40 ans d’indépendance et d’émergence
Entretien avec S.E.M. Ayeid MOUSSEID YAHYA, Ambassadeur de Djibouti en France
Considérée comme le « phare de la mer Rouge », Djibouti s’est affirmée en l’espace de quatre décennies, comme un partenaire incontournable de la communauté internationale dans la lutte contre le terrorisme et la sécurisation de l’une des principales voies commerciales de la planète. Au-delà de ces enjeux, S.E.M. Ayeid Mousseid Yahya, Ambassadeur de Djibouti en France, analyse pour nous les perspectives d’intensification de la coopération avec la France, dans le contexte d’une économie djiboutienne en plein essor.
La Lettre Diplomatique : Monsieur l’Ambassadeur, la République de Djibouti a célébré le 27 juin 2017 le 40ème anniversaire de son indépendance. Comment caractériseriez-vous le chemin parcouru par votre pays et les facteurs qui sont à l’origine de sa réussite ?
S.E.M. Ayeid MOUSSEID YAHYA : Nous avons en effet célébré avec faste, le 27 juin 2017, le 40ème anniversaire de la République de Djibouti. Cet événement a été l’occasion de se rassembler à nouveau pour honorer ceux qui ont combattus pour l’indépendance et ceux qui ont ensuite commencé à bâtir notre nation. Il a également constitué une opportunité de réfléchir sur le chemin parcouru par notre pays. Un chemin dont nous ne pouvons que nous enorgueillir : Djibouti est devenu un pays qui compte dans la sous-région, un pays qui compte en Afrique et dans le monde arabe et un pays qui compte sur la scène internationale. Pour preuve, nous avons déjà eu l’honneur d’assumer de hautes responsabilités, notamment au sein d’institutions multilatérales, en tant que membre non permanent du Conseil de Sécurité des Nations unies. Quarante ans, cela représente à la fois une période relativement longue, mais encore courte à l’échelle de l’histoire des peuples. Comme le souligne souvent le Président de la République de Djibouti, S.E.M. Ismaël Omar Guelleh, nous sommes parvenus en l’espace de quatre décennies à forger la nation djiboutienne. C’est sans doute notre acquis le plus important sans lequel notre pays n’aurait pu réaliser sa réussite actuelle. Il faut bien comprendre qu’en 1977, nous avons hérité d’un rocher nu, où il n’y avait, par exemple, qu’un seul lycée et qu’un seul hôpital. Un certain nombre de pays ne croyaient d’ailleurs pas à l’indépendance de Djibouti compte tenu des défis qui prévalaient alors en Afrique de l’Est. Quarante ans plus tard, nous comptons des milliers de bacheliers. Djibouti est un pays stable, qui vit aujourd’hui en paix avec ses voisins. Grâce à l’esprit visionnaire du chef de l’État, il a su consolider son positionnement géostratégique, développer ses infrastructures, renforcer son système éducatif et ses ressources humaines, et étendre son réseau diplomatique.
L.L.D. : À l’instar du traité de défense signé le 21 décembre 2011, les relations franco-djiboutiennes se sont profondément transformées en quatre décennies. Quelles en sont les caractéristiques principales ? Comment décririez-vous les retombées de la visite officielle accomplie à Paris, le 28 février 2017, par le Président Ismaël Omar Guelleh ? À l’aune de l’élection du nouveau chef de l’État français, le 7 mai 2017, comment appréhendez-vous les changements éventuels de la politique étrangère de la France à l’égard de votre pays et, plus globalement, de l’Afrique ?
