La France et Singapour célébrent le 50ème anniversaire de l’établissement de leurs relations diplomatiques
Déjà comparée à la fin du XIXème siècle par Pierre Loti à « une Babel au soleil levant », Singapour est devenu en 50 ans un pays incontournable en Asie du Sud-Est et sur la carte mondiale des échanges commerciaux et financiers. Un jubilé célébré avec faste le 9 août et tout au long de l’année 2015 qui a également coïncidé avec le 50ème anniversaire de ses relations diplomatiques avec la France dont elle a fait un partenaire stratégique. Après la défense, la recherche scientifique, la coopération universitaire et la culture sont devenues de solides vecteurs des échanges qui caractérisent leur relation privilègiée.
Cité-État de 5,4 millions d’habitants, pas plus grand que le département de Belfort ou la petite couronne parisienne avec ses 716 km2, Singapour s’est hissé en un demi siècle parmi les dix premières puissances économiques mondiales avec un PIB de 308 milliards de dollars en 2014. Revenant sur les festivités du Jubilé le 9 août 2015, le Premier Ministre Lee Hsieng Loong pouvait déclarer avec fierté : « nous avons célébré la façon dont nous avons transformé la vulnérabilité en force ». De fait, celle qui fut autrefois une cité-entrepôt, dépourvue de ressources naturelles, compte désormais parmi les pays qui s’assoient à la table du G20 comme lors du sommet qui s’est tenu en Turquie, fin novembre 2015. Auparavant, Singapour qui avait été invité pour la première fois à participer au sommet du G20 à Séoul en 2010 par la Corée du Sud, avait pris part aux sommets de Saint-Pétersbourg en 2013 et de Brisbane en 2014. Une réussite résultant de son positionnement stratégique sur le détroit de Malacca qui lui a permis de devenir une plateforme commerciale sur la plus importante route maritime de la planète. Mais au-delà de ces atouts géographiques et des retombées de l’essor fulgurant des économies asiatiques, ses dirigeants, à commencer par le père fondateur de la nation singapourienne, Lee Kuan Yew, ont très tôt misé sur des secteurs à haute intensité technologique. Ironie de l’histoire, ce dernier s’est éteint à l’âge de 91 ans, le 23 mars 2015, année de la célébration des 50 ans de l’indépendance de Singapour. Il laisse en héritage un modèle de gouvernance ayant permis un développement économique unique qui fait aujourd’hui de ce petit État d’Asie du Sud-Est, l’un des pivots de l’économie mondiale.
Une relation privilégiée avec la France Peu de jours après la disparition de Lee Kuan Yew, démarrait le 26 mars à Paris le Festival Singapour en France organisé pour marquer le 50ème anniversaire des relations entre les deux pays. Durant trois mois, le meilleur de la scène artistique singapourienne a été montré au public français. Un événement exceptionnel aussi pour Singapour qui déployait pour la première fois une manifestation culturelle d’une telle ampleur à l’étranger. Tout aussi symbolique de l’attachement que porte la Cité-État au partenariat noué avec la France, le déplacement effectué par le Président Tony Tan Keng Yam du 17 au 23 mai 2015 a marqué la première visite d’État en France d’un dirigeant singapourien et même de l’Asie du Sud-Est. Les accords de coopération signés à cette occasion mettent en exergue la qualité des synergies qu’ils entretiennent aujourd’hui, largement tournées vers des secteurs de pointe comme les technologies aérospatiales, la cybersécurité, les énergies renouvelables ou encore la sécurité nucléaire. Figurant parmi les premiers pays à avoir reconnu l’indépendance de Singapour en 1965, la France a rapidement été considérée par Lee Kuan Yew comme un partenaire possible pour le développement du pays. La visite officielle qu’il effectue en septembre 1970 à l’invitation du Président Georges Pompidou, pose les fondements d’une coopération qui ne