Drogue, terrorisme : près de 30 ans de lutte contre la fraude financière
Par M. David Lewis, Secrétaire exécutif du Groupe d’action financière (GAFI)
Le Groupe d’action financière (GAFI)* a parcouru un long chemin depuis sa création par le G7, en 1989. Le GAFI constituait une réponse politique aux inquiétudes croissantes liées au blanchiment de l’argent de la drogue. Près de trois décennies plus tard, le mandat du GAFI a été quelque peu étendu pour lutter contre de nouvelles menaces changeantes. Aujourd’hui, le GAFI coordonne une action globale par la mutualisation des connaissances, le développement de normes et l’évaluation des pays, avec pour objectif la protection des systèmes financiers et de l’économie au sens large du terme, contre les menaces liées au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme et de la prolifération, renforçant ainsi l’intégrité du secteur financier et contribuant à la sûreté et la sécurité. Le GAFI évalue non seulement la manière dont les pays mettent en œuvre ces normes selon des modalités qui permettent d’obtenir des résultats, mais s’engage également auprès des pays déficients. La menace posée par le terrorisme reste l’une des plus fortes sources d’inquiétude des gouvernements et des citoyens dans le monde entier. Cette menace constitue également une priorité pour le GAFI qui a élaboré, en février 2016, une stratégie consolidée pour la lutte contre le financement du terrorisme. Par le biais de cette stratégie, le GAFI s’est établi comme leader mondial des travaux destinés à comprendre les risques que le financement du terrorisme pose à la communauté internationale et à développer des réponses politiques à tous ses aspects. La stratégie se focalise sur cinq domaines distincts : – Améliorer et actualiser la compréhension des risques liés au financement du terrorisme, en particulier le financement de l’État islamique (Daesh). – Assurer que les normes du GAFI fournissent des outils à jour et efficaces pour identifier et perturber les activités de financement du terrorisme. – Vérifier que les pays appliquent effectivement et de manière appropriée les outils, y compris les sanctions financières ciblées des Nations unies, afin d’identifier et de perturber le financement du terrorisme. – Identifier et prendre des mesures en relation avec tout pays présentant des défaillances stratégiques dans la lutte contre le financement du terrorisme. – Promouvoir une coordination nationale et une coopération internationale plus efficace pour combattre le financement du terrorisme. Le rôle prépondérant du GAFI dans l’étranglement du financement du terrorisme a reçu le soutien de la communauté internationale, y compris le G20 et le G7. De plus, ce rôle a également été renforcé par l’adoption de la résolution 2253 du Conseil de Sécurité des Nations unies qui appelle à une mise en œuvre rapide et efficace des normes GAFI par tous les pays. En plus de l’attention portée au financement du terrorisme, le GAFI poursuit ses travaux de protection de l’intégrité du système financier contre d’autres menaces.
Identification des risques liés au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme En réponse aux mesures de sécurité mises en œuvre par les pays pour détecter, prévenir et punir la délinquance financière, les criminels et les terroristes vont poursuivre leurs recherches de méthodes alternatives de blanchiment des revenus de leurs crimes, ou de méthodes pour lever, déplacer et utiliser des fonds destinés au soutien du terrorisme. Il est crucial de comprendre en profondeur ces nouvelles menaces évolutives afin de garantir que les mesures destinées à combattre le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme et autres utilisations inappropriées du système financier, restent pertinentes. Le GAFI a publié un large corpus de rapports qui analyse les vulnérabilités de certains secteurs ou produits. Voici quelques exemples de rapports récents sur les typologies : Financement du terrorisme en Afrique de l’Ouest et centrale ; Le blanchiment d’argent par le transport physique de liquide ; Émergence de risques de financement du terrorisme ; et Blanchiment d’argent et risques de financement du terrorisme et vulnérabilités associées à l’or. Ces rapports contribuent à la prise de conscience des autorités publiques et du secteur privé. Dans le même temps, les rapports permettent de déterminer si le GAFI doit encore clarifier la mise en œuvre des normes pertinentes ou si ces normes elles-mêmes doivent être révisées pour répondre aux nouvelles menaces posées au système financier.