S.E.M.A.M.Y. : En ma qualité d’Ambassadeur de Djibouti en France, je considère que les relations entre Djibouti et la France sont excellentes. Si les relations diplomatiques entre nos deux États souverains ont été instaurées à l’indépendance, en 1977, nos liens sont bien plus anciens et perdurent depuis maintenant près d’un siècle et demi. À cette histoire commune, s’ajoute un autre trait d’union que je qualifierais d’éminemment important : notre langue commune, le français, qui fait de Djibouti le seul pays francophone en Afrique de l’Est. Enfin, vous évoquez les accords de défense conclus avec les autorités françaises. Ces derniers mois, nous avons d’ailleurs signé les dernières conventions qui en découlaient. Les relations djibouto-françaises sont, bien entendu, marquées par une dimension stratégique, résultant du positionnement géographique de notre pays qui en fait un pont entre la péninsule arabique d’une part et l’hinterland est-africain, d’autre part. Quant à la visite officielle accomplie par le Président Ismaël Omar Guelleh en février 2017, je dirais qu’elle a constitué une parfaite occasion de raffermir et de démontrer l’excellence des relations franco-djiboutiennes. J’ajouterais qu’il me semble normal que nos liens aient évolué. La présence militaire française a eu tendance à s’affaiblir en raison de choix budgétaires de l’État français. La France continue cependant de maintenir à Djibouti la plus vaste présence militaire française hors de son territoire national, soit plus de 1 450 soldats représentant les trois corps d’armes (Mer, Air et Terre). Cette présence est de nature stratégique dans une région, la Corne de l’Afrique, confrontée à de multiples conflits, comme en Somalie, avec les shebab, ou, malheureusement, chez notre turbulent voisin, l’Érythrée ; une région également marquée par la piraterie en Mer Rouge et dans le Golfe d’Aden et par la crise qui sévit actuellement au Yémen. Pour répondre à votre dernière question, je tiens à souligner que le Président Ismaël Omar Guelleh a eu l’occasion de féliciter le Président Emmanuel Macron. La France a élu un nouveau président, jeune et dynamique. Nous espérons vivement que nous pourrons continuer à approfondir les liens d’amitié sincères et durables que partagent nos deux pays de longue date.
L.L.D. : Selon les statistiques de la Direction générale du Trésor français, les flux d’investissements directs atteignent environ 10 millions d’euros par an en moyenne. Fort de la visite officielle du chef de l’État djiboutien au siège du MEDEF, quels vous semblent être les secteurs d’activité les plus propices à l’intensification des liens de coopération bilatéraux ?
S.E.M.A.M.Y. : Au cours de sa dernière visite officielle en France, le Président Ismaël Omar Guelleh s’est, en effet, rendu au MEDEF où il a appelé les entreprises françaises à investir dans notre pays. Comme j’ai coutume de le dire, pour danser un tango, il faut être deux et on ne danse jamais aussi bien qu’avec une personne avec qui nous partageons la même langue. C’est le cas avec la France. Or, l’intensification de nos liens commerciaux et économiques doit devenir un domaine primordial de la coopération bilatérale. Il me semble en effet essentiel de considérer davantage Djibouti comme un hub commercial et non plus simplement comme un point d’appui pour la sécurité. C’est une réalité que, j’en suis sûr, les Français comprennent très bien aujourd’hui, et au-delà, les entrepreneurs du monde entier. Aussi, nous attendons résolument les investisseurs français. Tous les secteurs d’activité sont favorables à l’approfondissement de nos échanges économiques. L’économie djiboutienne affiche une croissance soutenue qui devrait atteindre 7% en 2017. Elle est devenue compétitive et ouverte à la concurrence. Il suffit à cet égard d’observer le nombre croissant d’investisseurs internationaux qui viennent chaque jour frapper à la porte de Djibouti. Ils proviennent de toutes les régions du monde : de Turquie, de Chine et des pays du Golfe. Dans ces conditions, la France, avec ses entreprises et leur technologie, ainsi qu’avec le potentiel offert part nos liens d’amitié, a tout son rôle à jouer. C’est d’autant plus vrai que les opportunités ne se limitent pas au marché national. Comme je vous l’ai déjà dis, notre pays est un hub et un port d’éclatement commercial ouvert sur toute la région est-africaine. Le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA) compte plus de 400 millions d’habitants. Djibouti fait aussi figure de porte d’entrée directement sur un vaste marché éthiopien qui compte près de 100 millions d’habitants. Je peux à cet égard vous assurer que l’on observe déjà une certaine dynamique et qu’un nouvel élan caractérise notre collaboration économique.
L.L.D. : Avec la mise en place de nombreuses infrastructures notamment portuaires, 2017 marque une année charnière pour l’économie nationale. Comment ces nouvelles capacités sont-elles appelées à transformer votre pays ?