cessera dès lors de s’enrichir jusqu’à être hissée au rang de partenariat stratégique le 22 octobre 2012. Stratégique à de nombreux points de vue. Économique bien entendu puisque Singapour est la 3ème destination des exportations françaises en Asie, un des rares pays où l’Hexagone dégage un excédent commercial (2,2 milliards d’euros en 2014). Parmi les pays européens, il est aussi le cinquième investisseur étranger (1 400 entreprises et filiales françaises sont implantées à Singapour). Des fleurons de l’industrie française comme le groupe Bouygues qui a construit le Sport Hub ou Alstom, qui participe à l’extension du réseau de métro (MRT), comptent bien continuer à laisser leur empreinte dans la transformation incessante de la Cité-État. Mais stratégique aussi au sens politique du terme, c’est-à-dire au plan de la défense et de l’armement. Dans son discours lors du National Day Rally (équivalent du discours à la nation), le 28 août 2015, le Premier Ministre Lee Hsien Loong a longuement cité les différents outils de la défense singapourienne qui ont défilé quelques jours auparavant pour la fête nationale. Parmi ceux-ci, de nombreux équipements français comme un hélicoptère Alouette et des Super-Puma conçus par Airbus Defence and Space, ainsi que des chars AMX-13 du groupe Nexter montrés au public pour la première fois. Il faudrait ajouter les frégates du type La Fayette de la DCNS ou les futurs avions de ravitaillement en vol de nouvelle génération A330 MRTT. Tout un arsenal de haute technologie française qui participe au maintien des capacités défense de la Cité-État. À cette coopération d’armement s’ajoute celle initiée en 1998 pour la formation de pilotes de l’armée de l’Air singapourienne sur la base aérienne de Cazeaux, dans le sud de la France. Loin d’être seulement le fruit du rapprochement d’intérêts communs objectifs, les relations franco-singapouriennes peuvent également s’appuyer sur une histoire commune faite par ces voyageurs français qui ont semé les premiers les germes de ce qui allait devenir un partenariat stratégique. Tout commence avec Pierre Diard et Alfred Duvaucel, naturalistes et explorateurs français, qui accompagnaient Sir Thomas Stamford Raffles lorsqu’il a fondé la cité moderne de Singapour en 1819. Dès 1840, la France y nomme un consul. Cent vingt-ans plus tard, M. Édouard Hutt sera successivement nommé Chargé d’affaires, puis Ambassadeur, après la reconnaissance de l’indépendance de Singapour par la France, le 18 septembre 1965. Des Français laissèrent aussi leur empreinte dans l’histoire de Singapour. Le Père Jean-Marie Beurel a ainsi fondé en 1852 la St Joseph’s Institution, aujourd’hui la plus ancienne école catholique du pays, dont le Président Tony Tan est un ancien élève. Plus tard, l’homme d’affaires Alfred Clouët crééra en 1892 à Singapour une marque de conserve alimentaire, Ayam Brand, qui est aujourd’hui encore distribuée partout dans le monde, y compris en France. De nombreuses personnalités y firent escale comme l’officier de la Marine et écrivain Pierre Loti, le sinologue et poète Victor Segalen, le Président du Conseil Georges Clémenceau, dont le nom a été donné à l’une des avenues les plus larges de la ville lorsqu’il y séjourna en octobre 1920, ou encore les intellectuels Jean Cocteau et André Malraux. Une Alliance française finira même par y être ouverte en 1949, près de quinze ans avant l’indépendance. Au fil de ces années, l’attractivité de Singapour auprès des Français ne s’est jamais démentie, si bien qu’en 1974, la section singapourienne de l’Association française de Malaisie prend son indépendance et devient l’AFS pour accueillir au mieux les nouveaux arrivants français. En 2015, les Français sont près de 15 000 à avoir fait le choix de s’y installer, faisant d’eux la 2ème communauté étrangère sur l’île, après les Britanniques.
