Un foyer culturel à dimension mondiale
Pour le 50ème anniversaire des relations diplomatiques franco-singapouriennes, la Cité du Lion, qui célébrait également en 2015 cinquante ans d’indépendance, a vu les choses en grand. Partenaire stratégique de la France en Asie du Sud-Est, elle a fait de l’Hexagone un interlocuteur de premier plan dans le domaine culturel. Une relation privilégiée illustrée par la réussite du Festival Singapour en France et qui témoigne des aspirations de Singapour sur la scène artistique internationale.
Trois ans de préparation auront été nécessaires pour déployer le Festival Singapour en France, la manifestation la plus importante jamais organisée par Singapour à l’étranger. Les résultats sont là. Trois mois durant, du 26 mars au 30 juin 2015, la France a pu s’ouvrir à une culture jusque là méconnue du grand public. À travers 70 événements organisés dans tout le pays, le Festival Singapour en France a dévoilé plusieurs facettes du meilleur de la création artistique contemporaine et de l’identité de cette île située au carrefour de l’Asie. Un véritable succès qui a attiré plus de 380 000 visiteurs français surpris par le dynamisme et la diversité de la scène culturelle singapourienne.
Le multiculturalisme, puissant vecteur de l’identité singapourienne Dès son lancement au Palais de Tokyo, le Festival Singapour en France a donné le ton : la Cité-État est avant tout cosmopolite. C’est tout le sens de la performance The Incredible Adventures of Border Crossers (« L’incroyable aventure des transfrontaliers ») créée et mise en scène à cette occasion par Ong Keng Sen, par ailleurs Directeur du Singapore International Festival of Arts. Articulée autour de 12 chapitres revenant sur autant d’aspects de la vie quotidienne, elle a questionné la notion de citoyenneté autour de l’expérience de Singapour au cours d’un défilé haut en couleurs de six heures, associant photographie, vidéo, musique et documentaire. Aucun des performers (à une seule exception) n’a d’ailleurs la nationalité singapourienne et ne vient du monde du théâtre. Ils sont tous des frontaliers. Par leurs origines et leur mode de vie, ils franchissent tous d’une certaine façon la frontière. La représentation se voulait à cet égard le reflet de Singapour, de son histoire, de son présent et de son futur ; celui d’un pays où un tiers de la population est étrangère ; et où la notion de nation ne s’appréhende pas, de fait, de la même manière qu’en Europe. Jeune prodige, Darrell Ang qui a dirigé l’Orchestre symphonique de Bretagne durant trois ans, en est l’exemple même. Pour célébrer les 50 ans de relations entre Singapour et la France, celui qui est devenu le premier chef invité de l’orchestre de sa ville natale, s’est livré à cette occasion à une rencontre improbable, parce que faite d’un tour de force d’improvisation, avec le trompettitste Ibrahim Maalouf, lors du concert Est/Ouest – Nord/Sud donné à la Cité de la Musique de Paris le 28 mars 2015. Pour le directeur du Festival, M. Tan Boon Hui, il n’était d’ailleurs pas question d’exporter un projet brut dans un autre pays, mais de donner à voir la spéficité de Singapour en l’intégrant à la scène culturelle française. Car la cité du Lion (Singa Pura en sanskrit), telle qu’elle aurait été baptisée, selon la légende, à la fin du XIIIème siècle par Sang Nila Utama, a toujours baigné dans l’influence successive de multiples cultures. Avant l’arrivée de ce Prince de la puissante cité Srivijayan (île de Sumatra) qui rayonnait sur tout l’archipel malais, Singapour était Temasek, la « ville de la mer » et jouait déjà le rôle de cité-entrepôt. À cette époque l’indianisation de l’Insulinde s’achevait, l’Islam commençait à prendre son essor dans la région tandis que les colons Portugais au XIVème siècle suivis des Néerlandais au XVIème siècle y apportaient une autre culture. Si le rôle économique de Singapour déclina alors pour devenir un repaire de pirates à la faveur de Malacca puis d’Aceh, il faudra attendre l’arrivée des batisseurs britanniques emmenés par Sir Thomas Stamford Raffles pour la voir renaître. Après que celui-ci eut établi un comptoir commercial en 1819, moyennant un arrangement avec le Sultan de Johor, Hussein Shah, la construction de Keppel Harbour démarrée en 1832 préparera ensuite la Cité à devenir, avec l’ouverture du canal de Suez en 1869, ce pivôt du commerce maritime mondial que l’on connaît aujourd’hui. Cette montée en puissance attirera de nouvelles vagues migratoires successives, notamment de Chine, qui font de la population chinoise (quoique diverse) la plus importante communauté du pays (plus de 70%). Reflètant ces influences multiples, le tout jeune État singapourien se dote à l’indépendance, en 1965, de quatre langues officielles : celle des origines, le malais, celle de la plus forte composante éthnique, le chinois (en l’occurrence le mandarin par soucis d’homogénéisation), celle de la minorité venue d’Inde, le tamoul, et celle de l’ancien colon, l’anglais. L’importance prise par le pays au cours de la deuxième moitié du XXème sièce dans le commerce et la finance internationale achèveront de consacrer le modèle multiculturel de la société singapourienne en attirant une vaste immigration de travailleurs de toutes conditions sociales et de toutes origines.