S.E.M.A.M.Y. : Pour dynamiser le développement de notre pays, il a fallu que l’on mette l’accent sur la valorisation de notre positionnement géostratégique et économique unique, à l’entrée du détroit de Bab el Mandeb et de la mer Rouge. Autrement dit, nous avons concentré tous nos efforts sur le renforcement de nos infrastructures. Leur impact est évidemment substantiel sur l’essor qu’a pris Djibouti au cours de ces dernières années. Et comme vous le soulignez, 2017 devrait être une année charnière particulièrement importante avec l’aboutissement de nombreux projets d’envergure. À l’indépendance, Djibouti ne comptait qu’un port. Aujourd’hui, nous en avons sept disposant de capacités modernes. Au nord du pays, deux nouveaux ports sont tout juste en cours d’achèvement : celui de Ghoubet, destiné à exporter le sel produit au lac Assal ; et celui de Tadjourah qui aura pour principale activité l’exportation de la potasse extraite en Éthiopie. Auparavant, nous avons inauguré, le 24 mai 2017, le port polyvalent de Doraleh, le plus grand du pays, qui s’ajoute aux infrastructures déjà existantes du Terminal de conteneurs. Récemment, nous avons également lancé les activités du port de Damerjog, destiné au commerce du bétail. Il s’agit d’un secteur d’activité qui a connu un essor constant, la richesse des pays d’Afrique de l’Est, comme l’Éthiopie ou la Somalie, ne se calculant pas en nombre de barils, mais en nombre de têtes de bétail qui sont exportées en grande partie vers les pays du Golfe. Or, le centre de quarantaine Damerjog fait de Djibouti un pays-de transit clé pour ces échanges.
L.L.D. : Djibouti aspire à devenir à l’horizon 2020 le premier pays africain à utiliser une énergie 100% verte. Quelles sont les solutions privilégiées pour y parvenir ?
S.E.M.A.M.Y. : Djibouti est en quelque sorte déjà sur la bonne voie à cet égard. Pour une large part, notre approvisionnement électrique est généré en Éthiopie, d’où nous l’importons grâce à une interconnexion. Parallèlement, nous avons initié depuis longtemps une politique de promotion des énergies renouvelables. Nous avons été parmi les premiers pays à valoriser le potentiel de l’énergie géothermique ; une source inépuisable à laquelle Djibouti peut accéder aisément de par ses caractéristiques géologiques. Dès 1981, nous avons engagé des études en ce sens avec des experts français, puis italiens. Par la suite, nous sommes même allés chercher les meilleurs spécialistes dans ce domaine, les Islandais. Malheureusement, la crise financière internationale a interrompu ces efforts. Mais depuis un certain temps déjà, nous avons repris ce travail par nos propres moyens. Il est conduit par un organisme djiboutien créé spécifiquement dans ce but. Nous avons effectué deux forages ouvrant de nombreuses perspectives. Bien sûr, nous nourrissons de nombreux espoirs en vue du développement de cette filière qui pourrait, j’en suis convaincu, nous permettre de devenir dans les 10 ou 15 prochaines années un pays entièrement vert et indépendant au plan énergétique. Par ailleurs, nous développons également des parcs solaires et éoliens. Deux sources énergétiques, certes intermittentes, mais dont le potentiel est immense à Djibouti.
L.L.D. : La ligne ferroviaire reliant Djibouti à Addis-Abeba a été inaugurée le 9 janvier 2017 par les autorités djiboutiennes. Comment décririez-vous l’enjeu de ce corridor ferroviaire ?
S.E.M.A.M.Y. : Il s’agit de la première ligne de chemin de fer électrique en Afrique. Celle-ci remplace l’ancienne ligne, vestige de la colonisation française, qui est tombée en désuétude. Après avoir étudié, en vain, les possibilités de coopération pour la réhabiliter avec nos partenaires français, mais aussi de l’Union européenne (UE), c’est finalement avec le soutien financier de la Chine que nous avons pu remettre en service cette voie commerciale. Elle contribuera à renforcer la circulation des biens entre Djibouti et l’Éthiopie, l’objectif étant d’atteindre jusqu’à 3 500 tonnes par jour, mais aussi de personnes. Permettez moi d’ajouter que ce n’est pas le seul projet d’envergure mis en place avec l’Éthiopie qui demeure un partenaire clé de notre pays. Il faut également mentionner l’installation d’un aqueduc d’approvisionnement de l’eau et d’une seconde ligne d’interconnexion électrique.