Un essor économique considérable en 50 ans Cette attractivité tient pour une large part au formidable essor de Singapour. À la fois au plan économique pour avoir su valoriser ses atouts, et au plan géopolitique, la Cité-État représentant un pôle de stabilité jouant un rôle de véritable moteur de l’intégration régionale au sein de l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN). Redoutable tigre économique, Singapour caracole aujourd’hui en tête de nombreux classements mondiaux sur la compétitivité, l’environnement des affaires ou encore l’innovation. Son PIB par habitant est passé de 500 dollars en 1965 à 55 182 dollars en 2014, le situant au 3ème rang mondial selon le Fonds monétaire international (FMI). Grâce à ses infrastructures, Singapour fait également figure de hub logistique, facilitant les réexportations dans toute la région. Elle compte parmi les plus importants ports de transport de marchandises au monde et reste le premier port de transbordement. C’est aussi la première place financière de la région. Confrontée à une rude concurrence dans tous ces domaines, elle a su tirer parti de cette pression pour s’adapter sans cesse. Elle s’est ainsi tournée vers des produits à haute-valeur ajoutée, les hautes technologies, l’innovation et l’industrie de la connaissance. Les sciences de la vie comme la biomédecine, l’environnement et les technologies de l’information sont les industries qui se développent le plus. L’écosystème qu’elle continue encore aujourd’hui de parfaire à cet effet a attiré les grandes universités et écoles étrangères comme l’INSEAD qui y a ouvert une antenne dès 2000. Plus récemment, c’est l’ESSEC qui a inauguré en mai 2015 son campus à Singapour. Artisans de cette réussite, Lee Kuan Yew, ancien Premier Ministre et fondateur de la Cité-État de Singapour puis l’actuel Premier Ministre Lee Hsien Loong, ont également su mettre en œuvre une politique étrangère ambitieuse et active visant à favoriser l’essor des échanges économiques. Depuis la signature du premier accord de libre-échange en 1993 dans le cadre de l’AFTA (Zone de libre-échange de l’ASEAN), la Cité du Lion a conclu pas moins de 21 accords du même type bilatéraux et régionaux avec 32 pays, dont la Chine, l’Australie, le Conseil de coopération du Golfe, l’Inde, le Japon, la Corée du Sud, les États-Unis et les pays de l’AELE (Association de libre-échange regroupant la Suisse, l’Islande, le Liechtenstein et la Norvège). Comptant parmi les cinq membres fondateurs de l’ASEAN en 1967, elle est le fer de lance de la transformation de cet espace économique et de dialogue en Communauté économique (AEC). Une perspective dont l’aboutissement fin 2015 avait été acté lors du sommet de l’ASEAN qui s’était tenu à Singapour en novembre 2007. Si le processus s’est révélé plus laborieux que prévu, l’AEC n’en demeure pas moins un horizon prometteur qui fera émerger un marché unique représentant un PIB de 2 200 milliards de dollars et une population de 625 millions d’habitants. Accueillant le siège de l’APEC, la Cité du Lion est par ailleurs partie prenante du partenariat transpacifique (TPP), l’un des projets de traité de libre-échange les plus importants jamais entrepris et dont l’aboutissement pourrait se concrétiser à l’aune de l’accord de principe trouvé à Atlanta en octobre 2015. Si ce dernier exclut la Chine, celle-ci, aujourd’hui première puissance économique mondiale, est néanmoins solidement ancrée à l’ASEAN avec laquelle elle forme une zone de libre-échange depuis 2010. Pour Singapour, ce puissant voisin constitue un marché stratégique où elle est devenue en 2013 le premier investisseur étranger devant le Japon. Pays à l’origine, avec la France, de la création du Sommet Europe-Asie (ASEM) qui célébrera en 2016 son 20ème anniversaire, Singapour est aussi l’un des ardents partisans d’un accord de libre échange entre l’ASEAN et l’Union européenne (UE) dont les négociations ont néanmoins dû être suspendues en 2009, pour privilégier une approche bilatérale. Aussi l’accord de libre-échange entre Bruxelles et Singapour, finalisé en octobre 2014, fait-il figure de modèle pour progresser dans les négociations avec les autres membres de l’ASEAN. Tout en favorisant son expansion économique, Singapour s’est résolument attachée au maintien d’un environnement régional stable, jouant parfois le rôle de médiateur comme récemment, le 7 novembre 2015, en étant le théâtre « neutre » d’une rencontre historique entre les présidents chinois et taïwanais. Pour la Cité État, tout est une question d’équilibre. Tout d’abord avec ses voisins malais et indonésien et, plus largement, en promouvant la création du Forum régional de l’ASEAN (ARF) en 1994, actif dans le domaine de la sécurité et de la prévention des conflits. Dans une Asie du Sud-Est, qui n’échappe pas à une montée des tensions territoriales (en l’occurrence maritimes en Mer de Chine), les États-Unis demeurent un allié militaire par excellence. Mais preuve aussi que les horizons de sa politique étrangère se sont aujourd’hui élargis, Singapour a ajouté à ses partenaires stratégiques américains et français, le Vietnam en 2013 et la Turquie en 2014, tandis que des pourparlers sont également en cours avec l’Australie et l’Inde. CF |