Élaboration des normes Les recommandations du GAFI fournissent aux pays les nécessaires outils juridiques, policiers et opérationnels de protection des systèmes financiers. Régulièrement, le GAFI renforce et raffine ces normes afin que les pays disposent des outils les plus puissants. La première révision complète des recommandations du GAFI a été effectuée en 2012. Depuis, le GAFI poursuit l’optimisation de certaines exigences en réponse à l’évolution des menaces ainsi que la fourniture des résultats des évaluations mutuelles conduites dans le cycle actuel des évaluations. En particulier, le GAFI a renforcé ses recommandations sur la criminalisation du financement du terrorisme afin d’assurer que les pays criminalisent le financement des voyages de combattants terroristes étrangers. De plus, le GAFI a clarifié sa norme sur les organisations à but non lucratif par le biais d’apports significatifs du secteur bénévole. Alors que certaines organisations à but non lucratif sont vulnérables au financement du terrorisme, les pays doivent adopter des mesures qui ne perturbent, ni ne découragent inutilement ou de manière disproportionnée des activités légitimes. Le GAFI publie des directives et de bonnes pratiques destinées à clarifier la mise en œuvre effective de certaines exigences de ses recommandations. Récemment, à ces documents ont été ajoutés des directives sur la criminalisation du financement du terrorisme destinées à assister les pays dans l’application totale des exigences des recommandations du GAFI et de la Convention des Nations unies sur le financement du terrorisme dans le contexte de traditions juridiques différentes. D’autres exemples comprennent une Directive sur la correspondance bancaire et une Directive sur la transparence et la propriété effective.
Évaluation de la mise en œuvre Le GAFI ne se contente pas d’élaborer des normes. Cette organisation évalue également l’efficience de la mise en œuvre de ces normes par les pays concernés. La mise en œuvre ne se limite pas à l’adoption d’un corpus de lois et réglementations. Elles sont importantes, bien entendu, mais il est fondamental qu’elles soient efficaces et permettent d’obtenir les résultats prévus. Chaque pays est unique, d’où l’inefficacité d’une approche collective destinée à réduire les menaces sur les systèmes financiers. La mise en œuvre effective des recommandations du GAFI n’est possible que si un pays concerné comprend les risques liés au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme auquel il est confronté. Cette connaissance permet à un pays de prendre les mesures nécessaires sur la base de son contexte spécifique. Une approche figée de type « cases à cocher » pourrait conduire à une forme d’atténuation de la perception des risques, mais pourrait également exclure des personnes ou des secteurs – telles que les organisations à but non lucratif ou les services de transfert de fonds – de tout accès à des produits financiers réglementés et à les pousser dès lors à rechercher des alternatives non réglementées conduisant à une augmention du risque de transactions illicites. Le GAFI utilise une approche double pour évaluer la mise en œuvre de ses recommandations. Il détermine si un pays répond aux exigences techniques de chacune de ses 40 recommandations et collecte les preuves de l’efficience opérationnelle des actions menées par ce pays. L’équipe d’évaluation fournit au pays un ensemble de recommandations ciblées sur la correction des déficiences observées. Pour un pays, une évaluation menée à bien constitue un point de départ dans le renforcement des mesures de protection de son système financier. Les pays faisant l’objet de ces évaluations sont soumis à une procédure de suivi rigoureuse. Le but du processus est de mettre la pression sur un pays afin qu’il corrige les déficiences des mesures qu’il met en œuvre pour combattre le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme et autres menaces. Cinq ans après l’adoption de son rapport d’évaluation mutuelle, un pays est soumis à une évaluation de suivi focalisée sur les progrès obtenus au niveau des actions prioritaires dans son évaluation mutuelle.
Identifier les juridictions à haut risque et non coopératives Afin de protéger le système financier international des délits de blanchiment d’argent ou de financement du terrorisme ou de la prolifération, le GAFI identifie publiquement les juridictions présentant de graves déficiences dans les mesures qu’elles prennent pour prévenir, détecter ou punir de tels délits. Cette identification publique accroît la pression sur la juridiction concernée afin qu’elle mette en œuvre les réformes nécessaires. Tout manquement à cette obligation peut avoir de graves conséquences pour sa position au sein de l’économie mondiale. Les échanges commerciaux internationaux impliquant des juridictions identifiées comme à haut risque, peuvent être soumis à des mesures supplémentaires, ce qui aurait pour effet une augmentation du coût des échanges pour les partenaires commerciaux internationaux. Dans certains cas, alors que les institutions financières recherchent de plus en plus des moyens de minimiser leurs risques, elles pourraient en venir à la conclusion que le commerce n’est simplement plus possible. Ce processus s’est révélé très efficace. Souvent, la menace d’une identification publique suffit pour que les pays concernés appliquent les mesures nécessaires destinées à renforcer les réformes dans la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. En février 2017, le GAFI avait examiné 80 juridictions dont 61 ont été publiquement identifiées. Sur ces 61 juridictions, 49 ont pris depuis les mesures nécessaires pour corriger les déficiences significatives détectées dans les mesures nécessaires pour éviter les délits au sein du système financier.