L.L.D. : Cette liaison ferroviaire a-t-elle, selon vous, vocation à devenir l’embryon d’une ligne transcontinentale ? Plus généralement, quelles sont les perspectives d’approfondissement de la coopération entre Djibouti et ses partenaires africains ?
S.E.M.A.M.Y. : Nous espérons, en effet, qu’un jour, cette ligne ferroviaire soit étendue vers le Sud-Soudan quand la paix reviendra, mais aussi vers le Kenya et qu’elle devienne, pourquoi pas, une transcontinentale qui relierait Djibouti à Dakar. Le Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD) prévoit de relier toutes les villes africaines par la route et par le train. Le projet d’une liaison entre Djibouti et Dakar, permettrait de réaliser des économies énormes, ne serait-ce que dans le domaine des transports. Sans compter les nouvelles routes commerciales qui pourraient s’ouvrir, par exemple, en permettant d’acheminer des conteneurs d’un côté à l’autre du continent. Plus concrètement, ces projets et ces idées témoignent du potentiel immense d’approfondissement de la coopération entre pays africains. Nous appelons de vive-voix sa réalisation. C’est d’ailleurs l’un des axes primordiaux de la politique étrangère djiboutienne. Situé aux confins de l’Afrique et du monde arabe, notre pays demeure attaché à son appartenance africaine. Le Président Ismaël Omar Guelleh participe ainsi à tous les sommets de l’Union africaine, tandis que notre diplomatie s’implique activement dans la construction africaine. Nous souhaitons pouvoir encourager le partage d’expériences entre pays africains. Certains nous sollicitent ainsi pour notre expertise dans le domaine portuaire. De notre côté, nous nous intéressons aux solutions développées en matière d’agriculture, par exemple, qui est un secteur encore insuffisamment développé à Djibouti. Un autre aspect des coopérations engagées en ce sens est illustré par les investissements de Djibouti au Soudan et en Éthiopie, pour la culture du blé ; ceci dans le but d’assurer notre sécurité alimentaire.
L.L.D. : Dépassant les frontières régionales, les aspirations de votre pays à s’affirmer comme une plateforme commerciale ont pris une dimension internationale avec le lancement le 17 janvier 2017 de la construction d’une zone franche internationale en présence du Président Ismaël Omar Guelleh. Quelles en sont les spécificités ? Dans quelle mesure traduit-elle l’essor de la coopération économique entre Djibouti et la Chine ?
S.E.M.A.M.Y. : Avant tout, je tiens à préciser que si c’est une entreprise chinoise qui est maître d’œuvre des travaux de construction, cette zone franche reste entièrement djiboutienne. Comme toute zone franche internationale, elle est ouverte à toutes les entreprises, quelle que soit leur origine. D’autres pays que la Chine y prennent part comme la Turquie, participation dont, pourtant, personne ne parle. Et nous souhaiterions vivement que d’autres pays comme la France s’y intéressent. Cette zone franche sera bénéfique tant à notre pays qu’à l’ensemble des pays de la sous-région. Il existe bien entendu un essor relativement récent de la coopération économique entre Djibouti et la Chine. Mais l’établissement des relations diplomatiques entre nos deux pays remonte à 1979. Depuis lors, nous avons forgé des liens dans de nombreux domaines. Et, à présent, nous ne pouvons que nous féliciter de l’afflux d’investissements chinois. Ils participent pleinement au développement de notre économie : notamment dans les secteurs portuaires et aéroportuaires, ou encore dans l’immobilier. Ils nous permettent de poursuivre notre stratégie de développement, ce d’autant que le projet de Nouvelles Routes de la Soie impulsé par le Président chinois XI Jinping pourrait nous ouvrir de nouvelles opportunités.
