? Plus largement, comment définiriez-vous les complémentarités des approches et des mécanismes d’aide au développement japonais et français ?
S.E.M.M.K. : À l’occasion de la 6ème Conférence internationale de Tokyo sur le Développement de l’Afrique (TICAD VI) de Nairobi au Kenya, la France et le Japon ont organisé le 26 août 2016 un événement conjoint consacré à l’action franco-japonaise sur le continent africain. Cette réunion a permis de faire le point sur l’état d’avancement de la mise en œuvre du « Plan franco-japonais pour le développement durable, la santé et la sécurité en Afrique » (Plan franco-japonais pour l’Afrique). Par ailleurs, au cours de l’événement, un mémorandum de coopération entre le gouvernement ivoirien, l’Agence française de Développement (AFD) et l’Agence japonaise de coopération internationale (JICA) a été signé dans le domaine de la ville durable, à Abidjan. Suite à cette signature, le Japon et la France s’engagent avec ardeur pour que ce projet commun en Côte d’Ivoire soit une réussite. Le Plan franco-japonais de coopération a été à l’origine de développements fructueux également dans d’autres secteurs. Dans le sillage des travaux menés conjointement dans le domaine médical, en particulier la recherche sur le virus Ebola engagée par l’Institut national de la Santé et de la Recherche médicale (INSERM), Fujifilm et l’Université internationale St Luke, ce Plan a rendu possible le développement de nouvelles coopérations scientifiques entre acteurs français, japonais et africains dans la lutte contre les maladies infectieuses. Une mission exploratoire de chercheurs japonais s’est rendue à l’Institut Pasteur de Madagascar à l’été 2016. La France et le Japon continueront à apporter leur contribution pour répondre aux enjeux internationaux liés à la santé, en réponse à la « Vision du Sommet du G7 à Ise-Shima sur la santé internationale » dévoilée en mai 2016 à l’issue de ce sommet. De par leurs positions géopolitique et géologique, le Japon est impliqué dans de nombreux de projets en Asie, alors que la France est plus présente en Afrique. Grâce aux effets synergétiques nés de la collaboration de nos deux pays, il sera possible de contribuer à résoudre deux enjeux majeurs complémentaires l’un de l’autre : la réalisation d’une croissance durable à l’échelle du continent africain d’une part, et la construction d’un environnement de sécurité, de paix et de stabilité, d’autre part.
L.L.D. : Paris et Tokyo accueilleront respectivement les Jeux olympiques de 2020 et 2024. Comment qualifieriez-vous l’état actuel des échanges entre les collectivistes locales japonaises et françaises ? Et comment ces échanges bénéficient aux relations franco-japonaises ?
S.E.M.M.K. : Je suis devenu Ambassadeur du Japon en Chine au moment où les relations entre ces deux pays étaient au plus bas. J’ai alors été très touché et reconnaissant aux collectivités locales nippo-chinoises d’avoir continué à échanger et partager leurs connaissances, même dans ce contexte difficile. Pour cette raison, je crois fermement que les échanges et partenariats entre collectivités sont un des piliers les plus importants des relations bilatérales. Actuellement, les échanges entre collectivités territoriales nippo-françaises sont des plus actifs. Nous avons notamment célébré en 2017 le 50ème anniversaire du jumelage entre Rennes et Sendai, et le 30ème anniversaire du jumelage entre le Val d’Oise et Osaka. Nous fêterons en 2018 les 60 ans de relation entre Paris et Kyoto ainsi que la longue amitié unissant nos deux capitales à travers l’événement Paris-Tokyo tandem. La ville de Nantes a également accueilli le Dialogue culturel et une exposition d’Art brut japonais de grande envergure, auxquels ont participé de nombreuses collectivités locales japonaises. 2017 a, de plus, vu naître trois nouveaux jumelages : entre Yamanakako et Evian-les-Bains, Nagoya et Reims, ainsi que Sagara et Saint-Valentin. Ce dernier ayant pour thème l’amour et la compréhension mutuelle, nous avons donc organisé un « mariage » entre ces deux municipalités en ma Résidence. Je souhaite que de nombreux autres jumelages puissent voir le jour autour de leur « amour mutuel ». Mais ces échanges ne s’arrêtent pas là puisque tous les deux ans ont également lieu les Rencontres franco-japonaises de la coopération décentralisée auxquelles participent un grand nombre de collectivités locales. Les 6ème Rencontres se tenant en 2018 à Kumamoto, j’invite vivement les collectivités françaises à y participer et constater la reconstruction de la ville suite au tremblement de terre d’avril 2016.
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