Réseau mondial Ne comprenant initialement que 16 membres, le GAFI compte aujourd’hui 35 juridictions membres et deux organisations régionales. De plus, le Groupe bénéficie d’un solide partenariat avec neuf organismes régionaux de type GAFI lui permettant d’élargir la mise en œuvre de solides mesures contre le blanchiment d’argent et contre le financement du terrorisme au-delà de ses membres eux-mêmes. Aujourd’hui, ce réseau mondial que représente le GAFI – composé de cette organisation et des organismes régionaux – regroupe 198 juridictions engagées dans la mise en œuvre de nos recommandations. Bien qu’autonomes, les organismes régionaux de type GAFI partagent des objectifs communs de protection du système financier contre les délits de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme, et d’identification et de réponse aux nouvelles menaces croissantes. Le GAFI et les organismes régionaux mettent tout en oeuvre pour assurer un très haut niveau de fonctionnement et de réciprocité dans l’ensemble du réseau mondial GAFI. Ceci est particulièrement important pour les rapports d’évaluation mutuelle, dont la qualité et la cohérence sont contrôlées par tous les membres du réseau mondial GAFI. Avec le soutien du gouvernement coréen, le GAFI a établi à Busan, en Corée, l’Institut de formation et de recherche du GAFI (Training and Research Institute ou TREIN). Son rôle est d’augmenter, par le biais de programmes de formation et de recherche, la capacité des organismes régionaux de type GAFI dans leur lutte contre les délits de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme. Le TREIN travaille à la mise en œuvre effective de mesures de protection du système financier et à l’assistance des pays membres du réseau mondial GAFI afin d’augmenter encore leurs capacités lorsque ceux-ci disposent d’un cadre moins mature de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
Priorités futures L’une des priorités du GAFI a toujours été sa proactivité face aux nouveaux développements. Cette politique lui a permis de renforcer ses normes suivant les besoins afin d’être à même de fournir aux pays de puissants outils destinés à détecter, prévenir et punir le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme, la prolifération et toute autre menace. Sous la présidence espagnole assurée par M. Juan Manuel Vega-Serrano, le GAFI s’est engagé dans un dialogue constructif avec la communauté Fintech/Regtech afin de soutenir l’innovation dans les services financiers tout en assurant la transparence et la réduction des risques associés. Le GAFI intensifie également son attention sur l’aspect opérationnel de la détection des crimes financiers. Il collabore directement avec les unités de renseignement financier de ses membres chargées des enquêtes initiées à partir de rapports de transactions suspectes soumis par les institutions financières dans leurs pays. Cet engagement assure un regard essentiel sur les défis posés et sur les moyens et outils supplémentaires nécessaires pour faciliter leurs importants travaux et optimiser l’utilisation des renseignements. La coopération internationale et le partage efficace des informations sont essentiels pour lutter contre le financement du terrorisme et le blanchiment d’argent. Les criminels et les terroristes se moquent des frontières ; ils exploitent les lacunes et les défaillances du système financier international. Le GAFI travaille à l’identification d’une part des défis posés au partage d’informations entre les agences, et d’autre part des exemples sur la manière d’améliorer de tels partages. De plus, le GAFI s’engage directement avec le secteur privé pour développer les meilleures pratiques pour mieux détecter les transactions suspectes et partager des renseignements de haute qualité. Par le biais d’une revue par des pairs, le GAFI examine les preuves de viabilité des résultats attendus suite aux actions entreprises par un pays dans sa lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Ceci inclut la collecte et l’échange effectif en temps voulu d’informations fiables. Le GAFI poursuit ses efforts sur l’optimisation de la mise en œuvre des recommandations qu’il publie et, en particulier, la disponibilité et l’échange de propriété effective et de transparence en relation avec des personnes morales et des dispositions légales. Les premières évaluations dans le cycle actuel d’évaluations mutuelles ont révélé que les pays n’avait pas totalement, ni effectivement mis en œuvre ces mesures. Ceci a également été mis en évidence par la fuite des dossiers Mossack Fonseca qui mettaient le doigt sur des avoirs cachés dans des sociétés écrans dans le monde. Dans le but d’optimiser la mise en œuvre des mesures de propriété effective et de transparence, et en réponse à un appel du G20, le GAFI collabore avec le Forum mondial pour insister sur l’importance de la propriété effective dans la perspective des processus de revue de pairs et pour coordonner les recommandations adressées aux pays selon un ensemble clair de priorités, avec le soutien du GAFI et du Forum Mondial.
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