L.L.D. : Pays hôte de l’IGAD, Djibouti est un acteur pivot du développement et de la sécurité de la région. Comment votre pays envisage-t-il d’œuvrer à la stabilisation de la région, encore marquée par la persistance de conflits notamment en Somalie ?
S.E.M.A.M.Y. : Notre pays s’est toujours efforcé depuis l’indépendance de jouer un rôle pour contribuer à la stabilité de la région. Nous nous sommes toujours revendiqué comme une terre d’accueil pour les populations souffrant des conflits qui n’ont que trop meurtri la région. Les premiers sont venus de l’Ogaden en Éthiopie, puis de Somalie, de l’Érythrée et, dernièrement, du Yémen. Aux moments les plus intenses d’afflux de réfugiés, notre pays a accueilli jusqu’à l’équivalent de la moitié de sa population. Si dans la région, on considère que le Liban et la Jordanie sont les premiers pays d’accueil de réfugiés, il convient d’ajouter que Djibouti est le troisième. Nous comptons bien continuer à jouer ce rôle et à garder notre politique de bras ouverts en dépit de nos faibles moyens. Notre contribution à la stabilisation et au retour de la paix en Somalie relève, pour nous d’un devoir moral. C’est un pays avec lequel nous entretenons des relations particulières au plan linguistique, culturel et ethnique. C’est un pays qui nous a apporté son soutien dès que nous sommes partis en quête de notre indépendance. Djibouti a donc été un contributeur important à la tenue des 23 conférences internationales organisées jusqu’à présent sur la Somalie et, dont la première, la plus importante, a donné lieu aux accords d’Arta, base du déroulement actuel du processus visant à y rétablir la paix. Il est vrai que ce processus est long et qu’il reste semé d’embûches. Mais il faut aussi tenir compte du chemin parcouru. Le gouvernement de transition somalien est aujourd’hui bien en place et cherche des solutions. Nous devons le soutenir tout d’abord, financièrement, pour favoriser le développement économique et le renforcement des structures publiques, mais avant tout au plan sécuritaire.
L.L.D. : Le terrorisme islamiste des « shebabs » demeure un défi majeur pour la sécurité dans la Corne de l’Afrique. Comment s’articule l’engagement de Djibouti dans ce domaine ?
S.E.M.A.M.Y. : En effet, la lutte contre les shebabs reste le principal défi pour la Somalie, et, de facto, pour l’ensemble de la région. Notre pays demeure pleinement engagé aux côtés des autorités somaliennes comme en témoigne les deux contingents djiboutiens qui les épaulent dans cette lutte dans le cadre de la Mission de maintien de paix de l’Union africaine en Somalie (AMISOM). Comme vous le savez, Djibouti est un pays musulman, mais ouvert et riche des influences culturelles qui l’on façonnées tout au long de son histoire. Pour nous, tous les actes commis, soi-disant au nom de l’Islam ne représentent ni notre religion ni notre manière de voir et de vivre. Fort de cette conviction, nous menons ce combat contre les extrémistes dans le cadre des résolutions pertinentes du Conseil de Sécurité de l’ONU, par solidarité avec notre voisin, mais également pour notre propre sécurité et, au-delà, pour celle de l’ensemble de la communauté internationale. J’ajouterais que Djibouti va très prochainement mettre en place un Centre d’excellence de lutte contre l’extrémisme violent pour la région de la Corne de l’Afrique dans le cadre de l’IGAD. L’éducation constituera l’un de ses axes de travail les plus importants. Au-delà de l’aspect militaire, il faut en effet analyser les origines de cet extrémisme. Depuis quelques années, nous constatons une prise de conscience internationale du combat contre les causes profondes du terrorisme qui touchent à des domaines tels que l’éducation, les médias et la jeunesse. Il faut maintenant agir pour que la jeunesse désœuvrée, en proie à l’influence d’idéologies malfaisantes, mais aussi d’organisations relevant du grand banditisme, puisse s’épanouir et s’investir dans son avenir. L’éducation et le travail sont des conditions sine qua non pour mettre en échec le terrorisme et la piraterie. Il s’agit là d’un autre enjeu de sécurité pour notre région, qui a suscité l’engagement de partenaires étrangers tels que le Japon ou l’UE avec l’opération Atalante. Mais ce n’est pas en haute mer que l’on trouvera la solution.