Une caisse de résonnance de l’Asie du Sud-Est De la même manière qu’il revendique son multiculturalisme comme constitutif de l’identité singapourienne, la Cité du Lion se veut aussi une porte d’entrée sur l’Asie du Sud-Est et un trait d’union entre la région et l’Occident. Un rôle assumé au plan diplomatique, puisque Singapour est l’un des grands artisans de l’ASEAN et du développement de la coopération entre cette dernière avec d’autres acteurs majeurs de la scène internationale, à commencer par la Chine, l’Europe (Dialogue UE-ASEAN), ou encore les Etats-Unis. Mais c’est aussi un rôle qu’elle revendique au plan culturel. Singapour s’est ainsi doté d’un musée exclusivement consacré aux civilisations asiatiques, l’Asian Civilisations Museum, qui figure parmi les musées les plus prisés de la région de par la richesse de sa collection. Cette volonté de mettre en exergue l’art de l’Asie du Sud-Est était également présente dans l’organisation de plusieurs événements du Festival Singapour en France. Toujours au Palais de Tokyo, l’exposition Secret Archipelago qui reçut par le Président Tony Tan lors de sa visite d’État en France, s’est faite l’étandard d’artistes venus des quatre coins du sud-est asiatique avec pour parti-pris, celui de ne présenter que des artistes pas ou peu connus. Tous ont puisés dans les racines de leur culture pour créer, sur une grande variété de supports, de la sculpture à l’audiovisuel, une forme d’art échappant aux codes occidentaux tout en revendiquant pour la plupart une influence pop. L’artiste singapourien, Speak Cryptic, illustre pleinement ce creuset spacio-temporel : pour sa première grande exposition à l’étranger, il a peint une vaste fresque dans le hall d’entrée du Palais de Tokyo dont les protagonistes masqués sont au cœur de cette problématique contemporaine qu’est l’identité ou plutôt, la difficulté à se définir. À Lyon, Open Sea a fait écho à cette exposition en raison des origines diverses des artistes présentés, tandis que Art Paris Art Fair, la grande foire parisienne dédiée à l’art contemporain, accueillait, après la Russie et la Chine, Singapour et l’Asie du Sud-Est, comme invités d’honneur de son édition 2015. Une première pour la capitale française qui dévoilait à cette occasion une dizaine de galeries singapouriennes, dont IPreciation, représentant les œuvres de nombreux artistes de la région. Une forme de reconnaissance aussi pour cette scène artistique en plein essor. Et qui ne comptait pas passer inaperçu. En témoigne l’immense sculpture haute de cinq mètres, intitulée L’Écoute, de Hua Kuan Sai, installée pour l’occasion devant le Grand Palais où le visiteur était invité à s’introduire pour y écouter le son de sa propre voix. Une œuvre interactive donc. Presque une marque de fabrique de la création artistique actuelle en Asie du Sud-Est dont Singapour cherche à se faire le porte-voix. Consciente de sa taille modeste, la Cité-État a fait de son caractère cosmopolite un atout pour s’imposer sur la scène culturelle asiatique. Tout comme elle a su utiliser la spécificité de sa géopolitique pour devenir une plateforme de la finance et du commerce international, elle cherche à s’affirmer sur le marché régional et partant, mondial de l’art. Un domaine dans lequel elle a déjà effectué une percée avec la multiplication des galeries d’art, phénomène stimulé par le succès du salon Art Stage, qui est devenu après HKArt (qui se tient à Hong Kong), l’autre rendez-vous incontournable du marché de l’art en Asie. Fondé et dirigé par Lorenzo Rudolf, ancien directeur de la Foire de Bâle, il est l’événement clé du festival Singapore Art Week, conçu par le National Arts Council (NAC), en coopération avec l’Office de tourisme de Singapour et l’Economic Development Board (EDB). Sa 5ème édition se déroulera du 21 au 24 janvier 2016, avec pour ambition de dépasser les 51 000 visiteurs accueillis en 2015 et, bien entendu, de battre de nouveaux records de ventes.