L.L.D. : Dans le contexte de la guerre civile yéménite, Djibouti a scellé en avril 2016 une coopération militaire avec l’Arabie Saoudite. Quels sont les autres aspects du dialogue stratégique bilatéral ? Comment appréhendez-vous la reconfiguration des rapports de force dans la région ?
S.E.M.A.M.Y. : Il est certain que les liens de coopération entre Djibouti et l’Arabie saoudite tendent à s’accentuer et que la crise au Yémen les a un peu plus resserrés. Mais ces liens existent depuis le premier jour de l’indépendance de Djibouti. L’Arabie Saoudite a même été l’un de nos tous premiers partenaires. Quant à la situation régionale, nous ne pensons pas qu’elle connaisse à proprement dit une « reconfiguration ». Le monde arabe connaît une évolution, mais nous observons plutôt la réaffirmation de certains principes et du rôle de certains pays.
L.L.D. : Après la France, les États-Unis et le Japon, la Chine est, à son tour, en train de construire une base militaire à Djibouti. Quelle analyse faites-vous du rôle stratégique acquis par votre pays sur la scène régionale et internationale ? Dans quelle mesure ce statut pourrait-il engendrer des risques pour sa sécurité ?
S.E.M.A.M.Y. : Après les attentats du 11 septembre 2001 et l’adoption de la résolution 1373, la République de Djibouti a tout fait pour prendre ses responsabilités dans le combat contre le terrorisme à l’échelle internationale. Dans ce cadre, nous avons ouvert nos portes aux États-Unis qui se sont implantés dans notre pays dans le but de combattre l’extrémisme violent, suite à la guerre d’Afghanistan et dans le contexte de l’émergence de groupes violents dans notre sous-région. Le Japon quant à lui a été davantage motivé par le souci de sécuriser le commerce international face à la piraterie. Une entreprise dans laquelle c’est investi l’UE à travers l’opération Atalante. La Chine, qui est par ailleurs un membre permanent du Conseil de Sécurité, a pour sa part vu s’étoffer son rôle dans le système de maintien de la paix en Afrique. Sa présence croissante sur le continent au plan économique et de la coopération se traduit par la nécessité de protéger ses compatriotes en cas de crise. Cela a par exemple été le cas lors de la crise du Yémen : près de 4 000 ressortissants chinois s’étaient alors retrouvés bloqués, tout comme 8 000 ressortissants indiens. Nous avions alors contribué à leur évacuation. En revanche, je ne parlerai pas de « risques ». Tous nos partenaires coopèrent ensemble dans d’autres domaines. Quant à un éventuel risque terroriste, comme vous le savez, aucun pays n’est à l’abri aujourd’hui. Nous avons malheureusement une certaine expérience dans ce domaine. Dès 1987, nous avions dû faire face au terrorisme et, plus récemment, un attentat a été perpétré en mai 2014 dans un restaurant de Djibouti fréquenté par des expatriés. Bien entendu, nous avons très vite pris les dispositions nécessaires.
L.L.D. : Vous assumez depuis 2016 les fonctions d’Ambassadeur, Délégué permanent auprès de l’UNESCO. Quelles sont vos attentes du renouvellement des instances dirigeantes de cette organisation qui interviendra à l’automne 2017 ?