La culture, une priorité pour l’avenir de Singapour Cette aspiration à faire de Singapour une cité globale des Arts trouve sans doute sa plus vive expression dans l’inauguration, le 24 novembre 2015, de la toute nouvelle National Gallery. Sans doute le « clou du spectacle » de cette année de célébrations dédiée au Cinquantenaire de l’indépendance, tant l’aboutissement de ce projet placera Singapour au premier rang des capitales culturelles asiatiques. Comptant plus de 8 000 pièces, elle promet déjà d’abriter la plus vaste collection publique d’œuvres de Singapour et d’Asie du Sud-Est. Significativement, la première exposition était intitulée Siapa Nama Kamu (en malais « Quel est votre nom ? »). Elle a mis en lumière 400 œuvres retraçant l’histoire de l’art de Singapour du XIXème siècle à nos jours, dont celles d’artistes singapouriens proéminents comme Chua Mia Tee, dont la peinture National Language Class a d’ailleurs inspiré le titre de l’exposition. Si l’éclosion de Singapour sur la scène artistique internationale est relativement récente, cet intérêt soutenu accordé par les autorités singapouriennes à la culture n’est pas une nouveauté. Depuis 2000 et le lancement du « plan Renaissance », celle-ci est considérée comme un secteur straétégique, vecteur de croissance et d’attractivité. Depuis lors, de nombreux musées ont vu le jour comme le National Museum, le Peranakan Museum, l’Asian Civilisations Museum,… De fait, le soutien financier du gouvernement au développement des activités artistiques et culturelles n’a cessé de croître, passant selon les statistiques du Ministère de la Culture, des Communautés et de la Jeunesse (MCCY) de 444,8 millions de dollars singapouriens en 2008 à 677,3 millions de dollars singapouriens en 2013, année particulièrement intense dûe en partie au redéveloppement du complexe formé par le Théâtre Victoria et le Concert Hall, réouvert en août 2014, et à la rénovation de la National Gallery de Singapour inaugurée fin novembre 2015. Cette politique culturelle affirmée n’a pas tardé à porter ses fruits comme en témoigne la forte croissance du nombre de visiteurs au sein des musées singapouriens qui est passé de 2,8 millions en 2009 à 3,2 millions en 2013. Une réussite qui se traduit également par l’attractivité de l’écosystème culturel singapourien comme l’illustre l’inauguration, le 29 mai 2015, de la Pinacothèque de Paris à Singapour au centre Fort Canning, avec l’exposition « Le Mythe de Cléopâtre ». Et Singapour ne compte pas s’arrêter là, mais en accordant désormais un appui plus prononcé à l’exportation de l’art singapourien. Le MCCY a ainsi aloué dans le budget 2014, quelque 14 millions de dollars pour les cinq prochaines années afin de promouvoir les artistes singapouriens à l’étranger, s’appuyant sur l’exemple du réalisateur Anthony Chen avec son film Ilo Ilo, internationalement primé. De son côté, le NAC a développé au cours de la dernière décenie une véritable politique de soutien financier pour favoriser la participation d’artistes singapouriens aux foires et festivals internationaux et à des résidences à l’étranger. De 2004 à 2014, quelque 850 artistes et groupes artistiques en ont ainsi bénéficié, sans compter l’appui de la NAC à la participation de Singapour à de grands événements internationaux comme la Foire du livre de Londres ou la Biénnale de Venise. Preuve d’ailleurs que l’art singapourien est désormais reconnu, la très prestigieuse maison de vente aux enchères britannique Christies a organisé, à Hong Kong, le 29 novembre 2015 une vente qui lui était spécialement dédiée. Un événement inédit jusque là. C’est dans ce cadre que s’est inscrit le succès du Festival Singapour en France. Représentant un investissement de plus de 4 millions de dollars singapouriens, celui-ci a bénéficié d’un investissement franc, tant financier que technique, de la part du gouvernement singapourien et de ses agences, principalement le National Heritage Board (NHB) et le NAC. Le fait qu’il se soit déroulé durant les célébrations du Cinquantenaire n’a fait que souligner le caractère exceptionnel de ce Festival. Comme l’a expliqué l’ancien Ministre de la Culture, des Communautés et de la Jeunesse Lawrence Wong, « lorsque les artistes se produisent à l’étranger, ils portent également le drapeau de singapour. Ils représentent une part importante de nos efforts en matière de diplomatie culturelle. » Ce d’autant que ces efforts sont également voués à se pérenniser dans le temps. La National Gallery a ainsi d’ores déjà annoncé la mise en œuvre d’une collaboration avec le Centre Pompidou, pour présenter conjointement fin 2016, une exposition sur « le modernisme recadré » qui cherchera à travers 200 œuvres (dont plus de la moitié du Centre Pompidou) à mettre en lumière les liens entre l’art de Singapour (et celui de la région) avec l’art du reste du monde. CH |