S.E.M.A.M.Y. : Notre pays est un acteur engagé au sein de l’UNESCO. À titre d’exemple, c’est à Djibouti qu’a été rendu public le Rapport de l’UNESCO sur la science : vers 2030 en présence de la Directrice générale de l’UNESCO, Mme Irina Bokova. Les experts djiboutiens ont d’ailleurs contribué à la traduction de ce Rapport, mettant ainsi en exergue non seulement notre participation aux activités de l’organisation, mais aussi notre appartenance au monde scientifique. C’est un aspect sur lequel je souhaite insister car Djibouti investit fortement dans l’éducation ce qui s’est traduit par une forte augmentation du nombre d’étudiant au cours de la dernière décennie. C’est aussi une indication de la volonté d’affirmation de l’Afrique sur la scène internationale. Au cours de la visite officielle qu’elle a effectuée à Djibouti, les 4 et 5 décembre 2016, Mme Irina Bokova s’est en outre entrenue avec tous les ministres concernés ainsi qu’avec le Président Ismaël Omar Guelleh, sur les moyens d’élargir notre coopération. Pour l’UNESCO, 2017 est en effet une année importante avec l’élection d’une ou un nouveau Directeur général. Nous saluons le travail accompli par Mme Irina Bokova, notamment dans les conditions difficiles provoquées par la raréfaction des fonds budgétaires de l’organisation. À cet égard, nous appelons à ce que l’UNESCO cible davantage ces programmes et à ne pas perdre de vue ce qui fait sa spécificité. Nous voulons que l’UNESCO soit cette organisation internationale qui sème l’éducation la science et la culture contre la haine, la guerre et l’extrémisme. Pour ce qui est du renouvellement de la direction générale, notre pays est attaché à une rotation géographique équitable au sein du système des Nations unies dès lors que les compétences requises sont avérées. Dans cette période difficile, l’UNESCO a besoin d’un véritable leadership.
L.L.D. : En quoi l’appartenance de Djibouti à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) demeure-t-elle, selon vous, un atout pour la redynamisation du dialogue politique bilatéral et pour la stratégie djiboutienne d’ancrage dans la mondialisation ?
S.E.M.A.M.Y. : Comme je vous l’ai dis, nous restons attaché à notre appartenance au monde francophone. Nous avons eu l’honneur d’accueillir la Secrétaire générale de l’OIF, Mme Michaëlle Jean, qui a effectué une visite officielle à Djibouti du 31 janvier au 2 février 2017. Celle-ci a été l’occasion de célébrer ensemble la Francophonie dont Mme Michaëlle Jean n’a pas hésité à dire que notre pays en restait « le phare de la Francophonie dans la Corne de l’Afrique ». De nombreux sujets ont été abordés pour approfondir nos liens de coopération à travers plusieurs initiatives comme la création prochainement d’un Centre régional pour l’enseignement de la langue française (CREF). En outre, je tiens à souligner que la Secrétaire générale de l’OIF s’est également entretenu avec des acteurs économiques réunis par la Chambre de Commerce de Djibouti. Djibouti veut pleinement soutenir la Francophonie économique que promeut Mme Michaëlle Jean et qui représente une grande opportunité de valoriser le potentiel de coopération et d’échanges de l’espace francophone.
L.L.D. : Fort de votre expérience en tant que diplomate en poste dans plusieurs pays d’Amérique latine, quels devraient être, selon vous, les prochains horizons de la diversification des partenariats de coopération Sud-Sud de votre pays ?
S.E.M.A.M.Y. : L’Amérique latine est une région que je connais bien, où j’ai été en poste pendant près de dix ans, à Cuba, en Argentine et au Brésil. Bien sûr, nous pouvons construire des ponts partout. Avec Cuba, nous avons noué des liens de coopération dans le domaine médical qui ont donné leurs preuves. Des synergies économiques ont par ailleurs été initiées avec le Brésil : c’est une entreprise brésilienne qui construit le Doraleh Container Terminal. Enfin, les liens n’ont cessé de s’accroître entre les grands blocs politiques que représentent, par exemple, les sommets Afrique-Amérique du Sud ou UNASUR-Pays arabes. Dès son accession à l’indépendance, Djibouti a cherché, à valoriser ses atouts en favorisant la diversification de ses partenariats sur la scène internationale. C’est vrai dans le domaine de la construction d’infrastructures, mais aussi dans celui du secteur financier qui compte désormais plus d’une dizaine de banques représentées dont un établissement français, la BRED. C’est vrai en matière de coopération financière avec l’adhésion de Djibouti à l’Africa Finance Corporation. Aussi grâce à la stabilité politique de notre pays, à la sagesse et à la pondération de nos dirigeants, le paysage de nos partenaires s’est largement diversifié. À la Chine, il faut ainsi ajouter les pays du Golfe ou encore la Turquie.
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